La fondation de l’abbaye de Pradines
Au sortir
de la Terreur, quelques religieuses trouvèrent refuge à Ste Agathe-en-Donzy,
pays assez sûr, où un chartreux natif du lieu, Dom Magdinier,
dirigeait activement l'une des « missions » clandestines du diocèse.
Parmi elles se trouvait une moniale bénédictine de Saint-Pierre des Terreaux,
Thérèse de Bavoz, âgée de vingt six ans, qui, après avoir confessé la foi devant
le tribunal révolutionnaire, était restée plusieurs mois oubliée en prison.
Par la
force des choses, une communauté commença de prendre corps, en dépit de
quelques alertes ; en 1798 même, la Mère de Bavoz,
avec trois autres, connut à nouveau la prison. Mais on vivait, un règlement se
dessinait, une supérieure était nommée, des novices se formaient. Le tout,
dirigé par Dom Magdinier vers l'enseignement des
petits enfants et le catéchisme, besoin urgent. Cependant que restait au cœur
de plusieurs le désir de retrouver la vie monastique.
Puis revint
la paix religieuse. On pouvait désormais vivre au grand jour et régulariser les
situations de fait. Dès 1801, Dom Magdinier obtint
des vicaires généraux une approbation de sa communauté, qui n'engageait à rien,
mais permettait au moins de poursuivre. Dans le même temps, reprenait vie à
Lyon la société des Sœurs de Saint -Charles, fondée autour de 1680 par Charles Démia pour l'instruction des enfants.
Quand le
Cardinal Fesch eut pris en mains le diocèse, en janvier 1803, et confié à
l'abbé Jauffret, nommé vicaire général, la responsabilité
de ces questions, il leur parut naturel et rationnel à la fois de fondre autour
des Sœurs de Saint-Charles toutes les religieuses du diocèse, et donc les sœurs
de Sainte-Agathe, en une congrégation dite « Soeurs
des Ecoles chrétiennes », correspondant aux Frères des Ecoles Chrétiennes
qui se reconstituaient à Lyon avant d'essaimer dans toute la France. A cet
effet, Dom Magdinier fut encouragé à acquérir le
château de Pradines, cette même année 1803 (que de tracas en perspective... ). Une maison y fut installée, la communauté de
Sainte-Agathe s'y transporta. D'abord maitresse des novices, la mère de Bavoz en devint supérieure en décembre 1804. A Lyon, montée
de l'Annonciade, s'installait une autre maison, avec la supérieure générale et
la direction d'ensemble de l'institut en formation.
Mais ce
n'était pas si simple. A Lyon, régnait sans partage l'esprit de Saint-Charles.
A Pradines, vivaient ensemble des sœurs libres d'engagement et disposées à suivre
Saint-Charles, et des religieuses qui, se considérant comme toujours liées par
leurs vœux solennels, ne songeaient qu'à reprendre
la clôture et la règle de saint Benoît. La tension était inévitable, due non à
des conflits de personnes mais à une distorsion naturelle entre vocations différentes
au sein de la même société. Le Cardinal Fesch n'y prêtait guère attention.
Comme chacun, ce grand évêque avait ses faiblesses : en homme du XVIIIe siècle,
il ne comprenait pas, pas encore, la vie contemplative et ne respectait que les
congrégations « utïles », enseignantes ou
hospitalières. Pourtant, en 1805, lors d'une rencontre personnelle avec la Mère
de Bavoz, il conçut pour la religieuse estime et respect. Il
commençait de percevoir obscurément le besoin d'un lieu consacré à la prière
dans le diocèse. Cela rendit plus aisé à l'abbé Cholleton,
successeur de l'abbé Jauffret et mieux disposé, la
même année, de sauver Pradines, dont la fermeture avait été presque décidée.
On n'en
continuait pas moins de vouloir souder Pradines à Saint-Charles.
En 1812 même, le noviciat fut unifié, établi à Lyon et confié à la Mère de Bavoz. Sans succès. Cette fois, le Cardinal fut convaincu.
Sans se détourner de Saint-Charles ni l'abandonner (il n'y avait aucune
raison), il prit à cœur le sort de Pradines, et, en octobre 1813, sépara les
deux maisons. Le 22 avril
1814, réfugié à Pradines au moment de partir pour l'exil, il confia à la Mère
de Bavoz la mission de préparer une constitution pour
elle et ses sœurs, et prit ses dispositions pour éponger de ses deniers toutes
les dettes de la maison. Les traverses et difficultés n'allaient pas
disparaître, mais on avait maintenant les mains libres.
Tout en
rédigeant la constitution, long et
minutieux travail, Madame de Bavoz rétablit
progressivement la règle : Opus Dei en 1816, clôture en 1822. En décembre 1824, un bref
régularisa le titre d'abbesse que le Cardinal Fesch avait accordé à Madame de Bavoz en 1816, de façon assez peu canonique, on doit le
reconnaître. Enfin, le 15 mars 1830, un décret pontifical promulgua la
constitution de l'abbaye qui, désormais dans la plénitude de son existence,
allait pouvoir essaimer, formant la congrégation bénédictine du Saint Cœur de
Marie.
L'ordre
bénédictin était rétabli en France, par des femmes.
Henri HOURS
Eglise à Lyon 1993, n°22