prima sedes
galliarum
Le 20 avril
1079, par la bulle Antiqua Sanctorum Patrum, le pape Grégoire VII accordait à l'archevêque Jubin et à ses successeurs la primatie de l'Eglise de Lyon sur celles
de Rouen, Tours, Sens et leurs suffragants. Immense territoire. Cette dignité,
de création récente, trouvait son origine dans le recueil dit des « Fausses décrétales »,
documents apocryphes du IXe siècle, qui avaient voulu, en cela, établir un
intermédiaire entre le pape et les ordinaires. Bourges s'en était revêtu, et le
pape la lui avait reconnue sur toute l'Aquitaine, conçue largement. Sens, en
dépit de quelques affirmations contraires, ne l'avait jamais eue.
Lyon non
plus. Une triple primauté l'illustrait pourtant : l'ancienneté de sa fondation,
la sainteté de ses martyrs, la lumière doctrinale de Saint Irénée. Même si un
passé aussi vénérable paraissait alors bien lointain, il servait néanmoins
d'argument pour soutenir, depuis des siècles, le prestige dû à de grands évêques et à une forte position. L'évêque, puis archevêque,
de Lyon avait souvent présidé des conciles hors de sa province, et certains,
tenus à Lyon,
avaient attiré des évêques de toutes les Gaules. Dans le milieu du XIe siècle, même, plusieurs
allusions à une
primatie quelque peu mystérieuse, font penser que l'archevêque Halinard avait
conscience d'en être revêtu. Comme on l'a dit, la primatie était dans l'air.
En lui donnant
un statut incontestable, Grégoire VII n'avait pas pour seul but de faire
plaisir à l'archevêque.
La vie de ce grand pape fut tout entière vouée à la réforme de l'Eglise à laquelle son nom est resté attaché. Il s'agissait de
restituer à l'Eglise l'autorité sur la nomination des
évêques et le gouvernement des diocèses, que les rois et les princes s'étaient
attribuée comme instrument au service de leurs intérêts. Par la primatie
confiée à Lyon,
extérieur au royaume de France, sur deux métropoles au moins situées dans le
royaume, Sens et Tours, était réduit le pouvoir sur les évêques qu'exerçait le
roi Philippe Ier, quelque peu simoniaque et en mauvais termes avec le pape. De
plus Jubin, comme plus tard son successeur, était un homme acquis à la réforme.
Le contenu
juridique de la dignité était peu explicite. Les sièges soumis devaient à Lyon obedientiam et honorem, obéissance et respect... En fait, la primatie fut essentiellement
une juridiction d'appel, qui pouvait réformer les jugements des officialités
diocésaines et métropolitaines et les ordonnances épiscopales provenant de
provinces relevant de son autorité ; également, conférer des bénéfices quand le
prélat collateur était défaillant. Jamais la convocation d'un concile
« primatial » n'entra dans
les pouvoirs du primat.
Tours ne
fit aucune difficulté. Sens rechigna un peu au début, mais la primatie y fut
reconnue. De même
dans la province de Paris, après que le
siège eût été élevé à l'archiépiscopat, en 1622. C'est même de Paris que vint la plus célèbre affaire, en
1758 : l'appel des
religieuses hospitalières de St Marceau, auxquelles Lyon permit d'élire une
supérieure, contre
Paris qui voulait étouffer leur jansénisme. En revanche, Rouen y échappa. La
primatie ne s'y étant jamais exercée jusqu'au XVe siècle, elle y était
prescrite par non-usage quand Calixte III, en 1457, l'y éteignit. Sous Louis
XIV, des clercs normands tentèrent de recourir à elle pour échapper à leur ordinaire. Un long procès s'en suivit devant le Conseil du roi qui, par l'arrêt du 12 mai 1702, confirma l'exemption de la province de Rouen.
Le
Concordat de 1801 et la bulle Qui Christi Domini qui lui donna valeur
canonique, abolirent l'ancienne constitution de l'Eglise de France. La primatie
n'y avait plus sa place. Le cardinal Fesch crut, un moment, pouvoir la rétablir : Pie VII lui avait
aimablement suggéré de relever le titre de Primat des Gaules. Il le fit aussitôt, mais en outre ré institua
l'officialité primatiale. Il
s'aperçut vite que la dignité, désormais purement honorifique, ne couvrait plus
aucun pouvoir juridique. De même Mgr de Pins, qui avait, un instant, nourri semblable illusion. Mgr
Ginoulhiac, transféré de Grenoble à Lyon pendant le concile du Vatican, ne s'y trompa pas, quand Pie IX le fit
courtoisement siéger parmi les primats. Chacun sait, depuis, que la primatie « ne comporte dans
l'Eglise latine aucun pouvoir de gouvernement »
: le code de 1983 le rappelle encore, au canon
438. A Lyon, elle honore simplement l'histoire prestigieuse du « Premier Siège des Gaules »,
dont un prêtre lyonnais, lors de noces d'argent sacerdotales, en 1948, donnait un raccourci flamboyant,
évoquant la chaîne qui, à travers les
siècles, « nous relie, par saint Irénée et
saint Pothin, à saint Jean et à Jésus-Christ ».
Henri HOURS
Eglise à Lyon, 1996, n°2