procès
des prêtres de Saint-Etienne
1907
Le clergé stéphanois en simple police.
C'est samedi matin, 12
janvier, que sont venues, devant le tribunal de simple police de Saint-Étienne,
les poursuites intentées contre les prêtres inculpés pour avoir dit la messe
sans avoir fait la déclaration préalable. Vingt et un prévenus ont pris place
au banc des accusés: MM. les chanoines-archiprêtres Réal de Sainte-Marie,
Trémoulhéac de la Grand'Eglise (M. le chanoine Ferrier indisposé s'était fait
excuser) ; MM. les curés Larue de Saint-Louis, Guy de Saint-Roch, Thevenard de
Sainte-Barbe, Pothier de Saint-André, Châtain de Saint-Pierre-Saint-Paul,
Compagnon de la Nativité, Salette de Saint-François, Convers de Saint-Ennemond
; MM. les abbés E. Brunon de Sainte-Marie, Bussière et Tillon de la
Grand’Eglise, Chabert et Beluze de Saint-Charles, Grandjean de Saint-François,
Giraudet de Saint-Ennemond, Lafargue de Saint-Louis, Chapelon et Louison de
Montaud, Flachier de Valbenoite.
Le siège du ministère
public était occupé par M. Cousturian, commissaire central. Au banc de la
défense étaient assis : Me Bréchignac, doyen de l'Ordre des avocats,
Me Germain de Montanzan, bâtonnier, Mes Mazodier, Tézenas
du Montcel et Prénat.
Dans la salle, un public
très nombreux, composé de prêtres non verbalisés et de fidèles, tous désireux
de donner à leurs pasteurs un public témoignage de sympathie.
A 9 heures 25, M. Bigot,
juge de paix, fait son entrée et commence aussitôt l'appel et l'interrogatoire.
A part quelques inexactitudes relatives aux heures auxquelles ont été commises
certaines prétendues contraventions, tous reconnaissent avoir célébré la messe,
mais non de s'être mis en révolte contre la loi.
Aussitôt après commencent
les plaidoiries : d'abord celle de Me Brechignac, qui expose le
procès dans ses grandes lignes et lit les conclusions savantes et décisives qui
résument par avance les arguments que vont développer les autres avocats ; puis
celle de Me Stéphane Germain de Montauzan, dont l'éloquence n'a
jamais été plus brillante ni mieux inspirée, et qui a prouvé par une
argumentation impeccable qu'en droit rien n'était moins justifié ni plus
illégal qu'une pareille poursuite. Bientôt c'est le tour de Me
Mazodier ; dans une thèse juridique qu'il expose tranquillement et sans
passion, il montre que les réunions cultuelles étant des réunions
d'associations puisque la paroisse forme une association de fait, selon
l'expression de M. Briand lui-même, ces réunions n'étant pas prévues par le
législateur, ne tombent pas sous le coup de la loi. C'est ensuite Me
Tézenas du Montcel, qui, plaidant surtout en faveur de son vénérable client et
curé, M. le chanoine Réal, parle de cette longue carrière de piété, de
dévouement, de charité inépuisable, qui devait aboutir en sa
quatre-vingt-huitième année à une condamnation pour avoir célébré le saint
sacrifice, et en tire cette conclusion que la loi dont on a tant vanté le
libéralisme ne serait en vérité qu'un loi d'iniquité et de servitude. Enfin Me
Auguste Prénat, résumant dans leurs grandes lignes les plaidoiries de ses
confrères, montre combien il est douloureux qu'en France les deux devoirs
d'obéissance aux lois civiles et d'obéissance aux lois religieuses puissent
entrer en conflit. Et il termine en évoquant le souvenir de Guillaume Tell :
dans ce drame, le gouverneur Gessler dresse au bout d'une perche un chapeau
autrichien, pour symboliser l'autorité de l'empereur dont il est le
représentant, et il exige que tout homme s'incline en passant devant ce
chapeau. Cette inclination était peu de chose ; elle était facile, mais s'y
soumettre, c'était accepter la tyrannie. Tell refuse de courber le front, et de
sa résistance naît l'indépendance de la Suisse. C'est dans la même voie, dans
la résistance à l'illégalité et à l'arbitraire que les prêtres de Saint-Etienne
ont cherché et chercheront encore la liberté de l'Eglise.
L'audience fut levée au
premier coup de midi, et la foule s'écoula lentement, vivement impressionnée.
Lundi matin, 14 janvier,
l'affaire a été reprise pour l'audition de certains témoins au sujet de
procès-verbaux erronés. Les prêtres qui en avaient été l'objet ont été relaxés
des fins de la poursuite, et le prononcé du jugement relativement aux autres a
été renvoyé à une date ultérieure.
Nous le ferons connaître
aussitôt paru. Du moins pouvons-nous affirmer, d'après les auditeurs les plus
impartiaux, que les plaidoiries ont été admirablement conduites, et que pour
tout homme de bonne foi l'acquittement s'impose.
Nous ne saurions terminer
cet article sans faire connaître la lettre si paternelle et si encourageante
que Son Eminence, partant pour Paris, a daigné adresser pour tous à M. le curé
de la Grand’Eglise.
Lyon, le 10 janvier 1907.
Cher archiprêtre,
Je lis dans le Mémorial que nos prêtres sont cités samedi au tribunal de simple
police pour être jugés à l'occasion d'une contravention encourue en disant la Sainte-Messe
sans déclaration. Et je les vois environnés de nos défenseurs, avocats si
dévoués et si vaillants de Saint-Etienne.
Que ne puis-je être là, près d'eux, pour dire
bien haut le « me, me ipsum qui feci
»; car ces bons prêtres n'ont fait qu'obéir à leur archevêque. En présence du
juge, j'aurais redit la parole qui s'échappa de mes lèvres, après la Messe
solennelle célébrée à Saint-Jean.
« Messieurs, je viens d'accomplir un acte en vertu de la loi qui proclame la
liberté du Culte. »
Je ne sais quelle sera la sentence prononcée à
Saint-Étienne, car les tribunaux ne semblent pas d'accord ; mais puisque mon
voyage à Paris ne me permet pas d'assister à l'audience, j'appelle sur mes
chers accusés et sur leurs défenseurs toutes les bénédictions de Dieu.
Courage, calme et confiance ! Notre cause est si
belle ! Pour Dieu, pour la Sainte Église et pour la France !
PIERRE, card. COULLIÉ,
arch, de Lyon et de Vienne.