Pierre
de Tarentaise
bienheureux
Innocent V
Né vers 1224, vraisemblablement
dans la Tarentaise, en Savoie, le jeune Pierre entra, âgé de seize ans, chez les
Frères Prêcheurs, au couvent de Lyon, où il dut se faire une réputation de bon
jugement, puisqu'en 1254 il fut désigné par le légat Hugues de Saint-Cher pour
assister son prieur dans la réforme de l'abbaye d'Ainay. En 1255, il s'éloigna
pour aller poursuivre ses études à l'Université de Paris, alors
dans tout l'éclat de sa gloire. Reçu maître en 1259, il donna dès lors ses
leçons magistrales. La même année, il fut convoqué au chapitre général tenu à
Valenciennes, comme membre de la commission qui allait donner à l'enseignement
et aux études dans l'ordre dominicain leur charte durable ; il
siégea là aux côtés de Florent de Hesdin son ancien maître, Bonhomme le Breton,
moins connu, et surtout Albert le Grand et Thomas d'Aquin. C'est
entre ces deux derniers maîtres illustres que le représente la miniature d'un
manuscrit conservé à Mâcon. Pierre, on le voit, était désormais tenu au rang
des meilleurs maîtres. Dans les années suivantes, il poursuivit son enseignement, sauf
quand la confiance de ses frères l'appela à diriger la province de France, de 1264 à 1267 et de 1269 à 1272.
Il a laissé plusieurs œuvres :
un Commentaire sur les Sentences (les Livres des Sentences de
Pierre Lombard, archevêque de Paris au Xllème siècle, recueil
raisonné et méthodique de la science théologique de son temps, servirent de
base à tous
les théologiens médiévaux pour affirmer et mettre au point leur pensée), des Commentaires
des Epitres de saint Paul, qui, comme l'ouvrage précédent, furent recopiés à de
nombreux exemplaires, des manuscrits de Quodlibet (dans des assemblées
publiques, sortes de conférences de presse théologiques, le maître répondait
aux questions posées sur n'importe quel - quolibet - sujet), des sermons. Son œuvre
se retrouve en plus de deux-cent-soixante-dix manuscrits conservés dans toutes
les bibliothèques d'Europe. Pierre de Tarentaise, aux Xlllème et XIVème siècles, fut
un classique des études théologiques. Il sut
utiliser largement saint Bonaventure et saint Thomas, les deux grands pôles de
son temps, sans jamais se lier ni à l'un, ni à l'autre.
A la tête de la province
dominicaine de France, il suivit une double ligne de gouvernement, en un moment
où l'ordre était en pleine expansion : ne pas essaimer partout inconsidérément,
mais fonder de grands couvents dans des villes importantes afin que l'action
eût plus de poids ; ne pas recruter à tout-va, mais bien peser la
valeur et la vocation des sujets.
Voilà l’homme que, dans l'année
1272, le pape Grégoire X nomma, en dépit de sa réticence, archevêque de Lyon. On voit
que la compétence du chapitre primatial en matière d'élection archiépiscopale
était sujette à éclipses.
Il faut dire que les circonstances étaient exceptionnelles et que, dans la
pensée du pape, cette nomination faisait partie d'un vaste plan. Il venait d'annoncer,
pour 1274, la convocation d'un concile œcuménique qui ne pouvait se tenir en
Italie. Lyon semblait tout à fait indiqué, mais la ville était en proie à une
âpre guerre civile, et de plus le siège primatial était vacant. Il était donc
urgent qu'y fût placé un homme de gouvernement ayant fait ses preuves, de bonne
vie chrétienne, et acceptable par les deux grands pouvoirs politiques pesant
sur la ville, le roi de France et le comte de Savoie.
La première tâche de Pierre de
Tarentaise fut donc de pacifier sa ville épiscopale, ce qu'il commençait de
faire, en obtenant le retrait des troupes royales, en convoquant un concile
métropolitain, quand Grégoire X l'appela à ses côtés en le créant
cardinal, à la
Pentecôte de 1273. Quand son successeur arriva, un an plus tard, Pierre put se
consacrer au Concile, où il intervint à plusieurs reprises, puis il quitta
Lyon.
Grégoire X mourut le 10 janvier
1276. Onze jours après, Pierre de Tarentaise fut élu pape sous le nom
d'Innocent V. Mais il
mourut lui-même le 22 juin suivant, n'ayant évidemment pas eu le temps de mener
à bien, à
l'exception de quelques succès diplomatiques dans la péninsule, aucun
des projets qui lui tenaient à cœur : la reprise de la croisade, l'union des
Eglises. Le Culte dont il fut l'objet dans les siècles suivants fut plus tard
reconnu par Léon XIII, qui le déclara bienheureux en 1898.
Henri HOURS
Eglise à Lyon, 1997, n°1