Roger
RADISSON
et l'hebdomadaire
« Positions"
Au moment de Noël 1940,
Stanislas Fumet, réfugié à Lyon,
avait pu lancer, avec les encouragements du Cardinal Gerlier, l'hebdomadaire Temps
Nouveau, suite de Temps Présent disparu dans l'occupation de Paris ;
mais, dès août 1941, le journal fut interdit par le gouvernement Darlan, pour
mauvais esprit. Ses amis se préoccupèrent de le faire reparaître, sous un autre
titre et avec un autre directeur, mais cela prit du temps : il fallait
naviguer, à Vichy,
entre les influences favorables et les autres. L'autorisation fut enfin obtenue
pour une distribution par abonnements seulement, sans vente directe dans les
kiosques, et, le 23 mai 1942, sortit le premier numéro de Positions, hebdomadaire
de culture chrétienne. Il était imprimé à Saint-Etienne,
sur les presses du Mémorial dont le directeur Pierre Bernard, grand ami
du Temps Nouveau, avait beaucoup fait pour ce nouveau départ.
Sous le titre de secrétaire de
rédaction, le véritable directeur et rédacteur en chef était Roger Radisson. Né
à Caluire le 21 mai 1911, celui-ci était peu connu. Ayant suivi pendant dix ans
le début de la formation jésuite (noviciat, juvénat, philosophie), il s'en
était retiré, restant en très bon termes avec la Compagnie. Réformé
en 1939 pour santé délicate, il avait enseigné au collège de Joubert, à Marlhes, venant assez régulièrement à Lyon
où il fréquentait la librairie Crozier et le bureau de Temps Nouveau. Cette
longue et frêle silhouette cachait une âme intrépide dont la foi exigeante
n'acceptait aucun compromis avec le faux. A cette époque, les catholiques
français étaient encore patriotes et Radisson le fut, comme on le fut sous
l'occupation ennemie, de toute son âme. Plus tard, dans leurs souvenirs, tous
ses amis trouvèrent le même mot pour parler de lui : pureté.
Exigences de la foi, honneur de
la patrie : telle fut la ligne suivie par Radisson. N'ayant pas la tête
politique, il avait, dans l'été 1940, donné sa confiance au Maréchal Pétain et
accueilli avec joie le programme de la Révolution Nationale. D'autre part,
avant 1939, il avait pu, au sein de la Compagnie de Jésus, s'informer sur
l'hitlérisme et lire Mein Kampf. A mesure que se précisa la politique de
collaboration menée par les gouvernements Darlan, puis Laval, l'angoisse
grandit en lui, à la
pensée de voir la France, soumise à un paganisme totalitaire d'une
brutalité sauvage, perdre son âme et oublier ses racines chrétiennes. Se
détachant peu à peu de
Vichy, définitivement à partir
de 1942, il se consacra à l'œuvre
de sauvegarde intellectuelle et spirituelle que réclamait à ses
yeux une telle situation. De cette oeuvre, Positions fut l'aspect public (la face
cachée consista en conférences de soutien spirituel dans les maquis, en
réflexions approfondies, notamment avec Gilbert Dru, sur la place des catholiques dans la
vie politique après la Libération, en déplacements incessants pour porter
partout la bonne parole).
La tâche, on s'en doute, était
difficile ; une suspension administrative d'un mois, dès l'été 1942, le
rappela d'ailleurs utilement. Aucune allusion possible à l'actualité ni à la
politique. En revanche, à longueur de numéros, articles, poèmes, méditations,
dessins (de Rib) parlaient du christianisme source de force, de
l'héritage chrétien de la France (Clovis, saint Louis, Jeanne d'Arc), d'ordre
national et international juste, de vocation de la France ; ils disaient
confiance, énergie, responsabilité, espoir. Il fallait lire entre les lignes.
Ceux qui n'ont pas connu ce temps ont peut-être peine à sentir la complicité émue et
joyeuse qui saisissait, à lire
certaines phrases si pleines de sens caché, échappées à la
censure : « Le chrétien ne doit jamais
désespérer, il doit toujours attendre des saints qui réussissent ; qui
réussissent comme Jeanne, même dans le temporel » (décembre 1942, un
mois après l'occupation de la zone sud) ; « Le Christ a D'ABORD vaincu le mal. ENSUITE, il a annoncé qu'il pardonnait
à ses bourreaux » (semaine sainte 1943). Parmi
les collaborateurs, venus soit de Temps Présent, soit de la Chronique
sociale, et dont certains participaient à Témoignage Chrétien clandestin,
citons, autour d'Henri Lemaître, jeune professeur de lettres à Saint-Etienne,
A.Roullet, J.Granaud, M.Poimbeuf, J.Hours, J.Folliet, Christoflour, et tant
d'autres.
Arrêté le 25 juillet 1944 par
la Gestapo, par hasard mais les poches pleines de documents dangereux (face
cachée de son action), torturé, Roger Radisson fut tué dans le massacre de
Saint-Genis-Laval, le 20 août. Dans une action où le danger était grand
(beaucoup y sont tombés) d'une confusion lourde de conséquences entre le
politique et le religieux, Radisson fut de ceux, rares, qui voulurent et surent
faire les distinctions vitales. C'est bien à des hommes comme lui que peut
s'appliquer l'expression de "Résistance spirituelle".
Henri Hours
Eglise à Lyon, 1997, n°3