Les Recluseries
Depuis les anachorètes
d'Egypte, au Ille siècle, il n'a jamais manqué de chrétiens pour chercher Dieu
dans l'ascèse et la solitude. Sous une forme tantôt radicale, tantôt mitigée ; dans
la rectitude morale et spirituelle, ou dans des déviances parfois surprenantes.
Comme d'autres villes, Lyon eut
ses « reclus ». On en saisit l'existence au XIe siècle, au moment où,
un peu partout en Occident, des ermites, pour prophétiser l'absolu divin,
fuyaient le monde (qui aussitôt leur courait après). On vit alors des hommes et
des femmes se retirer à proximité
de la ville, en de petits ermitages appelés « recluseries » : une
minuscule bicoque jouxte une chapelle, dans un petit jardin soigneusement clos.
On peut les suivre à peu
près jusqu'au XVIe siècle, mais leur belle époque ne dépassa guère le XIVe
siècle.
On a hésité sur leur nombre ;
l'estimation la plus sûre est de onze établissements, disposés à la
périphérie de la ville, souvent près des remparts, ce qui a suggéré à quelques
historiens qu'elles avaient pu avoir en quelque sorte un rôle de gardiens aux
portes de la cité. En fait, selon le meilleur auteur sur la question (M.C.
Guigue, 1887), l'hypothèse la plus vraisemblable est que ces recluseries
marquaient le souvenir d'anciennes églises disparues, ou abandonnées par suite
de la contraction du territoire urbanisé, et que les collégiales ou monastères
qui en avaient la responsabilité avaient confiées à la
garde de pénitents solitaires. C'est ainsi qu'au chapitre de Saint-Paul
appartenaient les recluseries de Saint-Epipoy (au bord de la Saône, près de la
porte de Pierre Seize), Saint-Barthélémy (au pied de la montée de ce nom), et
Saint-Vincent ; aux chanoines de la Platière, Saint-Marcel (près de la porte du
même nom) ; aux Dames de Saint-Pierre, Saint-Clair du Griffon (au bord du
Rhône, près de la porte Saint-Clair) ; à Ainay, Saint-Sébastien (en haut
de la côte) et Sainte-Hélène (au bord du Rhône, au bout de la rue du même nom)
; à Saint-Georges,
Sainte-Madeleine (en haut du Gourguillon) ; enfin à Saint-Just
et Saint-Irénée, les recluseries de Sainte-Marguerite (près des remparts non
loin de Fourvière), et Saint-Martin des Vignes et Saint-Clair sous Sainte-Foy,
hors la ville, vers le sud.
Chaque église responsable
nommait à sa
convenance le reclus ou la recluse, le sexe étant indifférent (en fait, les
femmes furent sans doute les plus nombreuses). Le rituel d'installation, très
précis, comportait de faibles variantes, selon les établissements, mais
toujours la bénédiction du reclus dans le chœur de l'église responsable, et une
procession du clergé qui l'accompagnait à travers la ville jusqu'au lieu de sa retraite. Signalons que la
fameuse fermeture maçonnée de la porte, si prisée des romantiques, ne se
rencontre jamais.
Pauvre, ou ayant abandonné ses
biens, le reclus subsistait de pensions affectées, des produits de son petit
jardin, d'aumônes privées et publiques (souvent, de l'archevêque et du
consulat). Il devait vivre dans la prière ; celui
de Saint-Marcel portait l'habit de Saint-Ruf (des chanoines de la
Platière) ; celui de Saint-Clair du Griffon avait la garde des reliques de
saint Blaise, qu'on pouvait y vénérer. Un relâchement se produisit au XVe siècle.
Des reclus exercèrent des activités rémunérées (reliure à Saint-Barthélémy, dessin pour la broderie à Saint-Epipoy) ; on en vit même
un courir la ville.
Puis ce fut l'abandon
progressif. Les recluseries sont encore visibles sur le « plan scénographique »
de 1550, mais elles allaient disparaître. En 1575, Sainte-Hélène fut vendue par
Ainay au célèbre imprimeur Guillaume Rouville, qui
voulait compléter son terrain ; inoccupée depuis une trentaine d'années, à l'abandon,
la recluserie et son petit clos ne recevaient plus que « gens de maulvaise
vie » qui y entretenaient « le vice paillardise » : il valait
mieux vendre. De même Saint-Marcel, tombant en ruine, fut vendue en 1631 aux
pénitents du Crucifix.
Ainsi disparut un exemple de
vie spirituelle qui n'avait plus guère sa place en une civilisation urbaine.
Mais le XVIIe siècle allait voir refleurir l'érémitisme, cette fois à la campagne.
Henri HOURS
Eglise à Lyon, 2000, n°18