Alphonse
de Richelieu
« Le Cardinal de Lyon »
Quand, en 1628, mourut
Monseigneur Charles Miron, Richelieu, pour le remplacer, fit appel à son
frère l'archevêque d'Aix. Aux yeux du pouvoir royal, le siège de Lyon n'était pas
seulement l'un des plus prestigieux du royaume : par la ville passaient les
influences ultramontaines, que la monarchie gallicane devait surveiller ; la
Franche-Comté espagnole, la Savoie, avec
lesquelles les maisons religieuses de Lyon avaient de fréquents échanges,
étaient proches. Plus qu'ailleurs il était vital de disposer à Lyon
d'hommes sur qui l'on pût compter, comme archevêque aussi bien que comme
gouverneur de la province.
Alphonse de Richelieu, né en
1582, trois ans avant son illustre frère, avait d'abord été destiné à l'évêché
de Luçon, mais était entré chez les Chartreux en 1602. Menant la vie ordinaire
de son ordre, il avait exercé diverses responsabilités jusqu'en 1625, où son
frère l'avait extirpé de sa retraite pour le placer sur le siège d'Aix-en-Provence.
On s'est interrogé sur les motifs de ce choix : il est simple de penser que,
dans son jeu difficile à la tête
de l'état, le cardinal-ministre avait besoin de sentir, aux postes importants,
la présence d'hommes dont il était sûr qu'au moins ils ne lui tireraient pas
dans le dos. En bon chartreux, Dom Alphonse avait d'abord refusé de revenir
dans le monde, et il avait fallu l'ordre exprès et réitéré de son Père Général
pour qu'il acceptât, au nom de l'obéissance. Mais il ne s'était pas plu à Aix, où
des conflits répétés avec le Parlement qui voyait en lui, non sans raisons, l'homme
du ministre détesté, l'avaient tout de suite placé en une position désagréable.
La vacance de Lyon survenait
donc à point,
et Alphonse de Richelieu se trouva Primat des Gaules puis, dès 1629, cardinal.
Les contemporains, en général, considérèrent peu « le
cardinal de Lyon » : d'un caractère inquiet, scrupuleux, quelque peu
fébrile, il ne tenait pas en place ; de plus, il usait d'un langage pittoresque
et rien moins que diplomate, si bien qu'on lui faisait une réputation d'esprit
bizarre. A Lyon, en revanche, on l'apprécia, et on lui fut reconnaissant du
rôle d'intermédiaire qu'il joua entre la ville et le pouvoir royal sur
les sujets les plus divers, obtenant des dégrèvements de taxe, des suppressions
d'offices créés dans un but financier, des nominations avantageuses. Il
n'hésitait pas à s'opposer
à son
puissant frère à qui le
liait une affection profonde, même quand des frictions aigrissaient des
relations toujours sur le qui-vive. En 1638, lors d'un retour offensif de la
peste, on vit bien que, parmi les autorités, il fut l'un des rares à rester à son
poste. Donc un homme courageux.
De nombreuses absences pendant
ses voyages à Paris
et pendant les deux années d'une ambassade à Rome ne le détournèrent pas de
son ministère pastoral. Ami des jésuites, sans leur être inféodé, il veilla à contrôler
de près la floraison des maisons religieuses féminines qui se multipliaient
alors. Il leur tenait courte bride, se méfiant de la « faiblesse du
sexe », comme on disait, sans se montrer pour autant hostile par principe.
S'il freina, de façon remarquée, la naissance du Verbe incarné, ce fut
vraisemblablement de crainte que cette congrégation ne devînt, sous la
protection des jésuites, puissante au point de concurrencer les autres.
Pasteur, il n'était pas un
organisateur et n'avait aucun sens de la gestion financière. Cela le gêna
peut-être pour doter son diocèse d'institutions qui eussent pu canaliser et
faire fructifier la vie qui y bouillonnait ; peut-être aussi était-il encore
trop tôt. Ce devait être la tâche de son successeur, après sa mort survenue en
1653.
Le style, dit-on, c'est l'homme
: en voici un échantillon, dans une lettre à une dame de Marseille : « Dès l'instant que je vous ai su
arrivée à un
degré de sainteté qui appelle la canonisation, je ne vous ai plus regardée
qu'avec un respect si extraordinaire
qu'il m'a arraché la plume de la main, mais non pas le souvenir des obligations
que je vous ai. Pour n'en paraître pas tout à fait ingrat, agréez que je vous
serve un plat de mon métier en vous disant que j'ai appris dans les saints
livres que le miel est bon, mais qu'il n'en faut pas manger avec excès (…). Ce
n'est pas le tout de courir d'église en église, de passer les journées
entières aux carmélites, de baiser la terre, de battre sa poitrine,
d'aller pieds nus à Notre-Dame
de la Garde, de jeûner plusieurs fois la semaine ; tout cela étant sujet à ostentation.
Mais, contenir sa langue, avoir le feu de l'amour de Dieu dans le cœur,
étendre sa main en secret vers le pauvre indigent, c'est la vraie voie pour
arriver à Lui… »
Henri HOURS
Eglise à Lyon, 1998, n°11