musée du diocèse de lyon

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L’église du Saint-Nom de Jésus

un manifeste spirituel

 

 

Vue du dehors, l'église du Saint-Nom de Jésus ne se remarque guère : une église néo-gothique comme il y en a tant, aux lignes assez raides et sèches. A l'intérieur, il en va tout autrement. Même peu originale, l'architecture y est de qualité. On est surtout impressionné par un ensemble de vitraux de bonne facture, qui nous rappelle que l'église fut d'abord chapelle des Dominicains. Une cohérence rigoureuse, d'une part dans le programme iconographique, d'autre part entre celui-ci et le style gothique rayonnant, montre une volonté consciente de plonger aux origines de l'Ordre des Frères Prêcheurs, et de se retremper dans ce XIIIe siècle qui fut, aux yeux des romantiques, l'apogée du Moyen-âge chrétien. Mais nous avons ici bien plus que du romantisme.

 

En fait, liée à la création de la province dominicaine de Lyon et aux conflits qui, un temps, divisèrent l'Ordre, l'église du Saint-Nom de Jésus est un véritable manifeste spirituel. Dès l'origine, les constitutions dominicaines avaient prévu que l'observance de la règle peut être mitigée, voire suspendue, si l'apostolat par l'étude et la prédication l'exige. Lacordaire, le restaurateur des Prêcheurs en France, gardant de sa jeunesse agnostique un amour passionné pour la liberté, s'attachait de toutes ses forces à cette ligne souple qui permet de garder les yeux fixés sur ce qui fait la fin de l'Ordre : le bien des âmes, et non la règle pour la règle. Elu en 1850 à la tête de la province de France nouvellement créée, il mit rapidement en question l'obligation absolue de l'office nocturne, qui pouvait nuire à la mission des Frères. Le nouveau vicaire-général de l'Ordre, le Père Jandel, nommé cette même année par le Pape en personne, comprenait, certes, que la fin passe les moyens, mais craignait une dérive vers ce qu'on appellerait aujourd'hui « activisme » : que serait cet apostolat, si l'Ordre des Prêcheurs n'était plus lui-même, avec une prière liturgique tronquée, une vie régulière relâchée, une austérité mitigée ? Jandel s'en tenait donc à la stricte observance. A partir de ce point de détail, le débat révéla un dissentiment profond sur la conception même de la vie dominicaine. Un véritable conflit, entre intransigeants et libéraux, provoqua dans la province de France des divisions qui, en 1856, prirent des proportions inquiétantes.

 


 

Sur ces entrefaites, en cette même année, l'abbé Camille Rambaud, qui montait laborieusement aux Brotteaux sa « Cité de l'Enfant Jésus », et désirait procurer l'évangélisation de ce quartier encore un peu sauvage, fit appel aux Dominicains, et leur offrit un terrain. Jandel sauta sur l'occasion : à la fin de l'année, le 24 décembre, s'ouvrait un nouveau couvent destiné à devenir en France le foyer et l'exemple de la stricte observance dominicaine. La responsabilité en fut confiée au P. Antonin Danzas (1817-1888), qui partageait entièrement les vues de Jandel. Quand, en 1858, Lacordaire fut élu provincial de France, Danzas devint prieur de Lyon, sous la juridiction directe du Maître général, par dessus la tête du provincial. Aboutissement logique : en 1863, fut érigée la province de Lyon, détachée de celle de France pour pouvoir suivre sa ligne propre ; Danzas en fut le premier provincial.

 

C'est dans ces conditions que le P.Danzas, à partir de 1861, fit élever l'église dans le style gothique du XIIIe siècle, sur les plans de Louis Bresson, grand constructeur d'édifices religieux. Peintre lui­-même, il commença de dessiner les cartons des vitraux, dont il avait conçu le programme : fondation de l'Ordre sous la protection de la Vierge, vie du Christ, mystères du Rosaire, vie de saint Dominique, figures des grands saints et grandes saintes de l'Ordre. Une immersion aux origines, dans la méditation desquelles le Prêcheur doit reprendre racines et forces.

 

Dès sa restauration en France, l'Ordre dominicain avait été intimement lié aux travaux et réflexions sur l'art sacré. On y fut donc fort sensible à ce que représentait la construction de la nouvelle église de Lyon, soit pour approuver l'attachement à l'art gothique, correspondant à l'esprit d'enracinement, soit pour regretter un excès « d'archéologie » et souhaiter plus de dépouillement. On le voit : l'église du Saint-Nom de Jésus (qui ne prit ce titre qu'en 1909, en devenant paroissiale), fut bien une église­-manifeste. C'est ce qui en fait l'intérêt, outre ses qualités artistiques évidentes.        .

 

 

Henri HOURS

Eglise à Lyon, 1994, n°21