donation de
l’église de Marolles
995
Charte que fit le
comte Artaud à saint Pierre au sujet de l’église Saint-Pierre dans le village
de Marolles
Tandis que l’on vit
un pénible voyage en ce monde dans l’attente du temps favorable et du jour du
salut qui semblent imminents, on doit penser à l’avenir avec le plus grand
soin, en cherchant à réaliser de bonnes actions sans aucun délai ; nous ne
tardons donc pas à les mettre en œuvre, faisant de ceux que nous avons appris à
connaître en profondeur nos obligés, car nous savons qu’ils veillent au salut
des corps en ce monde, et nous ne doutons pas qu’ils sont les juges des âmes.
En effet, comme après la mort nous ne pourrons plus accomplir le bien, nous
croyons qu’il vaut la peine qu’avant que nous parvenions à l’examen strict et
exhaustif mené par le Juge secret nous ne cessions pas d’effacer les fautes
commises par nous, à force de repentance, dans la brièveté de ce temps, de
toutes les manières que nous pouvons.
Donc moi Artaud
comte, je me souviens de l’énormité de mes péchés et j’entends le tonnerre de
la doctrine évangélique qui gronde : « Faites l’aumône et tout sera
pur pour vous ».
C’est pourquoi je
donne à Dieu et à ses saints apôtres Pierre et Paul, et au saint lieu de Cluny,
que préside le révérend père seigneur Odilon, quelques-uns de mes biens situés
dans le pays Lyonnais et dans le pays Roannais : c’est une église dédiée à
saint Pierre, située dans le village de Marolles, avec toutes ses dépendances,
à savoir avec le revenu d’un prêtre, la dîme et tout ce qui semble revenir et
être rattaché à cette église, dans cette concession, pour qu’aussi longtemps
que moi Artaud je vivrais je la garde en ma possession et que par la suite
après mon départ cette église revienne à ce saint lieu. Et pour cette
concession, toutes les années je paierai 5 solidus à la fête de saint Pierre,
au 3ème des calendes de juillet.
Et si quelqu’un
voulait aller en justice contester cette donation, s’il ne va pas rapidement se
corriger, qu’il soit soumis à toutes les malédictions qu’on trouve inscrites
dans les livres divins, qu’il partage le sort de Judas le traitre au Seigneur
et de ceux qui disent au Seigneur Dieu : « Eloigne-toi de nous, nous
ne voulons pas connaître tes voies », et qu’il soit contraint par la
puissance judiciaire à payer vingt livres d’or.
Et que cette
donation, que je fais pour mon âme et pour l’âme de mon père et de ma mère, et
pour l’âme de mon épouse, afin que le Seigneur juste et doux daigne se montrer
à nous au jour du Jugement, demeure ferme et stable, avec la stipulation
jointe.
Acté à Cluny.
Sceau de Artaud
comte, qui a demandé que soit faite et confirmée cette donation.
Donnés de la main
de Ponce lévite, au mois d’avril, la deuxième année du règne du roi Rodolphe.
NOTES
Les
phrases du §1 qui précèdent le contenu de la donation se retrouvent dans plusieurs
chartes de donation. Leur traduction est incertaine.
occulto Judici : traduit ici par Juge secret en référence à Jean ch.5,
v.22 : « Le Père lui-même ne juge personne, mais il a donné au Fils
le jugement tout entier » (voir
le commentaire d’AUGUSTIN, Traités sur
l’Evangile de saint Jean, n°21)
Marogliacum :
Marolles, Mareuil ou Maroilles, est le nom primitif du village appelé par la
suite Saint-Romain La Motte, qui recèle des vestiges romains.
presbyteratum : source de
revenu d’un prêtre
faisant de ceux que nous avons appris à
connaître en profondeur nos obligés :
il
semble que ce soit une allusion aux apôtres Pierre et Paul, dont les reliques,
arrivées dans l’abbaye de Cluny en 980, sont déposées au centre d’un espace
réservé aux dépouilles des bienfaiteurs de l’abbaye (voir IOGNA-PRAT citant
précisément cette charte de donation : « les laïcs demandant à être inhumés à Cluny recherchent donc la
compagnie des princes des apôtres, dans l’espoir d’en faire, par leurs dons,
des obligés, bons avoués le jour du Jugement »).
tenore : traduit ici concession (voir définition de tenure dans
CNRTL)
vestitura : traduit ici concession (voir l’équivalence des
significations de termes « investiture », « vêture »,
« saisine » et « tenure » dans CHAMPEAUX)
subnixa stipulatione : traduit ici
stipulation jointe, formule juridique
qui indiquerait initialement les sceaux attachés à la charte (voir PARDESSUS)
TEXTE LATIN
- BERNARD Auguste (éd.),
1876-1903, Recueil des chartes de
l'abbaye de Cluny, charte n°2292
- Cartae Cluniacenses Electronicae, charte
n°2292
- TELMA, Traitement électronique des manuscrits et des
archives, Chartae Galliae,
acte n°257602
DOCUMENTS
- PARDESSUS Jean Marie, 1841, De
la formule Cum stipulatione subnexa, qui se trouve dans un grand nombre
de chartes, Bibliothèque de
l'Ecole des Chartes,
2/2, pp. 425-436
- THIOLLIER Félix, 1889, Le
Forez pittoresque & monumental, pp.237sq
-
CHAPEAUX Ernest, 1898, Essai sur le
"vestitura" ou saisine et l'introduction des actions possessoires
dans l'ancien droit français
-
IOGNA-PRAT Dominique, 1996, Des
morts très spéciaux aux morts ordinaires : la pastorale funéraire clunisienne
(XIe-XIIe s.), Médiévales, 15/31,
pp.79-91, note n°12