Sillon
congrès lyonnais
1906
Samedi 9 et dimanche 10 juin, s'est tenu,
à Lyon, le premier congrès régional du Sillon pour l'Est et le Sud-Est,
organisé par le jeune Sillon lyonnais. Des délégués de tous les Sillons de la
région et de plus loin y ont pris part.
Le congrès s'est ouvert samedi, à 4
heures, par une réunion réservée aux dames, naturelles éducatrices de la
démocratie future. A 8 h. 1/2 avait lieu la première séance de travail du
congrès, présidée par M. Marc Sangnier. L'ordre du jour comportait la
discussion d'un rapport sur le Sillon et les Classes sociales. Peut-être, faute
de préparation de la part des congressistes, la discussion dévia un peu sur les
à-côtés de la question. Les conclusions importent d'ailleurs seules. Nous
sommes en face d'un fait, - la différenciation du travail, - qui crée dans la
nation des groupes distincts d'individus. Ces groupes ne doivent pas rester
indépendants les uns des autres; en un mot, ne doivent pas être des castes
fermées. La démocratie intervient dans la différenciation et la hiérarchisation
des individus en mettant chaque citoyen à la place où sa conscience et sa
responsabilité sociales étant développées au maximum, il rendra un maximum de
services pour l'intérêt général. Plus d'esprit de classe par conséquent,
puisque, seuls, différencient les hommes les groupes naturels établis par la
variété des compétences. L'indivision la plus absolue doit exister entre les
hommes pour toutes les questions d'intérêt général. Si l'on passe maintenant à
la pratique, comment, étant donnée la variété des compétences, peut-on arriver
à donner à chacun le sens des intérêts généraux, sens en qui réside l'esprit
démocratique. Deux moyens sont reconnus par les congressistes susceptibles
d'arriver à ce résultat: une culture professionnelle aussi poussée que possible,
aidée par la culture religieuse. Il importe donc pour commencer de donner à la
nation l'éducation démocratique, et, tout, d'abord, de fonder une élite par les
cercles d'études, etc. Le Sillon travaille à la formation de cette élite
susceptible de comprendre ses devoirs.
Dans la séance du dimanche matin, à 9
heures, présidée par M. Bruchon, du Sillon jurassien, la question à étudier
était: La Vie et la Discipline du Sillon; le Sillon dans les milieux ruraux. Il
y fut établi, après une intéressante discussion, quelle devait être la méthode
à suivre pour la diffusion du Sillon dans les milieux ruraux. Pour la création
des cercles d'études, les moyens varient suivant les circonstances; c'est au
sens perspicace de chacun de voir quel sera le plus pratique et le plus
efficace chez lui. Mais il reste qu'avant tout le Sillon doit s'efforcer de
gagner les âmes; l'œuvre première est un apostolat personnel et que tous les
Sillonistes doivent exercer autour d'eux. Une fois l'élite nécessaire recrutée
par cet apostolat personnel, on l'éduquera par les publications du Sillon qui
renferment sa doctrine. Dans la pratique, on s'efforcera autant que possible
d'utiliser les groupes existants en travaillant à les gagner à l'esprit du
Sillon. Et il importe en tout et partout de bien établir l'unité et
l'homogénéité essentielles du Sillon, unité basée sur l'amitié; homogénéité par
l'apport de tous à l'œuvre commune.
Cette unité du Sillon est d'ailleurs
l'impression qui ressort de toutes les réunions du Sillon, et c'est la principale
affirmation de tous et le but de tous d'infuser autour d'eux l'âme commune du
Sillon.
En somme, le but de ces séances de
travail intime était de bien préciser entre Sillonistes les doctrines communes
et de voir les moyens les plus propres à les faire aboutir dans la nouvelle
région à conquérir: le Sud-est.
La séance du dimanche soir eut une portée
plus générale. On avait fait appel à la contradiction afin, comme le disait
Sangnier, de permettre au Sillon de préciser et peut-être de rectifier ses
doctrines. Les journaux quotidiens ont donné des comptes rendus détaillés de
cette conférence. Il nous importe, avant tout, de faire ressortir les idées
générales exprimées par Marc Sangnier comme étant la doctrine du Sillon. Au
fond, cette doctrine est commune à beaucoup de démocrates catholiques, et le
programme exposé dimanche par Marc Sangnier n'est pas sans avoir de grands
rapports avec celui que développait au mois de novembre, M. Imbart de la Tour,
à l'assemblée fédérale des groupes du Sud-est. Cette concordance d'aspirations
entre des catholiques appartenant à des œuvres parallèles est faite pour donner
un espoir toujours plus grand à ceux qui veulent arriver à établir par le
catholicisme, la République démocratique. Et c'est là, en effet, le point
principal de ce programme. Une démocratie est impossible si elle ne s'appuie
sur une force morale extérieure à elle. Cette force morale, seul peut la lui
donner le catholicisme. Ceux qui ont entendu Marc Sangnier dimanche diront avec
quelle foi ce programme fut exposé, avec quelle foi semblaient le vivre tous
les membres présents du Sillon.
Avant de se séparer, l'assemblée s'est
ralliée à l'ordre du jour suivant: "Deux mille citoyens, réunis au Palais
de Glace, après avoir entendu le citoyen Marc Sangnier, constatent
l'impuissance du socialisme étatiste et du néo-monarchisme pour résoudre la
crise sociale actuelle et affirment leur foi dans la République démocratique.
Ils ont confiance dans le Sillon pour aider à son établissement."
Un banquet fraternel réunit ensuite les
congressistes. L'abondance des toasts caractérise les banquets du Sillon, aussi
bien tous n'ont-ils pas la même importance. Dans la quantité de ceux qui furent
prononcés, j'en distinguerai deux : celui de M. Valentin Smidt, un royaliste
maurassiste qui est venu affirmer sa foi en l'idéal démocratique commun et sa
sympathie pour le Sillon, et celui de Marc Sangnier. Remerciant le Sillon de
Lyon de l'œuvre accomplie, Sangnier évoque le souvenir de ceux qui, depuis quinze
ans, luttent pour l'établissement de la démocratie et du catholicisme dans le
Sud-Est, ceux de la Chronique du Sud-Est. Il boit ensuite à l'amitié du Sillon
qui a attiré à lui des hommes d'expérience et de bon conseil, qui ne craignent
pas de se mêler aux jeunes. Une fois de plus, il affirme sa foi dans le Sillon
qui unit les âmes pour l'effort commun dans l'œuvre difficile qu'il s'est
assignée.
Nous ne chercherons pas à prévoir les
résultats de ce congrès. Il fut une belle manifestation d'énergie et de foi. Il
en sortira pour le Sillon un encouragement à continuer son œuvre; pour ceux qui
ne sont pas du Sillon, ce sera un stimulant à travailler avec une noble
émulation, par des méthodes autres, peut-être, pour l'idéal commun.
Demain
n°34
15 juin 1906