La création du Chapitre de Saint-Nizier
En un temps
ou la séparation n'était pas concevable entre spirituel et temporel, il était
important pour un prince de disposer d'une base spirituelle, abbaye le plus souvent,
où se conservaient les tombeaux de ses pères, les reliques et emblèmes
tutélaires de sa maison ; où, chaque jour, des prières appelaient sur lui la
faveur divine, et où sa dynastie pouvait éventuellement se constituer une
tradition historique, véritable capital spirituel et moral, qui cautionnait et
fortifiait son prestige et son autorité. Saint-Denis en est l'exemple le plus
parfait et le plus connu, mais de bien moindres barons voulurent en avoir
autant, tels les sires de Beaujeu à Belleville. Il ne s'agissait pas de liens
entre politique et religion : la politique était religieuse, et la religion
était politique. Il serait aussi anachronique et aussi vain de s'en scandaliser
que de s'étonner que le XIIIe siècle ne fût pas le XXe (en ce dernier, d'ailleurs...).
Au demeurant, pour nous en tenir à Saint-Denis, Suger et ses moines ne furent
pas de si mauvais bénédictins.
Il faut
avoir tout cela en mémoire, si l'on veut comprendre la création du chapitre de
Saint-Nizier par l'archevêque Louis de Villars, en 1306-1308. Un conflit,
vieux de près de quarante ans et parfois violent, opposait alors les bourgeois
de Lyon à leur seigneur, qui n'était autre que l'Eglise : archevêque et
chapitre primatial. Les premiers réclamaient des droits judiciaires et fiscaux,
les « franchises », et une organisation municipale, c'est-à-dire la
faculté de gérer les affaires communes, que la seconde leur refusait. Sans
avoir lu les fables de La Fontaine, le Roi de France, à la suzeraineté duquel
Lyon échappait encore, voyait là une bonne occasion de l'y faire entrer, en
soutenant les bourgeois contre l'archevêque et en coiffant les deux parties.
Or, si
l'Eglise était solidement installée sur la rive droite de la Saône, avec le
cloître fortifié de Saint-Jean (cathédrale et bâtiments canoniaux), et le
cloître de Saint-Just, elle n'avait rien sur la presqu'île : les deux abbayes
de Saint-Pierre et d'Ainay, les couvents des Prêcheurs et des Cordeliers
étaient exempts de sa juridiction et n'étaient pas un appui sûr. C'est pour combler
cette lacune que Louis de Villars, par sa charte du 25 mars 1306 (1305 ancien style), transforma en une collégiale de dix-huit
chanoines l'antique église paroissiale de Saint-Nizier.
Hormis
Saint-Irénée, aucune, à Lyon,
n'était aussi vénérable. La tradition faisait remonter à Saint Pothin son autel consacré à la Vierge ; elle passait pour avoir été,
jadis, cathédrale ; elle avait été, naguère encore, le siège d'une abbaye
canoniale, l'un de ces monastères urbains assez mal connus, qui apparurent dans
le haut Moyen-Age. Enfin et surtout, elle abritait les tombes de plusieurs
saints évêques de Lyon, d'autant plus vénérés qu'on n'en connaissait pas la
liste précise. D'autre part, la paroisse recouvrait la plus grande partie de la
presqu'île, ville des bourgeois, et c'est dans son église que ceux-ci avaient
pris coutume de se réunir quand ils avaient à traiter d'affaires communes.
Louis de
Villars faisait donc d'une pierre deux coups : il s'assurait un sanctuaire
respecté, et montrait aux bourgeois qu'il était le maître, en s'installant chez
eux, et de plus en un point stratégique, au débouché du pont de Saône.
Mais il
avait négligé de s'associer le chapitre primatial. Or, en 1307,
Philippe-le-Bel, poussant ses avantages, usa d'une souveraineté qui ne lui
appartenait pas encore et reconnut au chapitre comme à l'archevêque l'autorité seigneuriale avec le
titre de comte de Lyon. Les chanoines tinrent aussitôt à réparer l'oubli, et à intervenir dans un acte aussi important que la
création d'un chapitre collégial. Un deuxième acte de fondation fut donc
consenti en commun par les deux co-seigneurs de l'Eglise, le 9 février 1308
(1307 ancien style). L'autorité statutaire sur la nouvelle communauté y était
dévolue, en titre à l'archevêque,
en pratique à l'archidiacre,
l'un des plus importants dignitaires de Saint-Jean. Comme par hasard, le
titulaire était alors un actif partisan du roi de France.
Ainsi cette
création prit-elle sa place dans les événements qui préparèrent l'annexion de
Lyon au royaume et, par voie de conséquence, l'avènement du pouvoir communal.
Cela n'a pas empêché la collégiale de Saint-Nizier, avec son nombreux clergé et
ses nombreuses confréries, d'être un authentique foyer de prière et de piété.
Henri HOURS
Eglise à Lyon, 1995, n°12