La succession du
cardinal Coullié
Quand mourut le cardinal
Coullié, le 11 septembre 1912, toutes les personnes informées dans le diocèse
savaient à n'en pas douter qui allait lui succéder : ce serait l'évêque auxiliaire,
Monseigneur Louis-Jean Déchelette.
Successivement vicaire général
des cardinaux Caverot, Foulon, Coullié, Monseigneur Déchelette avait vécu avec
ce dernier dans des rapports de compréhension intime et d'affection comme de
fils à père et le cardinal, en 1906, l'avait obtenu comme auxiliaire. En des
temps difficiles pour le catholicisme français, dont la vie prit en ces années
un tour nouveau, il fut le collaborateur le plus proche de l'archevêque,
celui sans qui rien d'important ne se décidait ni se faisait, gouvernant en
second le diocèse. Comme devait le dire plus tard Monseigneur Bourchany son
successeur, « il s'était tellement identifié avec l'Eglise de Lyon qu'il
semblait lui être devenu nécessaire, et qu'on ne pouvait se faire à l'idée de le
voir appelé au gouvernement d'un autre diocèse ». Aussi un très large
accord, sans aller jusqu'à l'unanimité dont font état les panégyristes,
soutint-il le cardinal quand, donnant corps à un projet mûri de longtemps, il
demanda à Pie X
de lui donner Monseigneur Déchelette comme coadjuteur avec droit de succession.
La lettre du cardinal au Pape
fut remise en mains propres, vers le mois de mai 1912, par Monseigneur
Déchelette lui-même venu à Rome pour y porter le denier de Saint-Pierre (on
peut se demander quel était le véritable motif du voyage...). L'accueil très
affable de Pie X, des paroles particulièrement encourageantes, donnèrent à
penser à l'émissaire du cardinal que la cause était entendue.
Sans connaître tous les
détails, les personnes informées écoutaient les rumeurs qui filtraient, et la
satisfaction l'emportait généralement. Les personnes bien informées, elles,
savaient que l'indispensable bulle de nomination n'arrivait pas. Elle
n'était toujours pas là, en ce fatidique 11 septembre où mourut le cardinal. Aussitôt
partit pour Rome une supplique, au nom des archiprêtres de Lyon et de
Saint-Etienne, demandant au Saint Père d'exaucer le vœu de l'archevêque défunt.
Mais l'espoir faiblissait de jour en jour. L'attente fut d'ailleurs brève : le
26 octobre, on apprit que c'était Monseigneur Sevin, évêque de
Châlons-sur-Marne. Que s'était-il passé ?
Des personnes très bien
informées surent que, peu de temps après la visite de Monseigneur Déchelette au
Vatican, était passé à Lyon le
P. Pie de Langogne. Ce capucin vivait à Rome, où il jouissait de la pleine confiance
de Pie X. Consulteur de quatre des principales congrégations, il exerçait une
grande influence, notamment dans le choix des évêques. C'était à lui, par
exemple, qu'en 1910 l'abbé Chatelus, curé de Saint-François, avait dû le siège
de Nevers. Ayant déjà décidé de promouvoir Monseigneur Sevin, l'un des plus
intransigeants parmi les évêques français, il venait à Lyon s'informer. Pendant
son séjour, il logea chez son ami l'abbé Sachet, qui
avait quelque raison de ne pas trop aimer l'évêque auxiliaire. Rentré à Rome,
il fit savoir à Sachet que Monseigneur Déchelette avait refusé la coadjutorerie
de Lyon, pendant que le cardinal de Laï, préfet de la Consistoriale, écrivait
au prélat pour regretter son refus, qu'il respectait, et pour lui promettre un
prochain siège vacant : on affectait de prendre à la lettre ce qui n'avait été
qu'un refus de bienséance.
Le choc fut ressenti à Lyon
(passons sur le calembour bien connu: "Sevin est tiré, il faut le
boire"). Monseigneur Déchelette se retira dans le Midi « pour se
reposer ». Dépit, comme on l'a dit ? Ou plutôt délicatesse, pour ne pas
rendre plus pénible qu'elle ne l'était l'arrivée de Monseigneur Sevin ? De
fait, celui-ci, lors de son intronisation à Saint-Jean, se sentit obligé
d'accompagner son éloge de son prédécesseur d'un mot pour l'auxiliaire absent,
dans une forme inhabituelle : « Je sais qu'à côté de lui il avait, non pas
un frère, mais un fils choisi pour être le bâton de sa vieillesse, le soutien
de son âge mur. Il est avec nous et il y sera constamment par l'exemple de ses
vertus. Je lui adresse l'hommage de ma fraternelle admiration et l'expression
de ma respectueuse vénération ». Ce qui permit à deux dignitaires, en
d'autres cérémonies, de manifester explicitement leur regret de voir s'éloigner
Monseigneur Déchelette, qui fut en effet, le 7 février suivant, nommé au siège
d'Evreux.
En fait, et Monseigneur Sevin
ne s'en cacha pas, il avait été placé à Lyon pour reprendre en mains ce grand
diocèse jugé à Rome trop pénétré d'influences dangereusement libérales, et dans
lequel un évêque trop « identifié avec l'Eglise de Lyon » n'eût pas
été assez libre de ses mouvements.
Henri HOURS
Eglise à Lyon, 1997, n°11