Visite pastorale
Le diocèse en 1378
Elu en 1375, l'archevêque Jean de
Talaru réunit d'abord un concile provincial, puis entreprit la visite de son
diocèse, qui occupa les mois de novembre 1378 à mai 1379, avec une suspension en février. Quatre cents églises
furent visitées, à peu près la moitié du total (nous ne savons pourquoi on en
resta là) ; les quatre cinquièmes à l'Ouest de la Saône et du Rhône, le reste en Dauphiné et en Bresse.
L'archevêque
procéda par tournées d'une ou deux semaines au cours desquelles il séjournait,
chaque fois, dans deux ou trois bourgs principaux. De là rayonnaient ses
collaborateurs ou « commissaires » qui inspectaient les lieux et lui
envoyaient curés, vicaires et témoins qu'il pouvait ainsi interroger lui-même,
au rythme de huit à dix audiences par jour. Il se gardait le temps de conférer
les confirmations, et même des ordinations. Après un court repos à Lyon, on
repartait pour une autre tournée. Ainsi la Visite avança-t-elle rapidement et avec
efficacité.
Les
questionnaires dont s'aidaient les commissaires portaient surtout sur deux
points : l'état matériel des églises (bâtiments, mobilier, objets du culte), la
vie personnelle des clercs. Sur l'un et l'autre, les résultats n'étaient pas
bons.
De façon
générale, les bâtiments étaient en mauvais état, mal entretenus, demandant
réparations. Environ 6 % des églises étaient en ruine ou n'en valaient pas mieux :
clocher croulant, toit béant. 14 % des cures en présentaient tout autant.
L'intérieur, s'il était moins dangereux pour la sécurité, était plus inquiétant
à un autre point de vue. Dans une église sur quatre, la poussière, la saleté,
le désordre, les dégradations donnaient aux autels un aspect indécent. Pire :
dans les mêmes proportions, les saintes espèces étaient conservées n'importe
comment et traînaient n'importe où. On pouvait même voir, ici et là, dans des récipients de
fortune, les hosties consacrées moisies, agglutinées en petits blocs, couvertes
de poussière ou même pleines d'artisons (petits vers, en franco-provençal).
C'est en Dauphiné, en Beaujolais, en Dombes, que l'état matériel était le moins
bon.
Le Forez,
en revanche, voyait davantage de prêtres en situation irrégulière. Dans les archiprêtrés de Pommiers, de Montbrison, mais aussi en Dombes, un sur
trois vivait en concubinage notoire ; 17 % dans l'ensemble du diocèse. Un curé sur quatre ne
résidait pas ; en bien des endroits, le vicaire non plus. Pire encore était la situation des prêtres sans charge d'âmes, prébendiers par exemple. Plus que le simple fait, est notable la façon dont il était perçu. On semblait presque, parfois, n'avoir pas conscience d'un désordre, encore moins d'une faute grave. Le curé de Saint-Genest-Lerpt, lui-même en
situation régulière, venait de
célébrer les funérailles religieuses de celui de Villars, concubinaire notoire
et donc ex-communié. Celui de Saint-Priest-en-Rousset, qui venait récemment de marier sa
fille, présenta lui-même son fils à la confirmation par l'archevêque. D'ailleurs, les commissaires ne notent-ils pas plusieurs de ces
prêtres comme bons curés, célébrant
dignement, entretenant convenablement leurs églises... ?
Les questions affluent. Par exemple, sur les nuances, voire les différences qui
distinguent entre elles les parties du diocèse à l'Est et à l'Ouest des Monts
du Lyonnais et du Beaujolais, distinction dont l'origine semble reculer
toujours plus loin dans le temps à mesure qu'on l'observe.
Les ruines, le délabrement, la pauvreté, s'expliquent
aisément. Trente ans plus tôt, tout juste, la terrible peste de 1348 avait emporté, selon les
provinces, entre le
quart et le tiers des populations. Pour les survivants, « la grande
mortalité » resta jusqu'à leur mort l'année de référence. Que de maisons
vides, de champs
déserts qui ne rapportaient plus rien. Là dessus, la guerre : pendant trois ou quatre ans, les routiers
avaient sillonné et pillé la région. Alors, l'entretien matériel... ! Toutes
conditions qui permettent de comprendre aussi un affaissement des mœurs.
Mais il y
avait autre chose. Quand un prêtre laisse les saintes espèces à l'abandon, sa
foi est en cause. Le fait, d'ailleurs, n'était-il pas général ? 1378 : en cette même année s'ouvrait le « grand
schisme », deux papes rivaux face à face ! Là aussi, la foi était en cause, et à la tête de l'Eglise. XIVe siècle, temps de trouble théologique, philosophique, moral, politique. Les fondements de l'ordre médiéval tout entier commençaient d'être ébranlés. Faut-il s'étonner qu'au modeste niveau des
paroisses rurales, le désordre se fût également établi ?
Soixante
prêtres du diocèse reçurent approbation et compliments : pierre d'angle pour
rebâtir. L'Eglise sait, de vieille expérience, ce que c'est que traverser des
épreuves.
Henri
HOURS
Eglise à Lyon, 1994, n°3