pénurie de prêtres en France
1925
La Pénurie de Vocations sacerdotales
L'ordination de vingt
et un jeunes prêtres, qui vient d'avoir lieu dans notre église primatiale,
comparée aux ordinations deux fois plus nombreuses que nous avons connues dans
des temps meilleurs, nous rappelle, une fois de plus, presque brutalement, que
l'œuvre des vocations sacerdotales est l'œuvre capitale de l'heure présente.
Voici la dure
vérité. Dans notre vieille terre de France, qui jadis fournissait, à elle
seule, la moitié des missionnaires lointains, les prêtres ne suffisent plus
aujourd'hui aux besognes nationales. D'après des chiffres cités par l'Action populaire de Reims, chiffres
d'une rigoureuse exactitude, chaque jour qui vient accroît d'une unité le
nombre des paroisses qui restent sans pasteur. Et, avec chaque prêtre qui
disparaît, c'est une nouvelle église à l'abandon, et, par suite, des âmes en
grand nombre qui seront désormais sans foyer spirituel, sans possibilité de
rachat, sans aliment divin, et bientôt sans vie.
Quels sont les
remèdes à un état de choses aussi triste ? Il est bon de les rappeler ici. On
n'agit fortement qu'avec une forte conviction.
Rappelons d’abord
que le prêtre est, de droit, le premier ouvrier de Dieu dans le saint travail
du recrutement sacerdotal. Les faits sont là pour le prouver. On suit le
passage de certains prêtres, dans les diverses paroisses qu'ils ont occupées, à
la floraison des vocations religieuses ou sacerdotales qu'ils y ont fait
éclore. Que de fois nous avons entendu de bons vieillards, curés ou chanoines,
faire cette réflexion : « Je vais bientôt mourir. Mais une pensée me
réconforte. Je laisse derrière moi plusieurs prêtres que j'ai formés, et qui
feront mieux que moi ». Le prêtre, qui prolonge la durée de son sacerdoce
en amenant aux autels des enfants chez lesquels il a discerné une vocation,
peut regarder, en effet, son avenir éternel avec une complète sérénité d'âme.
Il ne disparaît pas tout entier, au jour de sa mort. Il laisse après lui des
ouvriers qui entreront dans les sillons déjà ouverts et les continueront. En un
mot, il se survit.
Mais le concours du
prêtre ne suffit pas, pour assurer le recrutement sacerdotal. Le concours de la
famille entre aussi dans l'économie des préparations providentielles, et
devient un adjuvant du plan divin. Ce devoir était autrefois admirablement
compris par nos familles chrétiennes. Les parents offraient spontanément leurs
enfants à l'Église, estimant qu'il n'y a pas, ici-bas, de dignité comparable à
celle du sacerdoce. Mais, pour divers motifs, ces belles traditions ou ont
disparu ou se sont grandement affaiblies. On en est arrivé à croire, dans
certains milieux, que la vocation ecclésiastique, au lieu d'être encouragée,
doit être contredite et combattue, si bien qu'à force de les éprouver on tue
ordinairement les vocations. Celles-là seules résistent, qu'une volonté divine
fait triompher de tous les obstacles.
Nous entendons dire
parfois : Il y a assez de prêtres, puisqu'il y a tant de chrétiens qui font
défection. Parole insensée ! Le prêtre n'est-il pas le « sel de la
terre », qui préserve le monde de la corruption, et ne convient-il pas, au
contraire, de jeter ce sel en plus grande abondance sur les plaies de la pauvre
humanité ? Veut-on dire, par là, qu'il faut viser à
la qualité plutôt qu'à la quantité ? Mais est-ce que le petit nombre de prêtres
est la condition ou la garantie de la sainteté ? Le grand nombre même des
vocations en germe favorise.la qualité, parce qu'il permet le choix qui assure
l'élite. Il faut distinguer en effet entre les jeunes aspirants au sacerdoce et
les prêtres eux-mêmes. Qui donc se flatterait de se prononcer sûrement sur
l'avenir de nos petits séminaristes, pour rejeter l'un et préférer l'autre ?
D'après quels principes ferait-on la sélection, dans un âge aussi tendre ? Le
jardinier qui voit ses arbres se charger de fleurs n'en rejette aucune. Il sait
bien que plus d'une se fanera, et ne deviendra jamais fruit. Et, les fruits
formés, encore qu'il les trouve trop nombreux, le jardinier ne se hâte-pas d'en
décharger l'arbre ; il les laisse tomber seuls, veillant à ce que les autres,
ceux qui restent, parviennent à une bonne maturité.
Et alors, quand le
prêtre ou des parents chrétiens ont trouvé dans un enfant des dispositions au
sacerdoce, que doivent-ils faire ? Ils doivent, semble-t-il, veiller d'abord à
ce que ces jeunes enfants se tiennent dans la grâce de Dieu, gardent leur cœur
pur, afin qu'ils entendent mieux la voix du Seigneur. Leur première communion
faite, il importe sans retard de renforcer leur instruction religieuse. S'ils
n'ont pas une foi vive, ces enfants en effet auront beau multiplier les
exercices de piété, ils n'en retireront qu'un médiocre profit. Au contraire,
quand un jeune homme croit fermement que le Christianisme est la vérité venue
du ciel, tout le reste vient par surcroît. Il fait alors tous ses pieux
exercices comme des actes sacrés. Alors aussi il sent son cœur s'émouvoir,
lorsqu'on parle devant lui du sacerdoce ; des sacrifices qu'il exige et des
joies qu'il donne ; des âmes qui se perdent et qu'il faut sauver ; du diocèse,
auquel il appartient, qui manque de prêtres et qui risque d'en manquer encore
demain ; enfin des aînés, morts à la guerre, qui lui disent d'être
généreux. Enfin, après la foi vive, n'oublions pas quels vraie semence
sacerdotale c'est l'Eucharistie. Dans le tête-à-tête quotidien de l'aspirant au
sacerdoce avec Jésus-Christ, une fois ou l'autre jaillira la définitive
question : « Maitre, j'ai gardé vos commandements que me reste-t-il à
faire ? » Et le communiant entendra la réponse du Sauveur : « Va,
quitte tout le créé, et suis-moi ».
L. Picard, ch. tit.
La France va manquer de Prêtres
Les 26, 27 et 28 de
ce mois de novembre se tient à Paris le premier Congrès national de recrutement
sacerdotal. Les plus hauts patronages sont acquis à ce Congrès. On nous demande
nos prières pour qu'il réussisse. Nous les donnons de tout cœur.
Un fait est
certain. La France va manquer de prêtres, et c'est le grand danger de demain.
Il y a disette de
prêtres. — Voici des chiffres. Nous les empruntons au numéro de juin des Dossiers de l'Action populaire. Sur
36.000 paroisses françaises, près de 10.000 sont sans curé. Certains diocèses
comptent jusqu'à 40 et même 48% de paroisses vacantes. Presque le tiers,
exactement 29,6% des prêtres de paroisse ont atteint 60 ans, c'est-à-dire l'âge
où les forces déclinent et où l'on sent le besoin de se reposer. « Nous
avons donc devant nous, ajoute l'Action
populaire, des diocèses voués à une mort prochaine, si un recrutement
intensif ne vient promptement leur infuser un sang nouveau ; des diocèses
où près de la moitié des curés sont des vieillards, où les ordinations se font
de plus en plus rares. C'est la ruine en perspective ». Bientôt, en effet,
si l'on ne repeuple pas nos séminaires, il n'y aura plus que 3 ou 4 prêtres par
canton ou par doyenné, pour assurer le ministère paroissial. La formation
morale et religieuse des enfants sera dès lors forcément incomplète. Les
parents seront les premiers à en souffrir ; ils ne seront guère obéis et de
moins en moins respectés. Beaucoup de malades mourront sans sacrements. Les
fidèles n'entendront parler que de loin en loin de Dieu et de leur âme, et nous
savons que le devoir chrétien s'oublie s'il n'est pas souvent rappelé. Enfin,
dans les paroisses où l'église et le presbytère seront fermés, le dimanche ne
se distinguera plus d'un jour de semaine. Avec la vie religieuse, ce sera un
peu de la vie sociale qui s'en ira. Le dimanche et les jours de fête, à la
sortie de l'église, on se voyait, et on causait entre parents et entre voisins.
Le sentiment de la fraternité chrétienne s'affaiblira donc de plus en plus, et,
avec lui, disparaitront ces vieilles traditions de serviabilité et de charité
qui étaient l'honneur et la force de la famille française.
Mais quelles sont
les causes de la disette de prêtres dont nous souffrons en France ? — Elles
sont multiples. Il en est de sociales : dans tous les diocèses, le nombre des
élèves a faibli, à la suite de la guerre. Il en est d'économiques : par ce
temps de vie chère et de hauts salaires, le prêtre vit littéralement dans la
pauvreté ; il est, a-t-on dit, « le plus pauvre des nouveaux
pauvres ». De cette pénurie de prêtres il y a aussi des causes familiales.
Dans beaucoup de familles on fait échec à Dieu, quand un enfant parle de
vocation. Voilà un enfant qui aspire au sacerdoce. Il veut être prêtre d'une
volonté droite et surnaturelle. Par ailleurs, cet enfant présente les aptitudes
requises. Dans ce cas, l'Église défend aux parents de détourner leur enfant de
la sainte vocation à laquelle il aspire. Relisons à ce sujet l'article 971 du
Code de droit canonique : « Il est défendu, de quelque manière qu'on s'y
prenne, et quelque raison qu'on puisse alléguer, de forcer quelqu'un à entrer
dans la cléricature, ou d'en détourner un
candidat qui réunirait les conditions requises par les Saints Canons ».
Sans doute les parents ont des droits sur leurs enfants, mais ces droits sont
limités par les droits de Dieu. L'Église va même plus loin dans ses exigences.
Elle demande aux parents, de se faire sans hésiter les auxiliaires de l'appel
divin. « Le concours des familles, écrivait naguère le Père Le Floch, supérieur du Séminaire français à Rome, entre dans
l'économie des préparations providentielles et devient un coadjuvant
du plan divin. Il appartient à la mère chrétienne d'exercer un rôle
prépondérant dans ce mystère des prévenances merveilleuses du ciel. Son
autorité s'insinue doucement dans le cœur de l'enfant et travaille avec les
influences secrètes de la grâce. Tout le long des siècles de foi, les femmes de
piété et de haute vertu, particulièrement en France, n'ont pas cru engendrer
des vocations forcées en invitant leurs fils à comprendre la beauté de l'appel
au sacerdoce et à diriger le regard de leurs âmes vers cet idéal ».
Et maintenant,
quels remèdes apporter à la disette des vocations ? — En vérité, il n'est pas
admissible d'admettre, surtout quand il s'agit de la France, que Dieu s'est
retiré d'elle, puisqu'Il ne lui donne plus les vocations dont elle a besoin.
Soyons persuadés au contraire que Dieu sème constamment, chez nous, et presque
dans tous les milieux, des germes de vocations. Il s'agit de les découvrir, et
d'aider à leur éclosion. Comment nous y prendrons-nous ? Nous avons d'abord à
notre disposition les catéchismes préparatoires à la Première Communion. Pendant
ces deux années de préparation, les occasions sont nombreuses, pour le prêtre
et pour le catéchiste auxiliaire, de parler aux enfants de la grandeur et de la
beauté du sacerdoce. Nous avons encore à notre disposition les œuvres de
jeunesse : patronages, cercles d'études, catéchismes de persévérance. Prêtres
et laïques s'efforcent de faire de ces œuvres non seulement des asiles de la
foi et de la vertu, mais encore des foyers de vie religieuse. Doit-on
désespérer de trouver des vocations dans ces divers milieux ? Il n'est guère de
monographies d'œuvres de jeunesse, au contraire, qui ne se fassent gloire de
signaler, au chapitre des résultats, quelques enfants du cercle entrés au
séminaire ou au noviciat. Puis, pourquoi Dieu ne se choisirait-il pas des élus,
parmi les jeunes gens de vingt ans et au-dessus, habitués de nos œuvres ?
L'Église de France, notre diocèse en particulier, n'ont-ils pas eu la joie,
depuis plusieurs années, de voir un certain nombre de ces vocations tardives
venir grossir les rangs du clergé ? Mais le grand remède à la pénurie des
prêtres, c'est la prière. Si précieuses et si indispensables que soient les
ressources matérielles, recueillies chaque année par « l'Œuvre des
Vocations », ces ressources ne suffiraient pas à nous rassurer sur
l'avenir, si, à côté ou plutôt au-dessus d'elles, ne se construisait en même
temps un capital spirituel. Multiplions donc les communions, les messes, les
chapelets, les chemins de croix, les sacrifices de tous genre, à l'intention du
recrutement sacerdotal. Nos prières seront l'armature des autres œuvres. Elles
seront la force invincible, qui peu à peu fera violence au ciel, et lui
arrachera les grâces de vocation et de persévérance dont la France a un si
grand besoin.
Et ainsi, préparer
des prêtres, ce sera préparer des sauveurs à notre pays. Une nation sans
prêtres, c'est un peuple retournant à la barbarie. Joseph de Maistre, qui avait
souvent des axiomes de voyant, a écrit : « Le sacerdoce doit être l'objet
principal de la Pensée souveraine. Si j'avais sous les yeux le tableau des
ordinations, je pourrais prédire de grands événements ». En effet, dans
cette grave question du recrutement sacerdotal, ce n'est pas seulement l'avenir
de l'Église qui est en jeu ; c'est aussi l'intérêt et l'influence de la France.
Il faut à la France des prêtres pour sa rechristianisation.
Il lui en faut pour sa pacification sociale. Il lui en faut pour son expansion
dans le monde. Dieu qui aime notre nation, et qui l'a sauvée sur les champs de
bataille, ne lui refusera pas les prêtres dont elle a besoin sur les champs de
l'apostolat. Ayons donc confiance que l'Église de France trouvera des prêtres
demain, autant et plus qu'hier, des prêtres qui viendront prendre notre place,
continuer nos labeurs, et étendre nos conquêtes.
Puisse le Congrès
de Paris atteindre son but, c'est-à-dire rendre plus ardent et plus fructueux
le zèle des apôtres du recrutement sacerdotal.
L. Picard, ch. tit.
SOURCE :
La Semaine Religieuse, 10
juillet 1925, 27
novembre 1925