GOUVERNANCE ECCLESIALE

 

Depuis quelques années, beaucoup ont pris conscience dans les démocraties représentatives que les élus du peuple ne pouvaient plus décider seuls du sort de leurs concitoyens. Ainsi ont été associés à la prise de décision publique d'une part des individus, électeurs ou non, d'autre part des groupes (corps intermédiaires, milieux professionnels, etc.). Ces formes de démocratie participative sont devenues indispensables au bon fonctionnement démocratique sans que soit remis en cause le pouvoir de légiférer en dernier ressort des élus. Ce mode de gouvernement s'appelle la " gouvernance ".

Le système de gouvernement au sein de l'Eglise catholique avait depuis quelques décennies expérimenté lui aussi des formes participatives. Des colloques de théologiens ou de canonistes ont été consacrés à cela. On pourrait dire que ce que la société politique appelle " gouvernance ", ces théologiens et canonistes l'appellent la synodalité.

 

1. Le principe de synodalité

La difficulté propre à l'Eglise catholique, c'est la combinaison de deux principes qui la régissent :

- le principe hiérarchique
- le principe communautaire.

C'est combinaison est appelée parfois synodalité.

 

1.1. Le principe communautaire

Le principe communautaire caractérise l'Eglise comme entité constituée d'individus agrégés dans un objectif commun : c'est la communauté des disciples du Christ.

Ce principe régit les groupes comme, par exemple, les congrégations religieuses avec des variantes au cours des siècles dans l'exercice du pouvoir des chapitres, la durée de mandat des supérieurs, etc. Le canonicat avait, lui aussi, une dimension collective et le doyen du chapitre un certain rôle, dont il reste quelques traces dans certains diocèses.

Ce principe autorise les formes de débat qui ont traversé les siècles : conférence contradictoire de théologiens, conciles, conclaves, synodes, etc. Certaines ont force délibérative (débattre pour décider), d'autres consultative (débattre pour conseiller).

Le Droit Canon de 1983, dans la mouvance du Concile de Vatican II, commence par aborder la constitution de l'Eglise comme " peuple de Dieu " avant d'aborder sa constitution hiérarchique.

 

1.2. Le principe hiérarchique

 

Le principe hiérarchique caractérise non pas un mode de fonctionnement mais l'essence de l'Eglise : l'Eglise est " sacrée ", c'est-à-dire tire son existence de Dieu et non des hommes. C'est une communauté qui trouve sa cohésion dans sa source et sa fin : elle dépend de Dieu et est faite pour lui. L'origine et la finalité de l'Eglise ne sont pas dans l'Eglise, mais en Dieu. En cela elle est " corps du Christ ".

L'institution d'une hiérarchie au sein de la communauté a pour but de rappeler et organiser cette double attache. La traduction de ce principe dans le fonctionnement, et en conséquence dans l'organisation de ce ministère et de ses compétences, diffère selon les époques et les lieux.

- L'Eglise a connu des époques où le ministère avait guère d'autorité : celle-ci relevait davantage du responsable séculier (roi sacré, seigneur, empereur consacré…).
- Certaines Eglises issues de la Réforme ont refusé l'organisation d'un ministère spécifique et ont signifié par là que la Parole de Dieu est l'unique référence de la communauté.
- L'obligation de résidence des évêques dans leur diocèse date de quelques siècles seulement. Souvent le gouvernement était exercé par un vicaire général ou un administrateur.
- La traduction de ce principe en un fonctionnement pyramidal relève d'une pratique relativement récente. Dans les siècles passés il y avait entrecroisement des pouvoirs (abbés, évêques, principe catholiques, etc.) et une certaine confusion à laquelle le droit Canon de 1917 a mis fin.

 

Ce qu'on nomme aujourd'hui le principe de synodalité est le mixte de ces deux principes : c'est un principe dont l'exercice connaît de hauts et des bas. Il n'est qu'à se rappeler les difficultés d'organisation du dernier Concile, celles des synodes continentaux, romains ou diocésains.

 

2. L'organisation synodale

 

Si le contexte actuel met l'Eglise en demeure de s'adapter, il convient de se dire que l'Eglise ne fait jamais que cela depuis vingt siècles.

 

2.1. Le défi ecclésial

Le défi qui est lancé à l'Eglise catholique est permanent :

- comment montrer et vivre dans son organisation ce qu'elle pense être vraiment ?
- avec quels types de ministères (des diacres ou non, prêtres religieux ou séculiers…) ?
- avec quels types d'assemblées (concile, synode, conseil, chapitre…) ?
- avec quels types d'autorité (directives, conseils, motu proprio…) ? …
- etc.

Ce qui se met en place dans la réorganisation territoriale des diocèses, par exemple, n'est pas la conséquence de la raréfaction des prêtres : celle-ci est l'événement qui oblige les Eglises territoriales à repenser leur organisation pour mieux correspondre à leur essence dans un contexte nouveau. De même, lorsque l'Eglise catholique s'est interrogée sur la langue à utiliser dans la prière commune, ce n'est pas que l'on découvrait subitement que le latin n'était plus parlé, mais que surgissait l'idée d'associer les fidèles à la célébration.

 

2.2. Le contexte

Le contexte récent de l'Eglise catholique en France est marqué par plusieurs éléments comme :

- l'apparition de nombreux laïcs responsables (dans les mouvements, dans les paroisses, dans les nouvelles communautés),
- l'exigence de transparence des populations dans les prises de décision (au niveau de la politique, de la vie associative…),
- le mode spectaculaire de la visibilité ecclésiale (voyages du Pape, rassemblements charismatiques, événements diocésains…),
- le vieillissement du clergé (peu de renouvellement),
- etc.

Ce contexte est l'occasion de mettre en œuvre l'originalité de l'Eglise et non point de se mettre au goût du jour. Cette démarche d'aggiornamento est en même temps un retour aux sources, comme le disaient les Pères du Concile Vatican II. C'est un façon de redécouvrir ce qu'est l'Eglise (catholique) en s'adaptant à un contexte inédit.

 

2.3. La mise en œuvre

Comme dans toutes les réformes, il convient de garder les yeux fixés sur des repères : ce sont les " valeurs ", disent les sociologues, que l'on cherche à traduire en actes. Les moyens ne sont pas les finalités ; ils doivent correspondre aux finalités.

Un certain nombre d'éléments empruntés à la sociologie des organisations nous permettraient sans doute d'avancer avec des outils et des méthodes éprouvées (processus de décision, conduite de projet, évaluation…), qui libéreraient les esprits pour que les esprits restent concentrés sur les finalités propres à l'Eglise diocésaine :

Une fois assimilées ces manières de faire, c'est au niveau des valeurs que les agents pastoraux doivent se positionner :

- quel sens a telle réforme ?
- quel objectif est poursuivi, par exemple, dans une restructuration des paroisses ?
- quel est l'objet même d'une paroisse ?
- telle restructuration sert-elle cette finalité ?
- etc.

Si l'on ne fait pas cette évaluation au niveau des valeurs, on n'en restera à l'évaluation des moyens et on jugera seulement de la simplification de la tâche, de l'adaptation de l'offre de services, de l'économie de coûts, etc. Mais on ne s'interrogera pas à partir de l'essence même de la communauté ecclésiale. Là sans doute apparaîtront des divergences d'appréciation selon les ecclésiologies de chaque acteur. Dans le cas d'une restructuration paroissiale, les interrogations sur les " valeurs " pourront prendre des formes différentes, comme par exemple :

- le culte à Dieu est-il mieux rendu ?
- la mission est-elle plus dynamique ?
- la prière personnelle est-elle favorisée ?
- la responsabilité baptismale est-elle mieux exercée ?
- etc.

Selon les options théologiques et pastorales qui portent les uns et les autres dans leur tâche, les appréciations ne seront donc pas identiques ni les moyens mis en œuvre pour répondre à une situation pourtant semblable. Ce sera l'objet de débat, de confrontation. Ce sera une mise en œuvre du principe de synodalité. D'ailleurs le Conseil diocésain de pastorale a parmi ses missions celle d'évaluer la pastorale.

 

Gramat, 1999-2000