Charles
Démia
(1637-1689)
et les
petites écoles
Pourquoi ne dit-on jamais que l'enseignement
primaire français est né à Lyon? Peut-être tout simplement parce qu'à Paris on
ne sait pas trop où se trouve Lyon ? Non, certes, que personne n'ait jamais
songé ailleurs à apprendre à lire, écrire et compter aux petits enfants, ni que
de nombreux essais n'aient jamais été tentés et réussis, mais c'est à Lyon que,
pour la première fois, fut conçue et menée à bien une organisation d'ensemble
et cohérente destinée à l'instruction
élémentaire des enfants du peuple.
Son fondateur, Charles Démia, naquit à Bourg, le 3
octobre 1637, dans une famille de la bourgeoisie. Après une scolarité chez les
jésuites de Bourg, puis de Lyon, il fit son droit et, en 1659, fut l'un des
premiers pensionnaires du séminaire lyonnais, tout juste naissant. Le supérieur,
M. Hurtevent, l'envoya à Paris achever
sa formation, principalement à Saint-Sulpice. Là, il s'imprégna de l'esprit des maîtres de
l'Ecole française, et découvrit les deux énormes questions, distinctes mais
voisines, de la formation sacerdotale et de l'éducation populaire. Ordonné à Paris
le 14 mai 1663, il donna quelques missions dans le Val de Loire, puis rentra à
Bourg, où il tint chez lui des conférences ecclésiastiques et des catéchismes. L'archevêque
Camille de Neuville le remarqua et lui confia la visite régulière des paroisses
de Bresse, Dombes et Bugey, puis, en 1665, l'appela à Lyon
dans le petit groupe de direction du diocèse, comme promoteur diocésain avec
charge de contrôle du clergé.
Il eut ainsi toute facilité de
mûrir ses réflexions sur l'éducation populaire et les besoins d'écoles
gratuites, qu'avait enrichies d'expérience son activité de visiteur. Le
résultat en fut un projet qu'il soumit, en 1666, au consulat de Lyon dans des
Remontrances... touchant l'établissement des écoles chrétiennes pour
l'instruction des enfants du pauvre peuple. Il s'agissait de donner aux
écoliers, dans une atmosphère de piété chrétienne, à la fois
les bases de lecture, écriture et calcul, qui, à ses yeux, avaient leur valeur
propre, et en même temps une formation à la pratique religieuse, aux
notions morales fondamentales, au travail, de façon à en faire
de bons chrétiens attentifs au salut de leurs âmes et de bons travailleurs
utiles à la société. Ces vues correspondaient étroitement à celles
de la Compagnie du Saint-Sacrement qui, dès 1659, s'était posé la question des
écoles. C'est tout naturellement qu'elle aida financièrement Démia à fonder sa première école sur la paroisse Saint-Georges, en 1667,
avant même qu'il fût admis parmi ses membres, en 1669.
Pour développer l'œuvre, il
fallait l'organiser. En 1672, l'archevêque nomma Démia
directeur des petites écoles du diocèse, qu'elles fussent, ou non, fondées ou
dirigées par lui. L'année suivante, fut institué un Bureau des Ecoles, composé
de laïcs et d'ecclésiastiques, chargé, sous la présidence de Démia, du contrôle et de l'inspection. En
1674, un arrêt du Conseil soumit l'ouverture et la tenue de toute école à l'autorisation
et au contrôle de l'archevêque, et donc du directeur diocésain. Soucieux du
recrutement des maîtres, Démia venait de fonder, en
1672, une communauté d'où sortit le Séminaire Saint-Charles destiné par lui à former,
dans l'esprit de pauvreté, de saints prêtres pour instruire les pauvres. Ce
séminaire devait disparaître en 1790.
D'autre part, ayant ouvert, en
1675, les premières écoles de filles, grande nouveauté, il organisa,
parallèlement au Bureau, une "Compagnie de dames" ayant même
compétence sur l'enseignement féminin, puis une communauté de filles qui
devint, en 1680, la congrégation des sœurs de Saint-Charles, toujours bien
vivante, aujourd'hui, et active dans l'enseignement.
Les écoles qui, au siècle
suivant, se multiplièrent dans le diocèse (le nombre ne peut en être chiffré,
mais il est considérable), reçurent la pédagogie de Démia
: cadre scolaire rigoureux, horaire chargé, enseignement méticuleusement
progressif et lent, compensant la pénurie de maîtres par l'enseignement mutuel,
souci de stimuler les élèves par la répartition en niveaux de connaissances et
par un système rationnel de questions, de "disputes" et d'émulation.
Ce prêtre "plein de Dieu" (R. Gilbert) mourut à Lyon,
le 23 octobre 1689, et fut enterré, comme il l'avait demandé, dans la chapelle
du séminaire Saint-Irénée, aux pieds de son maître M. Hurtevent.
Henri HOURS
Eglise
à Lyon,
1998, n°7
- voir notice sur le Séminaire Saint-Charles