musée du diocèse de lyon

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légende de la translation des reliques

des saints Rambert et Domitien

(fin XIè s.)

 

 

 

 

 

Commencement de l’histoire de la translation de saint Rambert.

 

 

Alors que plusieurs écrits ont exposé les différentes sortes de tortures et de souffrances endurées par les martyrs et les confesseurs, nous sommes impatients de prendre notre petite part de responsabilité en transmettant des documents qui décrivent comment parvinrent jusqu’à nous ces deux étoiles qui éclairent le monde, que sont bien sûr le réputé martyr Rambert et le remarquable confesseur Domitien, eux qui ont rendu célèbres par leurs corps notre lieu saint et notre famille religieuse.

 

Bien que leurs mérites et les preuves des miracles accomplis soient nombreux, presque innombrables, cependant nous n’en abordons que quelques-uns, pour ne pas être lourds et désagréables, et n’étonner personne de ce que, ne maîtrisant pas suffisamment le langage romain, nous abordions une matière si abondante. En effet nous la transmettons dans cet esprit : permettre à quelqu’un de supérieur à nous par l’intelligence et plus fort en éloquence, comme par exemple le rhéteur Arnobe ou Hérodote, d’ôter par son talent et sa finesse les fleurs des tribules et les roses des épines, pour traduire avec la douceur du nectar à la postérité la translation de ces saints, que nous donnons ici dans un style bien trop grossier et confus.

 

Après que Clovis roi des Francs ait coupé d’une criminelle audace un bras du martyr saint Denys, la fatalité s’est abattue sur les Francs et tout empira pour eux au point que la dignité royale tomba entre les mains de nobles qui accaparaient tout et qui dirigeaient tout jusque dans le palais royal. Parmi eux il y avait Ebroïn dont la cruauté était plus connue que celle des autres. Il écarta ses partenaires pour avoir tout pouvoir, et régna lui-même sous couvert du roi Théodoric. Mais les Francs chassèrent du trône Théodoric qui régnait comme un tyran, et forcèrent Ebroïn à entrer dans un monastère en raison de sa méchanceté et de sa fourberie.

 

Il devint apostat, fut mis à l’écart pour son esprit de mensonge par celui qui avait deux et vingt ans. Sorti du monastère, il s’en prit aux nobles restés fidèles, priva de leurs dignités ceux qu’il jugeait rivaux à sa méchanceté, confisqua leurs biens ou leur interdit l’eau et le feu. C’est ce dit l’apôtre à propos des fidèles de l’Eglise naissante : «  Les uns sont écartelés, d’autres subissent l’épreuve des moqueries et des fouets, et même celle des chaînes et de la prison ; ils sont sciés, torturés, mis à mort sous le tranchant du glaive »

 

Lorsque se déchaînait cet ouragan de persécution, Ebroïn ordonna de faire périr saint Rambert, fils du réputé duc Radebert, en tant que chrétien. Alors que ce fourbe se déchaînait encore, il fut lui-même tué dans une mort honteuse par l’officier Ermenfroi accomplissant le juste jugement de Dieu. Comme le roi poète le chante à propos des pécheurs : « la mort des pécheurs est la pire », condamné à la seconde mort il est jeté aux feux éternels ; ainsi se raconte l’histoire de sa disparition.

 

En ce temps-là un de ceux à qui Ebroïn avait arraché les yeux s’était retiré dans l’île de la province de Lyon qui reçut le nom de Sainte-Barbe. Alors que par une nuit profonde sur la rive du fleuve Saône il avait reçu la grâce de la prière, il entendit le mouvement de bateliers à la force de leurs bras maniant les avirons à grand rythme pour dominer la lenteur de ce fleuve. Et comme il demandait où ce navire se hâtait, une voix glissa à ses oreilles ceci : « c’est Ebroïn que nous déplaçons vers la Marmite de Vulcain, où il subira éternellement les châtiments des crimes ». Ce confesseur du Christ accueillit cela pour sa propre consolation ; et pour qu’il comprenne quelles peines attendent les persécuteurs des gens de bien et même plus que s’accomplisse cet oracle du psalmiste « le juste se réjouira à la vue de la vengeance ».

 

L’officier qui était venu à bout d’Ebroïn, l’ennemi de Dieu et de toute la religion, fuyait vers Pépin pour échapper au danger de mort. Ce Pépin était fils du prince Anchise le romain, père de Charles Martel, et Charles Martel engendra Pépin, père de Charles le Grand le très auguste empereur. Ceci est évoqué au sujet des rois et princes pour que n’importe qui comprenne en quel temps et sous le commandement de quel prince le très fort athlète du Christ Rambert a trouvé la mort, maintenant que nous allons expliquer la translation de son corps jusqu’à nous.

 

Alors donc que sur l’ordre du prince impie Ebroïn Rambert, le martyr du Christ, avait subi courageusement le martyre en Bourgogne, en ce même lieu où il reposait après sa passion, mais bien plus tard, il apparut en songe à l’un de ses dévoués et lui suggéra de bien vouloir l’emmener de là et l’emporter en terre lyonnaise.

 

Celui-ci épouvanté d’une telle vision en songe, au matin arriva au sépulcre du Martyr ; après avoir invoqué le nom du saint Martyr il pria en ces termes : « Dieu très saint et aimé, si la vision que j’ai eue la nuit dernière est de toi, ne tardes pas à la renouveler ». En fin de journée quand le sommeil lui fut donné, le Martyr se tint là en habit rouge de sang et lui dit : « Pourquoi doutes-tu de moi et refuses-tu de m’éloigner de ce lieu ? Pourquoi n’obéis-tu pas à mes paroles ? » Lui, au point du jour se leva et se dirigea une deuxième fois vers le sépulcre du Martyr et se prosternant à terre il rendit grâce à Dieu et à saint Rambert d’avoir été averti une deuxième fois de la même chose, et demanda que ce qu’ils ont daigné lui révéler une deuxième fois, ils ne s’opposassent point à lui annoncer une troisième fois. S’ils le faisaient, c’est toute crainte rejetée qu’il irait dans la province indiquée, selon la volonté de Dieu son guide qui par le prophète dit : « Ne crains rien devant eux, car je suis avec toi pour te délivrer ».

 

C’est pourquoi au troisième jour, parce que est dit à Dieu lui appartient, avant que le jour n’illumine les terres, il commença à réfléchir en lui-même. Si une troisième fois la vision que j’ai eue m’apparaît, je prendrais la route sans hésitation, Dieu m’indiquant par signe où je dois me diriger. A peine ceci dit, voici saint Rambert qui te dit : « lève-toi vite et avance d’un pas rapide vers le lieu que le Seigneur t’indiquera, et là tu trouveras les os de mon corps, avec les reliques de saint Domitien ; emporte-le sûrement par-delà le fleuve Loire au monastère Saint-André dans le comté du Forez ». Après avoir entendu cela, il se réjouit sans mesure qu’une troisième fois il ait été averti avec soin de tout cela par l’homme de Dieu. La nuit suivante, alors qu’un silence paisible enveloppait tout et que la nuit en était au milieu de son cours, le cœur en émoi il s’approcha du saint sépulcre du glorieux martyr et, adorant Dieu, il pria dans ces termes : « Seigneur Jésus Christ, toi qui aimes et répands toute ta bonté, toi qui fis sortir Lazare du tombeau après quatre jours, toi qui ouvris ton glorieux sépulcre en te dressant vainqueur, ouvre-moi le sépulcre de tes saints, non pour mes mérites mais pour les leurs, afin que je puisse plus facilement emporter leurs corps au lieu que toi mon Seigneur et Sauveur leur as préparé».

 

Il vit aussitôt rouler la pierre de la porte du tombeau ; il frémit, puis s’avança, et la stupeur se dissipant avec l’habitude, il osa saisir en avançant la main les corps de l’un et l’autre saint et les déposer dans les bagages qu’il avait préparés pour cette tâche, et de là il s’empressa de prendre la route tout empli d’une immense joie.

 

Alors qu’il parvenait à la pente du château-fort, appelé communément Yzeron, fatigué du chemin, il s’était assis au bord de la route à l’ombre d’aubépines ; les chasseurs du comte Gillin s’étaient arrêté en ce lieu pour lever un lièvre des buissons. Ce dernier s’approchant des objets sacrés, comme s’il dédaignait le danger, resta intrépide auprès d’eux. Et les chiens, qui aboyaient avec acharnement pour lever de loin la bête, n’osaient pas approcher plus près. Les chasseurs épouvantés se demandaient l’un à l’autre : « qu’est-ce que cela ? » ou « qui a jamais vu pareilles choses ?  « revenons annoncer à notre seigneur le comte les choses étonnantes qui se sont passées sous nos yeux, c’est la volonté divine que ce fait soit connu par la suite ».

 

Ils arrivent, racontent le fait ; le comte est étonné et bouleversé d’une chose inaccoutumée ; il se lève et se hâte d’aller en ce lieu vérifier si ce qu’on raconte est vrai. S’approchant, il voit le porteur des reliques sacrées, qu’il avait déposées jusqu’à ce que il se soit un petit peu remis, et non loin le lièvre couché. Le cœur en émoi le comte s’adresse ainsi à l’homme : « qui es-tu ? où vas-tu ? qu’emportes-tu dans tes bagages ? » Celui-ci lui dit : « qui je suis ? où j’avance ? qu’est-ce que j’emporte ? Ecoute un peu : je suis le serviteur de Dieu et du très saint martyr Rambert dont j’amène le corps et celui du saint confesseur Domitien, par-delà le fleuve Loire au monastère de saint André dans le comté de Forez, comme il le veut et le prescrit ».

 

En écoutant cela le comte se réjouit d’une immense joie. (Il était en effet le père du dit monastère, et en était appelé père temporel). Il dit : « demeure ici le temps qu’il faut pour faire venir les populations d’alentour ; que nous avancions ensemble avec un peuple en nombre dans des supplications solennelles ». Et sans délai il envoya les siens avertir les recteurs du monastère et les ecclésiastiques qui sont de l’autre côté de la Loire pour qu’ils viennent avec les ornements au-devant des reliques des saints jusqu’au bord du fleuve.

 

Bientôt, le lièvre laissé à lui-même, il appelle clergé et la population la plus proche par l’intermédiaire des siens ; comme ils ont entendu que de tels trésors arrivent là, ils se précipitent par groupes désirant voir de près les choses étonnantes qui se sont passées, et retrouver la santé du corps. Rassemblés en un seul corps ils s’en vont vers la Loire. Et déjà sur l’une et l’autre rive la population, presque innombrable, se tient en prière. Chose étonnante, digne de reconnaissance, puissance admirable de Dieu ! Avec peine les reliques sacrosaintes arrivent avec le peuple près de l’eau ; alors les eaux se divisent comme un mur à droite et à gauche, tel le Jourdain quand il revint en arrière, ou la Mer Rouge quand les fils d’Israël la traversèrent à pied sec, accomplissant le mot du psalmiste : « ils traversèrent le fleuve à pied », et encore ce que l’Ecriture dit ailleurs : « le courant s’est arrêté », ainsi un grand nombre de poissons sortit des eaux retirées de chaque côté.

 

Nous ne voulons ne pas laisser de côté tout ce que le Seigneur fit par ses serviteurs

 

En effet alors que le peuple, à pied sec, avec les reliques des saints, traverse le fleuve, et qu’il ne restait plus personne de cette grande multitude, cependant la Loire restait divisée en deux. C’est pourquoi le comte frappé de stupeur ordonna à quelqu’un de monter à l’arbre le plus proche pour qu’il voit par lui-même si la bonté divine ne daignait pas montrer un nouveau prodige puisque le fleuve encore maintenant cessait de couler. Ceci fait, un jeune homme, l’arbre escaladé, jetant son regard au loin vit s’approcher une vieille femme claudiquant. Aussi dit-il aux gens présents : « je vois une femme sur trois pieds qui vient vers nous en traînant le pas ».

 

Après l’avoir entendu, le comte et le reste de la foule comprirent que cela était une œuvre divine, pour que celle qui accompagnait les reliques des saints d’une profonde ardeur puisse traverser par le même sentier à sec que le reste de la foule. Ils attendent donc qu’elle arrive et pénètre au milieu du fleuve, et aussitôt qu’elle eut passé sur la rive opposée, commença à couler selon l’habitude le saut de la Loire.

 

Le peuple se tenait alentour, les uns laissant aller des larmes de joie, d’autres prononçant des vœux, d’autres encore rendant d’abondantes grâces à Dieu et aux saints. Bientôt, en une longue procession, chantant hymnes et cantiques spirituels, ils parviennent au monastère de Saint André, où sont placées ensemble avec déférence les reliques des saints Rambert et Domitien.

 

Un laps de temps plus tard, la ville reçut le nom de saint Rambert où convergent de tout lieu des infirmes implorer la protection du Divin par l’intermédiaire du très fort athlète du Christ, et nul s’en est allé vers elle jusqu’à jour qui n’ait rien reçu Et si le Divin cherche à répandre sa tendresse sur tout le monde, combien plus daignera-t-il apporter son aide à nous ses dévoués auprès de qui il repose.

 

En ce lieu donc, au jour anniversaire de sa translation, avec son secours efficace nous mériterons de partager la nature divine par toutes les grâces de Notre Seigneur Jésus- Christ, qui vit et règne avec Dieu Père et Saint-Esprit pour les siècles des siècles. Amen.

 

 

 

 

 

 

NOTES

 

 

Rambert : dit aussi Rembert ou Ragnebert

 

in partem sollicitudinis : s’oppose dans le droit ecclésiastique du Moyen Age à in partem potestatis, l’un caractérisant la responsabilité locale des évêques, l’autre celle du Siège romain (voir RIVIERE)

 

lieu saint : traduction de locus

 

famille religieuse : traduction de gens

 

le langage romain : la langue latine

 

tribules : fleur appelée aussi croix-de-Malte ou épine du Diable

 

Clovis : Clovis II, fils de Dagobert I et père de Clotaire, Childéric et Théodoric

 

roi Théodoric : ou Thierry

 

celui qui avait deux et vingt ans : il s’agirait de Chilpéric monté sur le trône à 22 ans, si la traduction est exacte

 

les uns sont écartelés, d’autres subissent l’épreuve des moqueries… : Hébreux 11/35.

 

roi poète : David

 

la mort des pécheurs est la pire : Psaume 33/22

 

la seconde mort : celle du péché

 

la Marmite de Vulcain : l’Enfer

 

le juste se réjouira à la vue de la vengeance : Psaume 58/11

 

Anchise le romain : Ansegise dit ici le romain pour montrer l’antiquité de la famille carolingienne

 

ne crains rien devant eux, car je suis avec toi pour te délivrer : Jérémie 1/8

 

comte Gillin : ou Videlin ou Guillaume

 

père temporel : responsable économique

 

ils traversèrent le fleuve à pied : Psaume 66/6

 

le courant s’est arrêté : Exode 15/8

 

Bourg de Fauce-Magne : Saint-Rambert-d’Albon

 

S.Rambert du Bourg de l’Ile-Barbe : Saint-Rambert-l’Ile-Barbe (actuellement quartier de Lyon 9ème arrdt)

 

S.Rambert de Noailles dans le Lyonnais : inconnu

 

 

 

TEXTE LATIN

 

 

-      LABOUREUR Claude, 1681, Les Mazures de l'abbaye royale de l'Isle-Barbe lez Lyon, ou Recueil historique de tout ce qui s'est fait de plus mémorable en cette église depuis sa fondation jusques à présent, avec le catalogue de tous ses abbez,

T. I. Les Mazures de l'abbaye royale de l'Isle-Barbe, ou Histoire de tout ce qui s'est passé dans ce célèbre monastère, depuis sa sécularisation jusques à présent, où se voyent les généalogies et preuves de noblesse de ceux qui ont esté receus dans cette abbaye, pp.75sq

 

Ce texte en latin est inséré dans l’un des chapitres de l’ouvrage écrit en français de LABOUREUR sur l’histoire de l’abbaye de l’Ile-Barbe, de cette manière :

 

Chapitre XVII

… Mais il est temps de voir l’histoire de la translation de nos Saints, tirée des Leçons du Bréviaire de l’Eglise de S.Rambert, première fille de l’Abbaye de l’Ile-Barbe

 

(TEXTE LATIN)

 

Voilà le récit de la translation de ces saints, qui est si bien circonstancié que je le tiens pour authentique, et les miracles qui s’ensuivirent ont été si fréquents et si célèbres que depuis ce temps l’Eglise et le Monastère de S.André en Forez ont changé de nom et l’affluence des Pèlerins abordants en ce lieu, du petit Occianum a fait une jolie Ville qui porte le nom de son nouvel hôte S.Rambert.

 

Quantité d’autres lieux de la dépendance de l’Ile-Barbe ont pris le même saint pour leur Patron, comme le Bourg de Fauce-Magne aujourd’hui appelé S.Rambert, à cause de l’Eglise et du Prieuré fondé en l’honneur du saint par un archevêque de Vienne. L’Eglise de S.Rambert du Bourg de l’Ile-Barbe, bâtie depuis l’an 1183, car en ce temps ce bourg avait pour patrons les SS Eléazar et Minerve martyrs. S.Rambert de Noailles dans le Lyonnais, sans parler de l’Abbaye de S.Rambert en Bugey d’où le saint fut transféré en Forez.

 

 

 

DOCUMENTS

 

 

-      GUICHENON Samuel, 1650, Histoire de Bresse et de Bugey, Légende de saint Ragnebert, extraite du Bréviaire de la même Abbaye de S.Rambert. (Saint-Rambert-en-Bugey)

 

-      LA MURE Jean (de), 1675, Histoire des ducs de Bourbon et des comtes de Forez, (éd. 1860), volume 1, pp.102-103, volume 3, preuve 22bis.

 

-      DEPERY Jean Irénée, 1834, Histoire hagiologique de Belley, ou Recueil des vies des saints et des bienheureux, tome 1, Saint Ragnebert

 

-      COLLOMBET François Zénon, 1851, Vie de saint Rambert, soldat et martyr au VIIe siècle

 

-      SIGNERIN Charles, 1900, Histoire Religieuse et Civile de Saint-Rambert en Forez

 

-      RIVIERE Jean, 1925, In partem sollicitudinis. Evolution d'une formule pontificale, Revue des Sciences Religieuses, 5/2, pp.210-231

 

-      C.E.F., notices sur saint Domitien et saint Rambert

 

-      site forez-info, Petite histoire de Saint-Rambert

 

-      voir notice sur le Prieuré de Saint-Rambert-en-Forez

 

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