LA REFORME DU BAPTEME DES PETITS ENFANTS

DANS LE DIOCESE DE LYON, 1988

 

UNE COMMUNICATION AMBIGUË

 

 

 

 

 

 

Sommaire

Introduction

1. analyse de la communication

2. analyse des représentations

3. analyse sociologique

4. analyse de la régulation

Conclusion

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

INTRODUCTION

 

 

L’expérience pastorale montre qu’il peut exister un hiatus entre ce que les fidèles viennent demander à un responsable pastoral et ce que celui-ci peut, veut leur offrir comme service ou bien d’Eglise (sacrement, conseil, engagement…). C’est au cours d’échanges qu’apparaissent souvent accords et divergences de vues.

 

 

1. L’entretien pastoral, acte de communication

 

Ces entretiens pastoraux prennent la forme duale ou groupale.

-        Le responsable pastoral reçoit une personne, un couple, une famille…, et ce pour une demande de baptême, de mariage, de funérailles, de messe...

-        Le responsable pastoral anime une rencontre de :

-        préparation au baptême, au mariage,

-        préparation de la liturgie des funérailles ou dominicale...,

-        de parents d’enfants catéchisés,

-        de jeunes collégiens et lycéens,

-        etc.

L’objet de l’entretien est généralement l’enseignement ou le culte, les deux piliers de la foi chrétienne, à partir desquels se développent les autres activités ecclésiales.

 

L’entretien pastoral peut être étudié comme situation de communication où des interlocuteurs échangent autour d’un objet selon des modes particuliers. Nous prenons le cas de la communication pastorale à propos de la réforme du baptême des petits enfants dans le diocèse de Lyon en 1988.

 

 

2. Contexte de la réforme

 

Le diocèse de Lyon s’est engagé dans une réflexion sur la pastorale du baptême des petits enfants. Le déroulement de cette réforme a déjà été décrit (1) et des évaluations en ont été faites. (2).

 

En 1988, la décision épiscopale fut de proposer le baptême par étapes sur le modèle du baptême des adultes pour les enfants de moins de 2 ans.

 

A propos de leur petit enfant, trois propositions étaient faites aux parents :

-        le baptême,

-        l’accueil, constituant la première du baptême, dont les étapes ultérieures seront vécues par l’enfant durant sa catéchèse ou ensuite,

-        la présentation qui constitue un engagement des parents à respecter le choix futur de l’enfant, avec ou non une éducation chrétienne ecclésiale.

 

Une action de communication fut décidée avec, entre autres, deux moyens écrits présentés et analysés ici :

-        un tract distribué à tous les catholiques du diocèse,

-        un tract remis aux parents lors de leur première rencontre avec un responsable pastoral.

 

Nous étudierons rapidement cette communication sous quatre angles :

-        analyse de la communication, pour en préciser le schéma,

-        analyse des représentations pour mettre à jour les représentations théologies du baptême induites dans cette opération,

-        analyse sociologique, pour décrire la contextualisation de cette réforme,

-        analyse de la régulation, pour identifier les règles à l’œuvre dans cette réforme.

 

 

Les théories de la communication, des représentations et de la régulation et leurs applications aux pratiques liturgiques sont analysées dans DECOURT Georges, 1990, La Régulation théologique des pratiques liturgiques. L'orthopraxie liturgique, thèse doctorat en théologie catholique de l’Université catholique de Lyon.

 

Cette réforme est décrite dans le document Réforme du baptême des petits-enfants de 1988.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1         ANALYSE DE LA COMMUNICATION

 

 

Aspects théoriques

 

LE SCHEMA DE COMMUNICATION PASTORALE DE LA REFORME DU BAPTEME

 

Nous identifions les instances et relations à partir du responsable pastoral :

 

-        Emetteur

1.      réel : le responsable pastoral, prêtre, accueillant ou parent de l’équipe-baptême de la paroisse.

2.      construit : le responsable pastoral tel qu’il se voit dans sa mission, tel qu’il pense que les parents le voient.

-        Récepteur

1.      réel : les parents qui viennent à la paroisse.

2.      construit : les parents tels que les voit le responsable pastoral, tels qu’ils se voient eux-mêmes dans une telle démarche.

-        Canal

1.      réel : un tract diffusé à grande échelle

2.      construit : le tract tel que le responsable pastoral le voit comme moyen d’échange, tel que les parents le voient.

-        Message

1.      réel : contenu du tract.

2.      construit : les signifiants du tract avec leurs significations pour le responsable pastoral et pour les parents.

-        Référent

1.      réel : les propositions du diocèse de Lyon.

2.      construit : ce que le responsable pastoral retient des propositions diocésaines.

 

-        Relation d’animation : le responsable pastoral utilise le tract.

-        Relation de participation : les parents utilisent le tract.

-        Relation d’allocution : l’échange verbal autour du tract entre le responsable pastoral et les parents.

-        Relation d’expression : le commentaire du responsable pastoral sur le contenu du tract.

-        Relation de perception : le commentaire des parents sur le contenu du tract.

-        Relation de modalisation : ce que le responsable pastoral pense qu’il a à dire des propositions diocésaines.

-        Relation d’implication : ce que les parents retiennent des propositions diocésaines.

-        Relation de représentation : les significations contenues dans les propositions diocésaines qui donnent une, des, théologie(s) du baptême.

 

 

 

 

 

 

 

2         ANALYSE DES REPRESENTATIONS

 

 

 

ANALYSE DE CONTENU DES TRACTS

 

2.1         LA DOUBLE REPRESENTATION DU BAPTEME

 

Dans le tract vert destiné à tous les catholiques, deux (re)présentations du baptême sont proposées qui supposent des données communément admises par les interlocuteurs : c’est l’implicite du texte.

 

2.1.1      L’implicite de la communication

 

Ø  L’implicite de la représentation du « baptême décision »

 

Le baptême, c’est d’abord une décision, prise d’un commun accord, entre des personnes qui le demandent et l’Eglise qui en est responsable.

 

■En définissant la situation de communication de manière claire avec, d’un côté, les personnes qui demandent le baptême, de l’autre côté, l’Eglise qui est responsable du baptême,

-        les parents ne demandent pas pour eux le baptême mais pour un tiers absent du dialogue,

-        les parents ne sont pas considérés comme membres de l’Eglise avec laquelle ils dialoguent,

-        les parents ne sont pas considérés comme responsables du baptême.

 

■En définissant le baptême comme une décision, on écarte d’autres définitions comme une tradition familiale, une habitude sociale. La définition du baptême comme coutume ne signifie pas a priori qu’il n’est pas vécu de manière personnelle.

 

■En définissant le baptême comme un commun accord entre demandeurs et responsables, c’est insinuer qu’il y a une négociation possible, à moins que l’accord soit une ratification de ce que l’Eglise propose.

 

 

Ø  L’implicite de la représentation du « baptême cadeau »

 

Le baptême se reçoit comme un cadeau de Dieu : on le désire au fond de soi et on s’y prépare en Eglise.

 

■La préparation au baptême est justifiée ainsi : comme le baptême est un cadeau de Dieu (langage de la grâce), il doit être désiré par le demandeur, et la préparation sert à vérifier s’il y a désir, à entretenir ce désir, etc.

 

■Comme il ne s’agit pas du désir du tout petit mais de celui de ses parents entourés de parrains et marraines, en fait, on sensibilise ceux-ci au désir de l’enfant grandissant. Il s’agit de rendre responsables les parents du baptême de leur enfant : c’est la représentation du baptême-décision. Pour rester fidèle à la représentation du baptême-grâce de Dieu, on aurait du parler de se préparer à recevoir cette grâce.

 

Si la grâce du baptême c’est la foi (voir le rituel tridentin du baptême : « Que demandez-vous à l’Eglise ? La foi. Que vous donne la foi ? La vie éternelle. Entrez dans l’Eglise de Dieu »), peut-être s’agirait-il de la foi des parents, et le baptême du petit enfant serait vécu comme une « confirmation » du baptême de ses parents, à la fois leur décision et le cadeau de Dieu. Le lieu de rencontre de cette décision de baptisés, qui deviennent responsables du baptême de leur enfant, et de cette grâce qui Dieu leur donne, c’est l’Eglise. Mais cela n’est pas explicité.

 

 

2.1.2      Une représentation double

 

Ø  La représentation du « baptême décision ».

 

Cette représentation appliquée au baptême des petits enfants pose problème.

 

En effet, si le baptême est une décision, devrait être exigé, comme pour le mariage, le libre consentement.

 

Or, c’est précisément le refus de faire baptiser le petit enfant qui respecte cette condition : l’Accueil serait alors la solution qui permet à la fois d’affirmer la responsabilité de parents en faisant de l’enfant, dès ses premiers mois, un membre de l’Eglise, un catéchumène, et la responsabilité du catéchumène poursuivant la démarche initiée par ses parents.

 

Dans ce cas, la poursuite de la démarche catéchuménale n’étant pas une obligation, les autres étapes du baptême s’avèrent facultatives et le Baptême une option envisagée dès l’Accueil.

 

La décision se transforme dès lors en option.

 

L’oubli de la démarche catéchuménale est favorisé par deux éléments :

-        Le signe visible de l’Accueil (signation) comme du Baptême (bain) ne laisse pas de trace visible (autre que l’enregistrement). Si le signe en était une scarification frontale, il en irait certainement autrement.

-        Aujourd’hui il n’y a guère plus de pression familiale et sociale pour obliger quelqu’un au baptême.

 

Le signe visible du Baptême est en fait la pratique ecclésiale qui en découle et repose sur la décision individuelle. Ce sont des expressions publiques de la foi chrétienne : prière individuelle, prière collective, comportements moraux, croyances, lecture du Livre des Evangiles, participation à la vie de la Communauté, etc.

 

 

Ø  La représentation du « baptême cadeau »

 

Cette représentation appliquée au baptême des petits enfants pose problème.

 

En effet, si le baptême est un cadeau de Dieu, il n’y a aucune raison de le refuser et l’accueillir devient une obligation pour des parents. Il n’y a pas lieu de s’y préparer autrement que pour se rappeler les exigences de la réception de ce cadeau.

 

Or, celui qui reçoit le baptême n’étant pas conscient, comme le suggère le texte, il faut que ses parents soient conscients à sa place : c’est leur responsabilité de faire fructifier, en quelque sorte, ce cadeau.

 

La préparation s’avère être un temps d’approfondissement des responsabilités et des parents et de l’Eglise, pour garder les composants du binôme. Nous sommes dans la logique de la représentation du baptême - décision responsable.

 

En fait, cette représentation du baptême-cadeau s’accorde tout à fait avec une situation ecclésiale, sociale, familiale, où le baptême des petits enfants est un acquis social qui n’est pas remis en cause :

-        ni par les baptisés qui une fois majeurs n’auraient pas la pratique ecclésiale qui en découle,

-        ni par les parents qui voudraient laisser leur enfant libre de sa décision de foi et responsable de sa pratique ecclésiale,

-        ni par les responsables pastoraux qui exigeraient que les parents aient une pratique ecclésiale conforme à leur propre baptême.

 

 

 

 

 

 

 

3         ANALYSE SOCIOLOGIQUE

 

 

En sociologie on tente de définir un fait social et de le comprendre et expliquer en relation avec son environnement. Nous considérons la communication pastorale autour de cette réforme comme un fait social à relier à un environnement social en général, et ecclésial particulier.

 

3.1       SITUATION : exigences des pasteurs et diversité des demandes de parents

 

Nous trouvons à l’origine de cette réforme les interrogations des responsables pastoraux sur l’écart entre le nombre d’enfants baptisés et celui des enfants catéchisés. Beaucoup trop de baptêmes, à leurs yeux, ne sont pas suivis d’une pratique ecclésiale minimale : l’inscription des enfants baptisés au catéchisme.

 

Dans le même temps, de jeunes parents chrétiens souhaitent que leur enfant puisse vivre la grâce du baptême en pleine conscience et manifeste son adhésion au Christ en demandant lui-même le baptême à l’Eglise.

 

Le rituel des baptêmes d’adultes mis en place dans les années 60 retrouvant la tradition antique est présenté comme un modèle. C’est ce rituel qui sert de référence explicite pour les auteurs de cette réforme.

 

Le Service de la pastorale sacramentelle a été chargé de rédiger le contenu de cette réforme. Une première version du texte a été corrigée à la demande de l’Evêque diocésain et son conseil.

 

 

3.2         AMBIGUÏTES DES PROPOSITIONS ET DES DEMANDES

 

Les analyses sémiotiques montrent que cette réforme des pratiques pédobaptismales diocésaines repose sur des ambiguïtés.

 

3.2.1      La Présentation concerne en principe des parents qui :

 

-        ne sentent pas impliqués par une démarche baptismale en Eglise,

-        souhaitent un rite religieux à la naissance de leur enfant

-        demandent à l’Eglise d’accomplir ce rite.

 

La Présentation est de fait :

-        soit choisie par des parents conscients de leur situation de faible implication ecclésiale,

-        soit imposée par les responsables d’Eglise à ces parents en raison de leur faible implication ecclésiale.

 

Dans ce dernier cas, le Baptême du petit enfant, qui était une obligation, un devoir de tout parent chrétien, risque d’être revendiqué, par des parents, comme un droit des familles chrétiennes.

 

On doit aussi se demander s’il existe un statut ecclésial des « présentés », et quel pourrait-il être.

 

3.2.2      L’Accueil répond à la demande d’un double public :

 

-        d’un côté, des parents qui :

- prennent la responsabilité d’une éducation chrétienne de leur enfant,

- aideront leur enfant à prendre une décision de foi, l’âge venu,

- sont généralement impliqués dans la vie ecclésiale,

- privilégient la profession de foi baptismale,

 

-        d’un autre, des parents qui :

- ne prennent pas la responsabilité de faire baptiser leur enfant,

- laisseront leur enfant prendre plus tard ses propres responsabilités,

- sont généralement moins impliqués dans la vie ecclésiale,

- sans doute ne prendraient pas la décision de baptême pour eux-mêmes,

- ne se sentent pas obligés par leur famille ou la société de faire baptiser leur enfant,

- privilégient le baptême comme entrée en Eglise.

 

Cette situation aboutirait à deux catégories de catéchumènes :

-        ceux qui sont engagés sur la voie du baptême et fréquenteront l’enseignement ecclésial,

-        les autres considérés comme des sympathisants de l’Eglise catholique plutôt que comme des membres actifs.

 

3.2.3      Le Baptême répond à la demande d’un double public :

 

-        d’un côté, des parents qui :

- sont impliqués dans la vie ecclésiale,

- privilégient le baptême comme grâce reçue de Dieu,

 

-        d’un autre, des parents qui :

- sont peu impliqués dans la vie ecclésiale,

- sont attachés aux rites familiaux et sociaux religieux.

 

Cette situation prolonge la situation que voulait clarifier cette réforme en distinguant :

-        des baptisés de tradition,

-        des baptisés de conviction.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

4         ANALYSE DE LA REGULATION

 

 

 

4.1          AMBIGUÏTES DANS LA REGULATION

 

4.1.1      Deux modes de régulation

 

Cette réforme demande de choisir entre ce que les textes appellent « Baptême complet » et « Accueil ». Il y a une alternative : c’est « Accueil » ou « Baptême ». C’est la loi du « tout ou rien ».

 

Le rite baptismal tridentin, reprenant les rituels précédents, considérait l’accueil à la porte de l’église par le célébrant revêtu de l’étole violette comme la première démarche, suivie des autres temps baptismaux, autrefois appelés scrutins (exorcismes, tradition du Notre Père, profession de foi, vêtement blanc, etc.). Il y a donc une séquence : c’est Accueil et puis Baptême. C’est la loi de progressivité.

 

Le choix proposé dans cette réforme est donc entre deux règles : la concentration ou l’étalement des rites baptismaux. C’est un choix entre deux règles de régulation systémique, la régulation par « tout ou rien » ou la régulation par « progressivité », qu’on peut illustrer avec ce simple exemple : dans un système électrique l’opérateur de régulation par « tout ou rien » est l’interrupteur, celui de la régulation par progressivité est le rhéostat.

 

Cette régulation des groupes sociaux apparaît, par exemple, avec l’instauration de « classes » dans beaucoup d’associations : sympathisants, adhérents, membres actifs, membres honoraires, administrateurs… On la remarque aussi dans les groupes religieux : membres de la communauté, « surnuméraires », familiers, postulants, ayant fait voeu temporaire, vœu définitif…

 

4.1.2      Deux modes de régulation systémique

 

Dans le système sacramentaire chrétien, ces deux modes de régulation se déclinent ainsi.

Ø  Loi de progressivité

 

Relève de la loi de progressivité ce qui suit un cheminement temporel ordonné et se traduit par l’instauration d’ordres sociaux hiérarchisés.

 

■ Le sacrement de l’Ordre commence avec les ordres mineurs suivis des ordres majeurs. Ce déploiement dans le temps, qui se traduisait par une hiérarchie de places dans l’espace du chœur des églises, a été réformé récemment. Le nombre des ordres a été réduit, tandis que des ministères institués, confiés à des non clercs, s’organisaient en les reprenant partiellement mais en délaissant le champ liturgique : du portier à l’accueillant, du lecteur au catéchiste

 

■ Le sacrement du Mariage s’organisait avec un ordre progressif : promesses, fiançailles, mariage, union physique. C’est au terme de ces étapes que le mariage devenait indissoluble.

 

■ Les sacrements dits de « l’initiation » s’effectuaient aussi dans un ordre précis : Baptême, Confirmation, Eucharistie. Les catholiques ont connu des bouleversements de cet ordre lorsque les enfants furent admis à la « première communion » dès l’âge de raison, avant même que l’évêque soit venu les confirmer. Les orthodoxes réunissent ces trois sacrements dans la même cérémonie pour les petits enfants.

 

■ Le sacrement de Pénitence, dans l’antiquité, se déroulait aussi selon un ordre temporel reproduit dans l’espace des églises et dans la société : confession, puis stage pénitentiel instaurant un ordre des « lapsi » pénitents, puis absolution et réintégration au sein de la communauté. A la seconde faute, il y avait exclusion, « excommunication ».

 

■ Dans l’antiquité chrétienne existait l’ordre des catéchumènes, admis aux liturgies de la Parole, mais exclus de la liturgie eucharistique (« exeunt » après l’homélie). Le baptême des petits enfants finalement admis et de pratique courante à partir du IVème siècle réunit les étapes baptismales en une cérémonie unique. Celle-ci se déroule généralement selon un ordre spatial : de l’extérieur de l’église au porche, jusqu’au baptistère situé proche de l’entrée. On est passé alors de la loi de la progressivité à celle du tout-ou-rien.

 

Ø  Loi du « tout ou rien »

 

La loi du « tout-ou-rien » fixe un avant et un après, opère un changement radical, supprime les étapes temporelles, les répartitions spatiales comme les classes sociales. On a des schémas binaires avec :

-        mariés et non mariés, sans promis ni fiancés,

-        absous et impénitents, sans pénitents,

-        baptisés et non baptisés, sans catéchumènes.

 

Le sacrement de l’ordre présente trois degrés consécutifs : diaconat, presbytérat, épiscopat. La loi de progressivité est maintenue pour le deuxième ordre, même s’il y a réduction des étapes. En revanche, le diaconat permanent n’entre pas dans ce cheminement, il relève de la loi du « tout-ou-rien ».

 

Ce type de régulation s’est accentué avec la Contre-Réforme. Il a fallu que des pasteurs exercent une forte pression sociale pour la mettre en œuvre avec des règles pratiques : par exemple, dans certains cas pas de sonnerie de cloches, une « simple bénédiction » nuptiale, ou encore baptême avant même les « relevailles » de la mère, billet de confession avant le mariage, etc.

 

4.1.3        LA REGULATION THEOLOGIQUE

 

La régulation théologique est un travail sur les représentations théologiques. Dans cette réforme, elle consiste en une opération de changement de représentation dominante. Cette opération ne va pas jusqu’à son terme (théo)logique.

 

Ø  Un changement de représentation dominante du baptême

 

 

Le sacrement de baptême dans l’Eglise catholique repose sur trois représentations principales clairement distinguées dans les rituels :

-        l’inscription, l’entrée dans la communauté chrétienne, et l’ordre de catéchumènes, avec la réception du signe de reconnaissance des chrétiens, le signe de croix,

-        la rémission des péchés personnels pour les adultes qui se convertissent, et l’arrachement au péché originel pour les nouveaux nés, avec les exorcismes,

-        la profession de foi, prononcée par l’impétrant, renouvelée chaque veillée pascale, reçue par la communauté comme la marque de l’élection divine.

 

Le baptême d’eau vient en finale du rituel, dont la signification explicite la représentation dominante.

 

La représentation « grâce de Dieu » n’est pas particulière au sacrement de baptême. Tout sacrement, tout acte chrétien, toute la vie chrétienne peuvent être considérés comme grâce divine. Cette représentation n’est pas discriminante au sein de la sphère catholique ; elle l’est dans la société quand elle permet de distinguer les personnes qui ont une croyance (mono)théiste des autres qui n’en ont pas.

 

Dans le contexte ecclésial actuel, s’opère un changement de dominante : la représentation « profession de foi » tend à supplanter la représentation « rémission des péchés ». Cette profession de foi suppose une formation chrétienne, donc un laps de temps entre l’inscription (accueil) et la profession. C’est pourquoi est proposée dans cette réforme la dissociation des rites qui accompagnent les représentations qui constituent le baptême chrétien.

 

Dans la communication pastorale, la représentation du baptême-rémission n’est jamais évoquée à propos des petits enfants. Seules les deux autres sont explicitées pour justifier deux étapes baptismales.

 

Ø  Le maintien de deux pratiques

 

Dans cette réforme la représentation dominante est la profession de foi, mise en rite selon deux modes :

 

-        dans la pratique baptismale ancienne maintenue (le « baptême complet »), la profession de foi est :

- soit celle des parents qui font baptiser, et c’est en somme le renouvellement des promesses de leur propre baptême,

- soit c’est celle de l’enfant, et, en l’absence de sa propre profession de foi, le baptême devient un accueil, quel que soit le rite (signe de croix ou baptême d’eau) ;

 

-        dans la pratique en deux temps (accueil, puis baptême), la profession de foi est :

- lors de l’Accueil, celle des parents qui s’engagent à préparer leur enfant à sa propre profession de foi,

- puis lors du Baptême, celle de l’enfant qui a grandi et fait sien le choix de ses parents.

 

Ø  Défaut de mise en œuvre de la représentation dominante

 

Cette réforme cherche à réinstaurer un parcours temporel (des étapes), mais ne va pas au bout des exigences qu’elle comporte pour être visible, lisible, compréhensible.

 

Il manque en effet la reconnaissance sociale des rites de l’Accueil : il n’y a pas de statut des « présentés », pas de statut des « accueillis », pas de registres spécifiques, pas d’emplacements liturgiques de ces deux « classes », pas de différenciation ensuite dans les parcours catéchétiques des uns et des autres, etc.

 

Ce défaut de prise en compte des étapes ainsi instaurées risque de proposer non point une affirmation progressive de la foi, mais une dissolution progressive de la vie de foi en Eglise.

 

C’est une régulation sociologique (loi de progressivité à la place de la loi du « tout ou rien ») qui sous-tend cette réforme, mais pas une régulation d’ordre théologique.

 

Ø  Des questions théologiques

 

En fait ce défaut de régulation théologique masque, ou révèle, des questions théologiques.

o   La double conception de la 1ère étape, qui est soit en dehors de la démarche baptismale avec la Présentation soit l’entrée dans la démarche baptismale avec l’Accueil, correspond à des hésitations sur la théologie sacramentaire.

- La Présentation appartiendrait au genre liturgique, non sacramentaire, à l’instar de rites comme les bénédictions.

- L’Accueil appartiendrait au sacrement de Baptême, comme les ordres mineurs appartiennent au sacrement de l’Ordre.

 

o   La représentation du baptême - don de Dieu, cadeau ou grâce, est mise en parallèle, dans cette réforme, avec la représentation du baptême - décision de l’Homme. Or, aucune des représentations baptismales (inscription, rémission, profession) ne saurait faire nombre avec la représentation du sacrement-don de Dieu :

- entrer dans l’Eglise, c’est Dieu qui accueille le pèlerin,

- recevoir la rémission des péchés, c’est Dieu qui absout le converti,

- professer sa foi, c’est Dieu qui inspire le croyant.

 

Cette réforme semble mettre la grâce (divine) de croire et la profession (humaine) de foi en opposition ou en alternative, sans en affirmer avec clarté l’unité. C’est l’indice d’une question christologique sous-jacente : la foi don de Dieu - acte de l’Homme.

 

o   Les mêmes rites peuvent être proposé à des parents qui n’y accordent pas la même signification :

- L’Eglise accomplit le rite de Présentation pour célébrer l’entrée de l’enfant dans une famille, dans une société, sans entrée en Eglise.

- L’Eglise accueille l’enfant, célébrant ainsi la première étape de sa formation chrétienne, ou une « bénédiction » de l’enfant sans engagement ecclésial.

- L’Eglise baptise l’enfant selon la coutume familiale ou sociale, sans engagement parental, ou pour affirmer la foi de ses parents en la grâce de Dieu.

 

Cette réforme est le reflet des problèmes ecclésiologiques actuels dans la relation Eglise-Christ et la relation Eglise-Société : l’Eglise opératrice de religiosité, représentante du Divin, communauté des disciples du Christ.

 

 

 

 

 

CONCLUSION

 

 

Cette dualité de rituel n’est pas propre au sacrement de Baptême, en particulier celui des petits enfants. Nous retrouvons ce type d’administration double dans d’autres sacrements comme :

-        l’Eucharistie, rituel édicté en 1969, avec par la suite possibilité de dérogation pour le rite tridentin,

-        la Pénitence, rituel édicté en 1973 à Rome et en 1978 en France, sans caractère obligatoire, en parallèle donc avec l’ancien rituel,

-        le Mariage, rituel édicté en 1969, avec les formules d’échanges de consentements entre époux, ou la reprise de l’ancienne formule (interrogations du célébrant / réponses des fiancés, RR 25b),

-        l’Onction des malades, rituel édicté en 1972 à Rome et en 1976 en France, avec des formules multiples.

 

Pour l’Eglise catholique la seconde partie du XXème siècle a été une succession de périodes clairement identifiables en ce qui concerne la réforme liturgique : le temps des études, le temps des débats conciliaires, le temps de la rédaction des nouveaux rituels, le temps d’expérimentation de ces rituels, le temps des édictions.

 

La période ecclésiale de fin du XXème siècle semble être placée sous le signe de la dualité : maintien des anciens rituels et mise en œuvre des réformes liturgiques. On peut interpréter cette cohabitation, au sein de l’Eglise catholique, de communautés rituelles aux normes liturgiques spécifiques comme une situation de schisme intérieur, mal supporté, ou de pluralisme voulu ; on évoque alors que depuis longtemps les Eglises orientales rattachées à Rome sont pourvues de Rituels et d’un Droit spécifiques.

 

Mais on peut aussi voir là l’expression d’un mode particulier d’administration (des sacrements), que dans les Théories de la Régulation on appelle « régulation molle ».

 

-        On entend par « régulation molle » une approche assez souple aux niveaux de la définition des « consignes » et de l’appréciation des « marges » dans leur application, qui établit d’éventuels compromis entre les uns (ici, les pasteurs) et les autres (parents), en vue d’assurer une permanence du système (sacramentaire) dans une période perturbée (débats, contestations, réformes, restaurations, etc.).

-        On l’oppose à une « régulation dure » qui permet des réactions rapides à toutes variations de l’environnement qui perturberaient le système, au risque de provoquer de fréquentes pannes (crises), crises aboutissant à la destruction du système (implosion) ou la contamination en chaîne (explosion sociale).

 

 

(1)    DECOURT, Georges, Conduire une action pastorale, 1997, Paris, Cerf, Labor et Fides, pp. 36-41.

(2)    Un des rapports d’évaluation est disponible sur le web : Pratiques baptismales pour les enfants de 2 a 7 ans dans le diocèse de Lyon, 2001

 

Georges DECOURT

intervention au Groupe MEDIATHEC 1992

complétée en février 2007