LA REFORME DU
BAPTEME DES PETITS ENFANTS
DANS LE DIOCESE
DE LYON, 1988
UNE
COMMUNICATION AMBIGUË
Sommaire
1. analyse de la
communication
2. analyse des
représentations
L’expérience
pastorale montre qu’il peut exister un hiatus entre ce que les fidèles viennent
demander à un responsable pastoral et ce que celui-ci peut, veut leur offrir
comme service ou bien d’Eglise (sacrement, conseil, engagement…). C’est au
cours d’échanges qu’apparaissent souvent accords et divergences de vues.
1.
L’entretien pastoral, acte de communication
Ces
entretiens pastoraux prennent la forme duale ou groupale.
-
Le
responsable pastoral reçoit une personne, un couple, une famille…, et ce pour
une demande de baptême, de mariage, de funérailles, de messe...
-
Le
responsable pastoral anime une rencontre de :
-
préparation
au baptême, au mariage,
-
préparation
de la liturgie des funérailles ou dominicale...,
-
de
parents d’enfants catéchisés,
-
de
jeunes collégiens et lycéens,
-
etc.
L’objet
de l’entretien est généralement l’enseignement ou le culte, les deux piliers de
la foi chrétienne, à partir desquels se développent les autres activités
ecclésiales.
L’entretien
pastoral peut être étudié comme situation de communication où des
interlocuteurs échangent autour d’un objet selon des modes particuliers. Nous
prenons le cas de la communication pastorale à propos de la réforme du baptême
des petits enfants dans le diocèse de Lyon en 1988.
Le
diocèse de Lyon s’est engagé dans une réflexion sur la pastorale du baptême des
petits enfants. Le déroulement de cette réforme a déjà été décrit (1) et des
évaluations en ont été faites. (2).
En
1988, la décision épiscopale fut de proposer le baptême par étapes sur le
modèle du baptême des adultes pour les enfants de moins de 2 ans.
A
propos de leur petit enfant, trois propositions étaient faites aux
parents :
-
le
baptême,
-
l’accueil,
constituant la première du baptême, dont les étapes ultérieures seront vécues
par l’enfant durant sa catéchèse ou ensuite,
-
la
présentation qui constitue un engagement des parents à respecter le choix futur
de l’enfant, avec ou non une éducation chrétienne ecclésiale.
Une
action de communication fut décidée avec, entre autres, deux moyens
écrits présentés et analysés ici :
-
un
tract distribué à tous les catholiques du diocèse,
-
un
tract remis aux parents lors de leur première rencontre avec un responsable
pastoral.
Nous étudierons rapidement cette
communication sous quatre angles :
-
analyse
de la communication, pour en préciser le schéma,
-
analyse
des représentations pour mettre à jour les représentations théologies du
baptême induites dans cette opération,
-
analyse
sociologique, pour décrire la contextualisation de cette réforme,
-
analyse
de la régulation, pour identifier les règles à l’œuvre dans cette réforme.
Les
théories de la communication, des représentations et de la régulation et leurs
applications aux pratiques liturgiques sont analysées dans DECOURT Georges,
1990, La Régulation théologique des pratiques liturgiques. L'orthopraxie
liturgique
Cette
réforme est décrite dans le document Réforme du baptême des
petits-enfants de 1988.
Nous
identifions les instances et relations à partir du responsable pastoral :
-
Emetteur
1. réel : le responsable pastoral,
prêtre, accueillant ou parent de l’équipe-baptême de la paroisse.
2. construit : le responsable
pastoral tel qu’il se voit dans sa mission, tel qu’il pense que les parents le
voient.
-
Récepteur
1. réel : les parents qui viennent à
la paroisse.
2. construit : les parents tels
que les voit le responsable pastoral, tels qu’ils se voient eux-mêmes dans une
telle démarche.
-
Canal
1. réel : un tract diffusé à grande
échelle
2. construit : le tract tel que
le responsable pastoral le voit comme moyen d’échange, tel que les parents le
voient.
-
Message
1. réel : contenu du tract.
2. construit : les signifiants
du tract avec leurs significations pour le responsable pastoral et pour les
parents.
-
Référent
1. réel : les propositions du
diocèse de Lyon.
2. construit : ce que le
responsable pastoral retient des propositions diocésaines.
-
Relation
d’animation : le responsable pastoral utilise le tract.
-
Relation
de participation : les parents utilisent le tract.
-
Relation
d’allocution : l’échange verbal autour du tract entre le responsable
pastoral et les parents.
-
Relation
d’expression : le commentaire du responsable pastoral sur le contenu du
tract.
-
Relation
de perception : le commentaire des parents sur le contenu du tract.
-
Relation
de modalisation : ce que le responsable pastoral pense qu’il a à dire des
propositions diocésaines.
-
Relation
d’implication : ce que les parents retiennent des propositions
diocésaines.
-
Relation
de représentation : les significations contenues dans les propositions
diocésaines qui donnent une, des, théologie(s) du baptême.
Dans
le tract vert destiné à tous les catholiques, deux (re)présentations du baptême
sont proposées qui supposent des données communément admises par les
interlocuteurs : c’est l’implicite du texte.
Ø L’implicite de la représentation
du « baptême décision »
Le baptême, c’est d’abord une
décision, prise d’un commun accord, entre des personnes qui le demandent et
l’Eglise qui en est responsable.
■En
définissant la situation de communication de manière claire avec, d’un
côté, les personnes qui demandent le baptême, de l’autre côté, l’Eglise qui est
responsable du baptême,
-
les
parents ne demandent pas pour eux le baptême mais pour un tiers absent du
dialogue,
-
les
parents ne sont pas considérés comme membres de l’Eglise avec laquelle ils
dialoguent,
-
les
parents ne sont pas considérés comme responsables du baptême.
■En
définissant le baptême comme une décision, on écarte d’autres définitions comme
une tradition familiale, une habitude sociale. La définition du baptême comme
coutume ne signifie pas a priori qu’il n’est pas vécu de manière personnelle.
■En
définissant le baptême comme un commun accord entre demandeurs et responsables,
c’est insinuer qu’il y a une négociation possible, à moins que l’accord soit
une ratification de ce que l’Eglise propose.
Ø L’implicite de la représentation
du « baptême cadeau »
Le baptême se reçoit comme un
cadeau de Dieu : on le désire au fond de soi et on s’y prépare en Eglise.
■La
préparation au baptême est justifiée ainsi : comme le baptême est un
cadeau de Dieu (langage de la grâce), il doit être désiré par le demandeur, et
la préparation sert à vérifier s’il y a désir, à entretenir ce désir, etc.
■Comme
il ne s’agit pas du désir du tout petit mais de celui de ses parents entourés
de parrains et marraines, en fait, on sensibilise ceux-ci au désir de l’enfant
grandissant. Il s’agit de rendre responsables les parents du baptême de leur
enfant : c’est la représentation du baptême-décision. Pour rester fidèle à
la représentation du baptême-grâce de Dieu, on aurait du
parler de se préparer à recevoir cette grâce.
Si
la grâce du baptême c’est la foi (voir le rituel tridentin du baptême :
« Que demandez-vous à l’Eglise ? La foi. Que vous donne la
foi ? La vie éternelle. Entrez dans l’Eglise de Dieu »),
peut-être s’agirait-il de la foi des parents, et le baptême du petit enfant
serait vécu comme une « confirmation » du baptême de ses parents, à
la fois leur décision et le cadeau de Dieu. Le lieu de rencontre de cette
décision de baptisés, qui deviennent responsables du baptême de leur enfant, et
de cette grâce qui Dieu leur donne, c’est l’Eglise. Mais cela n’est pas
explicité.
Ø La représentation du « baptême
décision ».
Cette
représentation appliquée au baptême des petits enfants pose problème.
En
effet, si le baptême est une décision, devrait être exigé, comme pour le
mariage, le libre consentement.
Or,
c’est précisément le refus de faire baptiser le petit enfant qui respecte cette
condition : l’Accueil serait alors la solution qui permet à la fois
d’affirmer la responsabilité de parents en faisant de l’enfant, dès ses
premiers mois, un membre de l’Eglise, un catéchumène, et la responsabilité du
catéchumène poursuivant la démarche initiée par ses parents.
Dans
ce cas, la poursuite de la démarche catéchuménale n’étant pas une obligation,
les autres étapes du baptême s’avèrent facultatives et le Baptême une option
envisagée dès l’Accueil.
La
décision se transforme dès lors en option.
L’oubli
de la démarche catéchuménale est favorisé par deux éléments :
-
Le
signe visible de l’Accueil (signation) comme du Baptême (bain) ne laisse pas de
trace visible (autre que l’enregistrement). Si le signe en était une
scarification frontale, il en irait certainement autrement.
-
Aujourd’hui
il n’y a guère plus de pression familiale et sociale pour obliger quelqu’un au
baptême.
Le
signe visible du Baptême est en fait la pratique ecclésiale qui en découle et
repose sur la décision individuelle. Ce sont des expressions publiques de la
foi chrétienne : prière individuelle, prière collective, comportements
moraux, croyances, lecture du Livre des Evangiles, participation à la vie de la
Communauté, etc.
Ø La représentation du « baptême
cadeau »
Cette
représentation appliquée au baptême des petits enfants pose problème.
En
effet, si le baptême est un cadeau de Dieu, il n’y a aucune raison de le
refuser et l’accueillir devient une obligation pour des parents. Il n’y a pas
lieu de s’y préparer autrement que pour se rappeler les exigences de la
réception de ce cadeau.
Or,
celui qui reçoit le baptême n’étant pas conscient, comme le suggère le texte,
il faut que ses parents soient conscients à sa place : c’est leur
responsabilité de faire fructifier, en quelque sorte, ce cadeau.
La
préparation s’avère être un temps d’approfondissement des responsabilités et
des parents et de l’Eglise, pour garder les composants du binôme. Nous sommes
dans la logique de la représentation du baptême - décision responsable.
En
fait, cette représentation du baptême-cadeau s’accorde tout à fait avec une
situation ecclésiale, sociale, familiale, où le baptême des petits enfants est
un acquis social qui n’est pas remis en cause :
-
ni
par les baptisés qui une fois majeurs n’auraient pas la pratique ecclésiale qui
en découle,
-
ni
par les parents qui voudraient laisser leur enfant libre de sa décision de foi
et responsable de sa pratique ecclésiale,
-
ni
par les responsables pastoraux qui exigeraient que les parents aient une
pratique ecclésiale conforme à leur propre baptême.
En
sociologie on tente de définir un fait social et de le comprendre et expliquer
en relation avec son environnement. Nous considérons la communication pastorale
autour de cette réforme comme un fait social à relier à un environnement social
en général, et ecclésial particulier.
Nous
trouvons à l’origine de cette réforme les interrogations des responsables
pastoraux sur l’écart entre le nombre d’enfants baptisés et celui des enfants
catéchisés. Beaucoup trop de baptêmes, à leurs yeux, ne sont pas suivis d’une
pratique ecclésiale minimale : l’inscription des enfants baptisés au
catéchisme.
Dans
le même temps, de jeunes parents chrétiens souhaitent que leur enfant puisse
vivre la grâce du baptême en pleine conscience et manifeste son adhésion au
Christ en demandant lui-même le baptême à l’Eglise.
Le
rituel des baptêmes d’adultes mis en place dans les années 60 retrouvant la
tradition antique est présenté comme un modèle. C’est ce rituel qui sert de
référence explicite pour les auteurs de cette réforme.
Le
Service de la pastorale sacramentelle a été chargé de rédiger le contenu de
cette réforme. Une première version du texte a été corrigée à la demande de
l’Evêque diocésain et son conseil.
Les
analyses sémiotiques montrent que cette réforme des pratiques pédobaptismales diocésaines repose sur des ambiguïtés.
-
ne
sentent pas impliqués par une démarche baptismale en Eglise,
-
souhaitent
un rite religieux à la naissance de leur enfant
-
demandent
à l’Eglise d’accomplir ce rite.
La
Présentation est de fait :
-
soit
choisie par des parents conscients de leur situation de faible implication
ecclésiale,
-
soit
imposée par les responsables d’Eglise à ces parents en raison de leur faible
implication ecclésiale.
Dans
ce dernier cas, le Baptême du petit enfant, qui était une obligation, un devoir
de tout parent chrétien, risque d’être revendiqué, par des parents, comme un
droit des familles chrétiennes.
On
doit aussi se demander s’il existe un statut ecclésial des
« présentés », et quel pourrait-il être.
-
d’un
côté, des parents qui :
- prennent la responsabilité
d’une éducation chrétienne de leur enfant,
- aideront leur enfant à prendre
une décision de foi, l’âge venu,
- sont généralement impliqués
dans la vie ecclésiale,
- privilégient la profession de
foi baptismale,
-
d’un
autre, des parents qui :
- ne prennent pas la
responsabilité de faire baptiser leur enfant,
- laisseront leur enfant prendre
plus tard ses propres responsabilités,
- sont généralement moins
impliqués dans la vie ecclésiale,
- sans doute ne prendraient pas
la décision de baptême pour eux-mêmes,
- ne se sentent pas obligés par
leur famille ou la société de faire baptiser leur enfant,
- privilégient le baptême comme
entrée en Eglise.
Cette
situation aboutirait à deux catégories de catéchumènes :
-
ceux
qui sont engagés sur la voie du baptême et fréquenteront l’enseignement
ecclésial,
-
les
autres considérés comme des sympathisants de l’Eglise catholique plutôt que
comme des membres actifs.
-
d’un
côté, des parents qui :
- sont impliqués dans la vie
ecclésiale,
- privilégient le baptême comme
grâce reçue de Dieu,
-
d’un
autre, des parents qui :
- sont peu impliqués dans la vie
ecclésiale,
- sont attachés aux rites
familiaux et sociaux religieux.
Cette
situation prolonge la situation que voulait clarifier cette réforme en
distinguant :
-
des
baptisés de tradition,
-
des
baptisés de conviction.
Cette réforme demande de choisir
entre ce que les textes appellent « Baptême complet » et
« Accueil ». Il y a une alternative : c’est
« Accueil » ou « Baptême ». C’est la loi du
« tout ou rien ».
Le rite baptismal tridentin,
reprenant les rituels précédents, considérait l’accueil à la porte de l’église
par le célébrant revêtu de l’étole violette comme la première démarche, suivie
des autres temps baptismaux, autrefois appelés scrutins (exorcismes, tradition
du Notre Père, profession de foi, vêtement blanc, etc.). Il y a donc une
séquence : c’est Accueil et puis Baptême. C’est la loi de
progressivité.
Le choix proposé dans cette
réforme est donc entre deux règles : la concentration ou l’étalement des
rites baptismaux. C’est un choix entre deux règles de régulation
systémique, la régulation par « tout ou rien » ou la régulation par
« progressivité », qu’on peut illustrer avec ce simple exemple :
dans un système électrique l’opérateur de régulation par « tout ou rien » est l’interrupteur, celui de la régulation par
progressivité est le rhéostat.
Cette régulation des groupes
sociaux apparaît, par exemple, avec l’instauration de « classes »
dans beaucoup d’associations : sympathisants, adhérents, membres actifs,
membres honoraires, administrateurs… On la remarque aussi dans les groupes
religieux : membres de la communauté, « surnuméraires »,
familiers, postulants, ayant fait voeu temporaire,
vœu définitif…
Dans
le système sacramentaire chrétien, ces deux modes de régulation se déclinent
ainsi.
Relève
de la loi de progressivité ce qui suit un cheminement temporel ordonné et se
traduit par l’instauration d’ordres sociaux hiérarchisés.
■ Le sacrement de l’Ordre
commence avec les ordres mineurs suivis des ordres majeurs. Ce déploiement dans
le temps, qui se traduisait par une hiérarchie de places dans l’espace du chœur
des églises, a été réformé récemment. Le nombre des ordres a été réduit, tandis
que des ministères institués, confiés à des non clercs, s’organisaient en les
reprenant partiellement mais en délaissant le champ
liturgique : du portier à l’accueillant, du lecteur au catéchiste…
■ Le sacrement du Mariage
s’organisait avec un ordre progressif : promesses, fiançailles, mariage,
union physique. C’est au terme de ces étapes que le mariage devenait
indissoluble.
■ Les sacrements dits de
« l’initiation » s’effectuaient aussi dans un ordre précis :
Baptême, Confirmation, Eucharistie. Les catholiques ont connu des
bouleversements de cet ordre lorsque les enfants furent admis à la
« première communion » dès l’âge de raison, avant même que l’évêque
soit venu les confirmer. Les orthodoxes réunissent ces trois sacrements dans la
même cérémonie pour les petits enfants.
■ Le sacrement de
Pénitence, dans l’antiquité, se déroulait aussi selon un ordre temporel
reproduit dans l’espace des églises et dans la société : confession, puis
stage pénitentiel instaurant un ordre des « lapsi » pénitents, puis
absolution et réintégration au sein de la communauté. A la seconde faute, il y
avait exclusion, « excommunication ».
■ Dans l’antiquité
chrétienne existait l’ordre des catéchumènes, admis aux liturgies de la Parole,
mais exclus de la liturgie eucharistique (« exeunt… »
après l’homélie). Le baptême des petits enfants finalement admis et de pratique
courante à partir du IVème siècle réunit les étapes baptismales en
une cérémonie unique. Celle-ci se déroule généralement selon un ordre
spatial : de l’extérieur de l’église au porche, jusqu’au baptistère situé
proche de l’entrée. On est passé alors de la loi de la progressivité à celle du
tout-ou-rien.
La
loi du « tout-ou-rien » fixe un avant et un après, opère un
changement radical, supprime les étapes temporelles, les répartitions spatiales
comme les classes sociales. On a des schémas binaires avec :
-
mariés
et non mariés, sans promis ni fiancés,
-
absous
et impénitents, sans pénitents,
-
baptisés
et non baptisés, sans catéchumènes.
Le
sacrement de l’ordre présente trois degrés consécutifs : diaconat, presbytérat,
épiscopat. La loi de progressivité est maintenue pour le deuxième ordre, même
s’il y a réduction des étapes. En revanche, le diaconat permanent n’entre pas
dans ce cheminement, il relève de la loi du « tout-ou-rien ».
Ce
type de régulation s’est accentué avec la Contre-Réforme. Il a fallu que des
pasteurs exercent une forte pression sociale pour la mettre en œuvre avec
des règles pratiques : par exemple, dans certains cas pas de sonnerie de
cloches, une « simple bénédiction » nuptiale, ou encore baptême avant
même les « relevailles » de la mère, billet de confession avant le
mariage, etc.
La
régulation théologique est un travail sur les représentations théologiques.
Dans cette réforme, elle consiste en une opération de changement de
représentation dominante. Cette opération ne va pas jusqu’à son terme (théo)logique.
Le
sacrement de baptême dans l’Eglise catholique repose sur trois
représentations principales clairement distinguées dans les rituels :
-
l’inscription,
l’entrée dans la communauté chrétienne, et l’ordre de catéchumènes, avec la
réception du signe de reconnaissance des chrétiens, le signe de croix,
-
la
rémission des péchés personnels pour les adultes qui se convertissent, et
l’arrachement au péché originel pour les nouveaux nés, avec les exorcismes,
-
la
profession de foi, prononcée par l’impétrant, renouvelée chaque veillée
pascale, reçue par la communauté comme la marque de l’élection divine.
Le
baptême d’eau vient en finale du rituel, dont la signification explicite la
représentation dominante.
La
représentation « grâce de Dieu » n’est pas particulière au sacrement
de baptême. Tout sacrement, tout acte chrétien, toute la vie chrétienne peuvent
être considérés comme grâce divine. Cette représentation n’est pas
discriminante au sein de la sphère catholique ; elle l’est dans la société
quand elle permet de distinguer les personnes qui ont une croyance
(mono)théiste des autres qui n’en ont pas.
Dans
le contexte ecclésial actuel, s’opère un changement de dominante : la
représentation « profession de foi » tend à supplanter la
représentation « rémission des péchés ». Cette profession de foi
suppose une formation chrétienne, donc un laps de temps entre l’inscription
(accueil) et la profession. C’est pourquoi est proposée dans cette réforme la
dissociation des rites qui accompagnent les représentations qui constituent le
baptême chrétien.
Dans
la communication pastorale, la représentation du baptême-rémission n’est jamais
évoquée à propos des petits enfants. Seules les deux autres sont explicitées
pour justifier deux étapes baptismales.
Dans
cette réforme la représentation dominante est la profession de foi, mise en
rite selon deux modes :
-
dans
la pratique baptismale ancienne maintenue (le « baptême complet »),
la profession de foi est :
- soit celle des parents qui font
baptiser, et c’est en somme le renouvellement des promesses de leur propre
baptême,
- soit c’est celle de l’enfant,
et, en l’absence de sa propre profession de foi, le baptême devient un accueil,
quel que soit le rite (signe de croix ou baptême d’eau) ;
-
dans
la pratique en deux temps (accueil, puis baptême), la profession de foi
est :
- lors de l’Accueil, celle des
parents qui s’engagent à préparer leur enfant à sa propre profession de foi,
- puis lors du Baptême, celle de
l’enfant qui a grandi et fait sien le choix de ses parents.
Cette
réforme cherche à réinstaurer un parcours temporel (des étapes), mais ne va pas
au bout des exigences qu’elle comporte pour être visible, lisible,
compréhensible.
Il
manque en effet la reconnaissance sociale des rites de l’Accueil : il
n’y a pas de statut des « présentés », pas de statut des
« accueillis », pas de registres spécifiques, pas d’emplacements
liturgiques de ces deux « classes », pas de différenciation ensuite
dans les parcours catéchétiques des uns et des autres,
etc.
Ce
défaut de prise en compte des étapes ainsi instaurées risque de proposer non
point une affirmation progressive de la foi, mais une dissolution progressive
de la vie de foi en Eglise.
C’est
une régulation sociologique (loi de progressivité à la place de la loi du
« tout ou rien ») qui sous-tend cette réforme, mais pas une
régulation d’ordre théologique.
En fait ce défaut de régulation
théologique masque, ou révèle, des questions théologiques.
- La Présentation appartiendrait
au genre liturgique, non sacramentaire, à l’instar de rites comme les
bénédictions.
- L’Accueil appartiendrait au
sacrement de Baptême, comme les ordres mineurs appartiennent au sacrement de
l’Ordre.
- entrer dans l’Eglise, c’est
Dieu qui accueille le pèlerin,
- recevoir la rémission des
péchés, c’est Dieu qui absout le converti,
- professer sa foi, c’est Dieu
qui inspire le croyant.
Cette réforme semble mettre la grâce
(divine) de croire et la profession (humaine) de foi en opposition ou en
alternative, sans en affirmer avec clarté l’unité. C’est l’indice d’une
question christologique sous-jacente : la foi don de Dieu - acte de
l’Homme.
o
Les
mêmes rites peuvent être proposé à des parents qui n’y accordent pas la même
signification :
- L’Eglise accomplit le rite de
Présentation pour célébrer l’entrée de l’enfant dans une famille, dans une
société, sans entrée en Eglise.
- L’Eglise accueille l’enfant,
célébrant ainsi la première étape de sa formation chrétienne, ou une
« bénédiction » de l’enfant sans engagement ecclésial.
- L’Eglise baptise l’enfant selon
la coutume familiale ou sociale, sans engagement parental, ou pour affirmer la
foi de ses parents en la grâce de Dieu.
Cette réforme est le reflet des
problèmes ecclésiologiques actuels dans la relation Eglise-Christ et la
relation Eglise-Société : l’Eglise opératrice de religiosité, représentante du
Divin, communauté des disciples du Christ.
Cette
dualité de rituel n’est pas propre au sacrement de Baptême, en particulier
celui des petits enfants. Nous retrouvons ce type d’administration double dans
d’autres sacrements comme :
-
l’Eucharistie,
rituel édicté en 1969, avec par la suite possibilité de dérogation pour le rite
tridentin,
-
la
Pénitence, rituel édicté en 1973 à Rome et en 1978 en France, sans caractère
obligatoire, en parallèle donc avec l’ancien rituel,
-
le
Mariage, rituel édicté en 1969, avec les formules d’échanges de consentements
entre époux, ou la reprise de l’ancienne formule (interrogations du célébrant /
réponses des fiancés, RR 25b),
-
l’Onction
des malades, rituel édicté en 1972 à Rome et en 1976 en France, avec des
formules multiples.
Pour
l’Eglise catholique la seconde partie du XXème siècle a été une
succession de périodes clairement identifiables en ce qui concerne la réforme
liturgique : le temps des études, le temps des débats conciliaires, le temps de
la rédaction des nouveaux rituels, le temps d’expérimentation de ces rituels,
le temps des édictions.
La
période ecclésiale de fin du XXème siècle semble être placée sous le
signe de la dualité : maintien des anciens rituels et mise en œuvre des
réformes liturgiques. On peut interpréter cette cohabitation, au sein de
l’Eglise catholique, de communautés rituelles aux normes liturgiques
spécifiques comme une situation de schisme intérieur, mal supporté, ou de
pluralisme voulu ; on évoque alors que depuis longtemps les Eglises
orientales rattachées à Rome sont pourvues de Rituels et d’un Droit
spécifiques.
Mais
on peut aussi voir là l’expression d’un mode
particulier d’administration (des sacrements), que dans les Théories de la
Régulation on appelle « régulation molle ».
-
On
entend par « régulation molle » une approche assez souple aux niveaux
de la définition des « consignes » et de l’appréciation des
« marges » dans leur application, qui établit d’éventuels compromis
entre les uns (ici, les pasteurs) et les autres (parents), en vue d’assurer une
permanence du système (sacramentaire) dans une période perturbée (débats,
contestations, réformes, restaurations, etc.).
-
On
l’oppose à une « régulation dure » qui permet des réactions rapides à
toutes variations de l’environnement qui perturberaient le système, au risque
de provoquer de fréquentes pannes (crises), crises aboutissant à la destruction
du système (implosion) ou la contamination en chaîne (explosion sociale).
(1) DECOURT, Georges, Conduire une
action pastorale, 1997, Paris, Cerf, Labor et Fides, pp. 36-41.
(2) Un des rapports d’évaluation est
disponible sur le web : Pratiques
baptismales pour les enfants de 2 a
7 ans dans le diocèse de Lyon, 2001
Georges
DECOURT
intervention
au Groupe MEDIATHEC 1992
complétée
en février 2007