EVANGELISER LA GRAND’VILLE
(appliqué
au cas de l’agglomération lyonnaise)
Introduction
Qu’est-ce qu’on peut attendre de la sociologie sur
ce sujet ?
La sociologie étudie des faits sociaux.
Elle cherche à les comprendre en les mettant en
relation avec d’autres faits sociaux.
-
La sociologie peut parler des conceptions de la
ville.
-
La sociologie peut parler des conceptions de
l’évangélisation :
car l’évangélisation est un fait social comme un autre, qui peut devenir
un objet d’étude.
-
La sociologie peut relier les deux :
-
pour comprendre la place des religions dans la
ville, ou bien
-
pour comprendre l’action pastorale urbaine en
elle-même.
Il y a pas mal d’études sur la place des religions
dans la ville.
Elles
sont commandées par les services de recherche de l’Etat, de l’Union Européenne
ou des Collectivités territoriales. Par exemple :
Les
Annales de la Recherche Urbaine, 2004, Urbanité
et liens religieux, n°96
Festival
International de Géographie, Religion et géographie, 2002, Saint Dié
VIEILLARD
BARON, Hervé, 2002, L’Espace du religieux dans les banlieues : de la terre
de mission aux regroupements communautaires ?, Festival International
de Géographie, Religion et géographie, Saint Dié,
Il y a peu d’études récentes sur l’action pastorale
urbaine proprement dite :
Il y a
en effet très peu de commande en ce domaine de la part des Eglises. Par
exemple :
NADEAU,
PELCHAT, (dir.), 1998, Dieu en ville, évangile et
Eglises dans l’espace urbain, Novalis, Cerf…(recension)
BRUNIN,
Jean-Luc, 1998, L’Eglise des banlieues. L’urbanité : quel défi pour les
chrétiens ?, Paris, L’Atelier
Mission
de l’Eglise, 2005, n°146, Défis de l’urbanité aujourd’hui et
art de vivre selon l’Évangile
La sociologie peut donc dire :
-
quelles conceptions de la ville existent,
-
quelles conceptions de l’évangélisation existent,
-
quelles relations existent entre ces conceptions.
Mais la sociologie ne peut pas déduire d’une
conception de la ville un type d’action pastorale.
Dans
l’Eglise, et particulièrement l’Eglise catholique, c’est la raison pastorale
qui prime sur la raison sociologique ou la raison économique.
En revanche, la sociologie peut aider les
responsables pastoraux à préciser leurs intentions pastorales en
distinguant bien :
-
ce qui relève de leurs propres options théologiques
(le rapport Eglise-Christ, le rapport Eglise-Société) et
-
ce qui relève des influences sociales
o
soit celles dont on a héritées,
o
soit celles du temps présent.
Voici quelques conceptions de la ville du temps
présent :
-
certaines sont très prégnantes, d’autres moins mais
peuvent le devenir à nouveau,
-
elles peuvent être aussi concomitantes, elles ne
s’excluent pas.
Voici, en parallèle, des actions pastorales, des
organisations pastorales, qui se sont dessinées ou se dessinent avec leurs
propres options théologiques.
On peut concevoir la ville comme un ARCHIPEL
La ville est constituée d’îles : des quartiers, des
communes qui ont une forte identité pour se distinguer les unes des autres, et parfois entrer en concurrence.
Quelques illustrations :
-
Je suis « croixroussien »,
dit quelqu’un, je suis de la « commune libre de Montchat »,
pouvait dire un autre,
-
Je vais à Lyon quand je traverse le Rhône, disait
une dame des Brotteaux (quartier des consulats et des beaux immeubles),
-
Je suis de La Thibaude ou du Mas (à Vaulx en
Velin), des Buers Nord ou des Buers
Sud (à Villeurbanne),
-
Dans les années 30, Villeurbanne se dote d’un
centre avec un axe Sud-Nord, l’avenue Henri Barbusse, qui veut ignorer Lyon,
-
Oullins, dans les années 80, se dote d’une
« porte » monumentale côté Lyon.
On a des schémas d’aménagement de l’agglomération
lyonnaise qui affirment cela en constituant des centres de quartier réservés
aux gens du quartier et que les autres doivent contourner :
-
le quartier du Tonkin construit ainsi dans les
années 60, à Villeurbanne,
-
le quartier du Point du Jour, réaménagé dans les
années 90, sur le 5ème arrdt de Lyon,
-
la rénovation récente des centres de Décines,
Grigny, etc.
On
peut lire :
BAUDIN,
Gérard, DUPUY, Sabine, 2001, Le Village ambigu, Annales de la Recherche
Urbaine, n°10
Selon cette conception de la ville, on voit des
paroisses se constituer en îlots, en territoires bien typés, quasi autonomes, souvent
sous l’influence de leur curé. Selon les options théologiques, c’est :
-
La paroisse dite « cité catholique »
avec ses œuvres (école catholique, patronage, cinéma, cercle bouliste, etc.),
qui se rassemblent toutes une fois par an pour la kermesse paroissiale, qui est
la fête de quartier ou l’une des deux fêtes s’il y a un fort courant laïque.
-
La paroisse dite « communauté »
avec des liens internes forts, particulièrement visibles dans la participation
active à la liturgie, dans ses centres familiaux de vacances, etc., paroisses
qui, après la guerre, anticipent les réformes du dernier concile ou bien
paroisses plus conservatrices, c’est selon.
On
peut lire :
Cet
article s’inscrit dans des programmes de recherche à financement public qui ont
donné lieu à un numéro de la revue de la recherche du ministère de l’équipement
sur le thème « ville et liens religieux ». Il décrit trois
périodes : la paroisse communauté missionnaire (de l’armistice à Vatican
II), communauté d’engagement (du Concile à Jean-Paul II), puis communauté de
proximité.
Il
décrit ce qu’on appelle un christianisme d’ « enfouissement »,
c’est-à-dire non pas d’invisibilité de l’Eglise, mais de présence visible de
l’Eglise là elle ne l’était pas et dans des formes qu’elle ne connaissait
pas : caravane missionnaire, paraliturgie, lieu de culte dans les
immeubles, débat dans des bistrots, réunion au domicile des gens, travail de
prêtre en usine, participation à la vie de quartier, etc. etc. Donc une forte
visibilité, mais différente de celle d’une pastorale des œuvres et « hors
les murs » de l’enceinte ecclésiastique habituelle : d’où la
dénomination d’enfouissement.
Le correctif apporté à ces autonomies locales a été
dans les années 60 ce qu’on appelé la « pastorale
d’ensemble » : l’Evêque auxiliaire de Lyon demandait que, les
mardis, les prêtres puissent s’absenter de leur paroisse pour des réunions
d’échange d’informations et un début de coopération, sur la base du
volontariat.
Dans les années 90, le premier « sous-préfet à
la politique de la ville » de Lyon, pour faire travailler ensemble les
administrations au service des quartiers en difficulté de l’agglomération, les
réunissait le mardi : cela s’appelait « les mardis de la
ville ».
On peut concevoir la ville comme un CORPS VIVANT
(vision « organiciste »)
Pour que vive une ville, il y a des fonctions à
assurer :
-
la tête, avec les centres administratifs,
-
le ventre, avec les halles,
-
les artères, avec les rues qu’on élargit,
-
le cœur, avec les lieux de passage qui rythment la
vie urbaine : gares (qui sont des entrées-sorties en ville matin et soir), rues
passantes, centres commerciaux.
Ce qui est vital, c’est que le cœur batte.
Lyon a deux cœurs : la Presqu’île et la
Part-Dieu, appelée à l’origine Presqu’île II.
On peut
lire :
La pastorale qui accompagne cette vision de la
ville est multiple :
-
on a inventé dans les années 60-70 ce qu’on a
appelé les « vitrines d’Eglise », des boutiques d’information
et parfois lieu de prière sur des passages (aérogare de Lyon Satolas, mail de la gare Perrache),
-
au centre commercial de la Part-Dieu, Mains
Ouvertes, qui ne se considère pas exactement comme « vitrine
d’Eglise », est un lieu œcuménique, situé à l’origine au cœur d’un
ensemble culturel, face à l’auditorium, à côté des cinémas et du théâtre qui
devaient être construits à cet endroit. En fait, la galerie marchande a triplé
de volume et absorbé les cinémas qui sont devenus un produit de consommation
ordinaire. Mains Ouvertes a du
déménager.
-
A proximité des lieux de passage, on a
adapté l’offre religieuse de prière, d’enseignement, de conseil spirituel (avec
la forme privée du rituel de la réconciliation de 1973) : à Saint-Louis d’Antin
à Paris (proche de la gare Saint-Lazare), à Saint-Bonaventure à Lyon, proche de
la « rue de la Ré » qui devient piétonne.
-
Dans cette même perspective de la ville, on a, sur
ces lieux de passage, des opérations- événements :
o
soit des opérations suscitées par les
responsables pastoraux : groupe de prière place Bellecour, sur le parking
Mammouth à Caluire, processions dans les rues, parades, etc.,
o
soit des opérations accompagnant des
événements : le Service de la pastorale sacramentelle au Salon du mariage,
les Aumôneries catholiques de l’enseignement public au Marché de Noël de
Villeurbanne.
Pour coordonner ces actions hors-paroisse avec la
pastorale paroissiale, on invente ce qu’on appelle la « pastorale de
secteur » regroupant paroisse, aumônerie, service, etc.
Givors et Grigny ont été rattachés au secteur
pastoral d’Oullins, alors qu’il n’y a pas de continuité géographique, car on a
jugé important de regrouper ce qui fonctionne de la même manière :
des communes de proche banlieue et de milieu ouvrier.
Le 1er janvier 2007, Givors et Grigny
étaient rattachés à la collectivité territoriale du Grand Lyon.
On peut concevoir la ville comme un RESEAU
Les territoires sont la partie visible d’une ville.
Mais une ville ne fonctionne que par ces réseaux :
-
techniques (voirie, électricité, eau, téléphone,
métro, tramway, etc.),
-
sociaux (culturels, économiques, etc.).
Un réseau fonctionne bien quand les fluides
(matériels ou immatériels) circulent bien.
On remarque le dynamisme d’une ville à l’intensité
de ses réseaux et à la multiplicité de leur connexion.
Au Grand Lyon, pour mettre en relation, en
connexion, tous les réseaux possibles de la société « grandlyonnaise », on a inventé la démarche dite
« Millénaire 3 », avec conférences, groupes de travail,
publications gratuites. Cette démarche, ouverte à tous, s’est
institutionnalisée avec le Conseil de Développement.
On
peut se reporter au site internet (internet étant l’outil moderne privilégié
des réseaux), ouvert pour mettre à disposition tous les documents et favoriser
un échange permanent : http://www.millenaire3.com
Une pastorale de réseau, ce sont des
initiatives liées à des proximités qui ne sont pas résidentielles.
Proximité d’idées, de sensibilités, de vues, qui
sont à la base des groupes appelés « affinitaires » :
-
des groupes préoccupés de la conversion des
mentalités ou des changements structurels du monde des entreprises, des
administrations…, par exemple :
o
l’Action Catholique spécialisée, perçue à ses
débuts comme un réseau menaçant les paroisses,
o
ou plus récemment en France, l’Opus Dei,
-
des groupes préoccupés de renouveler la prière
collective : mouvements charismatiques avec chacun leurs options
théologiques propres,
-
des groupes de jeunes hors institutions, etc.
Une des difficultés rencontrées, c’est d’entrer
dans ces réseaux qui n’ont pas de territoires propres, et pour cette raison
apparaissent clandestins à certains. En fait, après une période où ces groupes
affinitaires fonctionnent avec des « correspondants » auxquels on
s’adresse, bientôt ces groupes obtiennent une visibilité (avec un service
diocésain, des sanctuaires, des paroisses, des maisons d’accueil, etc.).
Des rencontres de ce qu’on va appeler « secteur
élargi » vont permettre d’accueillir ces modes d’actions affinitaires
dans la pastorale coordonnée des secteurs.
On
peut lire :
CHAMUSSY,
Henri, Les Stratégies spatiales de l’Eglise catholique, Festival International
de Géographie, Religion et géographie, Saint Dié,
2002 (compte-rendu)
HOURCADE,
Bernard, Du Ghetto aux réseaux, quelle géographie pour les religions, Festival
International de Géographie, Religion et géographie, Saint Dié, 2002
BORRAS, Alphonse, 2002, Assemblées dominicales et catholicité
de l’Église, Catho-Théo
On peut concevoir la ville comme une COMMUNAUTE de
destin
Une ville est un partage de territoires, une mutualisation
des compétences, une coopération des énergies : c’est ce qu’on nomme le vivre
ensemble. Pour cela on invente ou ré-invente :
-
des lieux symboliques de la ville (Terreaux,
rue de la Ré, Bellecour),
-
des événements fédérateurs (la Biennale de
la danse où les « quartiers » périphériques investissent ces lieux
symboliques : ils « sont » la ville ce jour-là),
-
des emblèmes par lesquels les autres vous
remarquent (le Grand Lyon a choisi 9 emblèmes comme la mode, la gastronomie, la
solidarité, le sport…).
On
peut lire :
Communauté
d’agglomération des Hauts-de-Bièvre (Sceaux)
La pastorale du vivre ensemble se décline de
plusieurs manières selon, toujours, les options théologiques :
Ce peut être :
-
prendre sa place dans cette communauté de
destin :
o
une paroisse qui organise régulièrement des
conférences-débats avec les institutions du quartier,
o
le diocèse qui siège officiellement au Conseil de
Développement du Grand Lyon, aux côtés d’autres représentants de la société
civile,
o
l’Evêque et des jeunes qui vont déposer leur
lumignon place Bellecour le 8 décembre pour une action de solidarité, ou leurs
baskets sur la pyramide des chaussures d’Handicap International,
-
mais aussi, organiser aux regards de tous un moment
fédérateur du monde catholique : investir Eurexpo lors de la venue du
Pape, le Palais des sports de Gerland pour un événement diocésain, etc.
ou
encore, lorsque l’on imagine une zone pastorale qui réunirait Brotteaux,
Villeurbanne, Vaulx en Velin, afin de mutualiser les ressources en tout genre,
on participe de cette vision de la ville : communauté de destin.
On peut concevoir la ville comme un MIXTE SOCIAL
Le partage n’étant pas ni évident ni naturel, une
politique volontariste se dessine, comme dans notre agglomération : celle
de la mixité sociale.
Faire en sorte, par exemple, que les habitants des
Brotteaux puissent aller habiter à Vaulx en Velin, et ceux de Vaulx en Velin
aller habiter aux Brotteaux.
L’idée sous-jacente est qu’il y a équivalence des
places, équivalence des personnes,
-
car la mixité, ce n’est pas seulement mettre côte à
côte des gens différents : cela a déjà existé, par exemple, aux Brotteaux,
avec la cohabitation dans le même immeuble, du chef de famille au 1er étage,
de l’aîné au 4ème, des gens de maison dans les combles, du concierge
à l’entresol…
-
dans la mixité sociale : il n’y a pas de
places réservées à certains, interdites à d’autres ; il y a refus de la
discrimination.
Les conséquences de cette vision de la ville,
c’est de devoir répartir les places entre les gens théoriquement sans
considérer leur fortune, leur mérite, leur disponibilité de temps, etc.
Un mode de gouvernement semble se dessiner ici ou
là, assez surprenant dans une culture aussi rationnelle que la nôtre : le
tirage au sort
o
au Conseil de Développement du Grand Lyon, comme il
y avait davantage de candidatures que de places en 2006, on a considéré que les
candidats s’équivalaient et on a procédé à un tirage au sort,
o
au parking du Gros Cailloux à la Croix Rousse,
récemment, il y avait davantage de demandes des résidents que de places
disponibles : l’attribution s’est faite par tirage au sort, et non pas au
plus offrant ou au plus rapide pour s’inscrire,
o
la loi Peyreffite en 1977
avait attribué le droit de vie et de mort à des citoyens tirés au sort pour
constituer les jurys d’Assises : on a considéré que tous les français
avaient une capacité équivalente de jugement,
o
le tirage au sort pour la conscription du service
militaire de 7 ans a été aboli en 1905,
o
les Romains disaient déjà alea jacta est,
o
et la plus ancienne norme pratique de l’Eglise qui
soit connue, bien avant les rituels, c’est celle qui a permis de compléter le
collège des Douze à la mort de Judas : on a considéré que les deux
candidats avaient une sainteté et une compétence équivalentes, et on a procédé
à un tirage au sort.
On
peut lire :
Quelles actions pastorales et quelles organisations
pastorales vont relever de cette conception de la ville, si elle perdure ?
Il faudra voir ce que les responsables pastoraux vont inventer.
En conclusion
D’une analyse sociologique on ne peut pas
déduire une orientation pastorale ou une organisation pastorale
précise.
Ce sont les options théologiques qui engendrent des
pastorales différentes, que ce soit :
-
des options très conscientes et affichées, ou
-
des options quelque peu ignorées, que l’on repère
en étudiant les actions pastorales concrètes comme des faits sociaux.
Le sociologue peut étudier les conditions sociales
de mise en œuvre de ces options ecclésiales,
-
soit en portant un regard critique sur ce qu’il
voit,
-
soit en apportant son concours actif à la
construction des pastorales,
selon
la place qu’il occupe dans la société, en particulier la société ecclésiale.
Le sociologue, quand il est amené à conseiller,
sauf à sortir de son rôle, ne peut pas dire aux pasteurs quelle
pastorale ils doivent suivre,
pas plus qu’il ne dit quelle politique on
doit suivre, quand un service de l’Etat ou une Collectivité territoriale lui
commandent un rapport.
Le sociologue peut seulement dire :
-
si telle pastorale souhaitée par les
responsables pastoraux est réalisable, et dans quelles conditions, à
quel prix, parfois même avec quels effets prévisibles, avec quels risques,
ou
bien,
-
vu les circonstances et vu les lieux, quelles
pastorales (au pluriel) sont possibles, avec quels avantages et quels
inconvénients, selon les options théologiques possibles des responsables
pastoraux du moment.
Georges
Decourt, 22 mars 2007