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lieu des martyres

177

 

 

 

 

 

La Lettre des chrétiens de Lyon et Vienne rapportée par Eusèbe de Césarée dans son Histoire ecclésiastique, écrite vers 325, indique deux lieux des martyres de l’année 177 à Lyon.

 

 

Prison

 

Tout d’abord, ils endurèrent généreusement les sévices que la foule ameutée multipliait contre eux. Hués, frappés, traînés à terre, dépouillés, lapidés, séquestrés, ils subirent tout ce qu’une populace enragée se plaît à infliger à des adversaires et à des ennemis. Puis on les fit monter au forum. Interrogés devant le peuple par le tribun et les premiers magistrats de la ville, ils confessèrent leur foi ; ils furent ensuite enfermés dans la prison jusqu’à l’arrivée du légat. Plus tard, ils furent conduits devant le légat, et cet homme usa de toute la cruauté habituelle à notre égard.

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Ainsi, la plupart d’entre eux périrent d’étouffement dans le cachot, ceux-là du moins pour qui le Seigneur voulut un pareil départ, et une telle manifestation de sa gloire. Car les premiers, qui avaient été cruellement torturés au point que, privés de tout soin, ils semblaient incapables de survivre, tinrent bon dans la prison. Bien plus, complètement abandonnés par les hommes, mais réconfortés par le Seigneur et retrouvant les forces du corps et de l’âme, ils stimulaient et encourageaient les autres. Au contraire, les derniers venus, récemment arrêtés, qui n’avaient pas encore été torturés, ne supportèrent pas l’accablement de la réclusion : ils en moururent.

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Pothin respirait à peine quand il fut jeté en prison : deux jours après, il rendit l’âme.

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Amphithéâtre

 

Maturus, Sanctus, Blandine et Attale furent ainsi conduits à l’amphithéâtre et livrés aux bêtes pour offrir au public le spectacle de l’inhumanité des païens - spectacle assuré aux dépens des nôtres durant la journée consacrée aux combats contre les bêtes. Maturus et Sanctus, dans l’amphithéâtre, passèrent une fois encore par toutes les tortures, comme si auparavant ils n’avaient rien souffert, ou plutôt comme des combattants qui ont déjà vaincu l’Adversaire en plusieurs épreuves. Menant alors la lutte pour obtenir la couronne finale, ils supportèrent à nouveau la série des fouets en usage dans ces cas-là, ils furent traînés par les bêtes et subirent tout ce qu’un peuple déchaîné, chacun de son côté, criait et demandait, et surtout la chaise de fer, sur laquelle leurs corps se consumaient dans un nuage de fumée. Même alors cette foule n’arrêtait pas, mais se déchaînait toujours davantage : elle voulait avoir raison de la patience de ces martyrs. Malgré cela, elle n’entendait de la bouche de Sanctus rien d’autre que les mots de la confession de sa foi, ceux qu’il redisait continuellement depuis le début. Finalement, comme Maturus et Sanctus survivaient encore malgré ce long combat, on les égorgea. Ils avaient durant cette journée tenu la place de tous les divers gladiateurs des combats singuliers et avaient été donnés eux-mêmes en spectacle au monde

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Attale, de son côté, fut réclamé à grands cris par la foule - car il était très connu. Il entra dans l’arène en lutteur entraîné par sa fidélité chrétienne ; il avait, en effet, toujours pratiqué l’authentique discipline du Christ, et il avait été au milieu de nous un témoin fidèle de la vérité. On lui fit faire le tour de l’amphithéâtre, précédé d’une pancarte sur laquelle on avait inscrit en latin : « Voici Attale le chrétien ». Le peuple se mit en rage contre lui, mais le légat, apprenant qu’il était citoyen romain, ordonna de le remettre avec les autres qui étaient dans le cachot.

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Comme c’était alors le commencement de la grande fête solennelle du pays - elle est très fréquentée et l’on y vient de tous les peuples (de la Gaule) - , le légat fit réunir les martyrs devant son tribunal pour les donner en spectacle et parader lui-même devant la foule. C’est pourquoi il les interrogea de nouveau. Ceux que l’on croyait posséder le droit de cité romain, il les fit décapiter ; les autres, il les envoya aux bêtes. Cette fête solennelle est bien connue : c’est la célébration du culte de l’empereur et de la déesse Rome par les délégués des soixante cités des Trois Gaules (provinces d’Aquitaine, Lyonnaise et Belgique). C’était effectivement la plus grande fête de toute la Gaule (la Narbonnaise restant à part, et les Germanies aussi). Le supplice des chrétiens va prendre, de ce fait, un retentissement considérable.

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Le lendemain, Alexandre parut dans l’arène avec Attale. Le gouverneur, en effet, voulant plaire à la foule, livra encore une fois ce dernier aux bêtes. Tous deux passèrent par tous les instruments de torture inventés pour l’amphithéâtre et soutinrent un très rude combat. A la fin, ils furent eux aussi mis à mort. Alexandre ne fit entendre ni le moindre gémissement ni même le moindre murmure, mais dans son cœur il s’entretenait avec Dieu. Attale, lui, avait été placé sur la chaise de fer et y brûlait de tous côtés ; comme la fumée s’élevait de son corps, il s’adressa à la foule en latin : « Eh bien ! c’est cela, manger de la chair humaine : c’est ce que vous faites ! Nous, nous ne sommes pas des anthropophages et nous ne faisons rien de mal ! » Et, comme on lui demandait quel est le nom de Dieu, il répondit : « Dieu n’a pas de nom comme en portent les hommes ».

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Après tout cela, le dernier jour des combats singuliers, on introduisit à nouveau dans l’amphithéâtre Blandine en même temps que Pontique, un jeune garçon de quinze ans. Chacun des jours précédents, on les avait amenés pour voir les tortures des autres.

 

 

Pour situer ces deux lieux, il convient de se représenter le Lyon de l’antiquité.

 

-      Sur la colline à l’ouest de la Saône, le gouverneur romain Plancus fonde en 43 avant J.-C. Lugdunum en l’honneur du dieu Lug. Il y a là le forum, Forum Vetus, devenu Fourvière, et sans doute, puisque c’est là que se déroulaient les procès, à proximité la prison. On supposa aussi que l’amphithéâtre était tout proche. Des constructions s’étendent sur la colline et des ateliers sur les pentes et en bordure de la rivière (quartier appelé par la suite Saint-Jean).

 

-      Sur les pentes de la colline entre Rhône et Saône, au lieu dit Condate, c’est-à-dire Confluent, se situe le Sanctuaire fédéral des Trois Gaules. Lyon est la capitale de la Gaule Lyonnaise, tandis que Saintes, puis Bordeaux, est capitale de la Gaule Aquitaine, et Reims, puis Trèves, capitale de la Gaule Belgique. Chaque année s’y réunissent les délégués des Trois Gaules impériales le 1er août autour d’un autel dédié au culte impérial reposant sur des colonnes de marbre rouge. Il devrait exister à proximité un amphithéâtre pour les fêtes. En 48 av. JC l’empereur Claude, né à Lyon, prononce un discours devant le Sénat de Rome, dans lequel il répond à la demande du Conseil des Trois Gaules d’avoir des droits semblables à ceux des Romains. Ce discours est reproduit sur une pierre, la Table Claudienne, découverte en 1528 sur ces mêmes pentes, sans doute non loin du sanctuaire.

 

-      Dans la presqu’île se situe le quartier des Kanabae, c’est-à-dire des marchands, conquis progressivement sur les eaux. Au XIIème s. est construite l’église d’Ainay où auraient été réutilisées les colonnes de l’autel impérial pour servir de soutiens à sa coupole. Les cendres des martyrs ayant été jetées au fleuve, l’amphithéâtre pourrait se situer à proximité.

 

 

Avec la disparition progressive des monuments du passé servant de carrière, disparaît la mémoire des lieux de martyre et plusieurs lieux vont être identifiés comme les emplacements de la prison ou de l’amphithéâtre (voir CHOMER C., LE MER).

 

Depuis le XVIème des textes parlent d’un édifice sur la colline de Fourvière, qu’on pense être le lieu des martyres.

 

Au XVIIème siècle se développe un culte autour d’un lieu situé au Monastère de la Visitation (l’Antiquaille) considéré comme le Cachot de saint Pothin.

 

Au milieu du XVIe siècle un Plan Scénographique signale trois arches sur les pentes de l’actuelle Croix-Rousse.

Au XVIIIe siècle sur plusieurs plans figure un amphithéâtre en ce même lieu.

En 1818 des fouilles conduites par l’archéologue François Artaud y mettent à jour une construction interprétée comme une naumachie, un bassin pour jeux fluviaux. Le site est recouvert.

Entre 1834 et 1854, puis en 1857 et en 1859 des aménagements urbains y détruisent des éléments antiques.

 

Au XIXème siècle la colline de Fourvière est considérée comme le lieu des martyres avec le « Cachot de saint Pothin » et l’ « Amphithéâtre », comme en témoigne ce texte :

 

La promenade sur la montagne de Fourvières est regardée par les Lyonnais dévots comme une sorte de pèlerinage; à chaque pas en effet ce sont des souvenirs des premiers chrétiens et des premiers martyrs de Lyon. Je vois en passant l'église de Saint-Just, rebâtie en 1703. Dans tout ce quartier, jusqu'à la porte Saint-Irenée, on trouve des bancs et des bornes carrées qui proviennent évidemment de l'ancien Lugdunum, ce sont des autels, des pierres tumulaires, etc., etc., dont plusieurs ont été repiquées. On se croirait dans une rue de Rome du côté des Sept salles. J'ai remarqué dans la rue des Anges une inscription latine dont voici la traduction : « Aux manes » de Camilla Augustilla qui a vécu trente-cinq ans et cinq jours, et de laquelle aucun des siens n'a jamais reçu de peine, si ce n'est par sa mort. Silenius Reginus, son frère, à sa » soeur très chérie, etc. » Saint-Irenée, évêque et même écrivain célèbre, souffrit le martyre à Lyon, au lieu où nous sommes, avec dix-neuf mille chrétiens. Le sang s'éleva sur cette montagne jusqu'au premier étage des maisons, j'en ai vu la marque. L'église de Saint-Irenée a été si souvent renouvelée et en dernier lieu si impitoyablement badigeonnée, suivant la coutume de l'art en province, qu'elle ne dit rien à l'âme et n'offre aucun intérêt à la curiosité.

(STENDHAL, journée du 20 mai 1837)

 

En 1887 des fouilles mettent à jour sur la colline de Fourvière des vestiges que l’on identifie à ceux de l’amphithéâtre.

 

En 1914, de nouvelles fouilles amènent à penser qu’il s’agit en fait d’un théâtre, à côté des ruines d’un odéon.

 

En 1933 la Ville de Lyon achète les terrains pour faire procéder à des fouilles méthodiques confiées aux archéologues Pierre Wuilleumier puis à Amable Audin. On met à jour le théâtre construit vers 15 avant JC. et l’odéon construit vers 100 après JC.

 

Pierre Wuilleumier pense alors que l’amphithéâtre se situe à la confluence de la Saône et du Rhône, sur la presqu’île.

 

En 1941-1946 puis en 1953-1958 théâtre et odéon sont restaurés.

 

En 1953, à l’occasion de travaux sur les pentes de la Croix-Rousse, du côté ouest, des murs antiques sont dégagés.

 

En 1956 des fouilles y sont entreprises par l’archéologue Amable AUDIN jusqu’en 1978.

 

En 1958 est découverte une inscription dédicatoire qui permet d’identifier l’Amphithéâtre des Trois Gaules.

 

On peut établir avec certitude que :

-      l’Amphithéâtre des Trois Gaules, où ont été mis mort les martyrs, se situe aux bas des pentes de la Croix-Rousse côté ouest, au lieu dit Jardin des Plantes

-      l’Antiquaille est sans doute le lieu de la prison où est mort saint Pothin, mais le lieu de vénération n’a aucune véracité historique.

 

En 1986 c’est à l’Amphithéâtre des Trois Gaules qu’est accueilli le pape Jean Paul II par les représentants des différentes Eglises chrétiennes présentes à Lyon.

 

En 2014 le « Cachot de saint Pothin » est inséré dans l’Espace du Christianisme, lieu d’exposition sur le développement du christianisme à Lyon.

 

 

 

 

 

DOCUMENTS

 

 

-      STENDHAL, Henry Beyle, 1838, Mémoires d'un touriste, vol.1

 

-      WUILLEUMIER Pierre, 1941, Les fouilles de Lyon, Revue des sciences anciennes, n°53, Bordeaux

 

-      AUDIN A., GUEY J., 1962, L'amphithéâtre des Trois-Gaules à Lyon. Rapport préliminaire aux fouilles. Première partie, Gallia, 20, pp.117-145

 

-      AUDIN A., GUEY J., 1963, L'amphithéâtre des Trois-Gaules à Lyon. Rapport préliminaire aux fouilles. Deuxième partie, Gallia, 21, pp.125-154

 

-      AUDIN A., GUEY J., 1964, L'amphithéâtre des Trois-Gaules à Lyon. Rapport préliminaire aux fouilles. Supplément : inscriptions, monnaies, Gallia, 22, pp.37-61

 

-      LEGLAY M., AUDIN A., 1970, L'amphithéâtre des Trois-Gaules à Lyon: première campagne de fouilles, Gallia, 28, pp.67-89

 

-      AUDIN A., 1979, L'amphithéâtre des Trois Gaules à Lyon. Nouvelles campagnes de fouilles (1971-1972, 1976-1978), Gallia, 37, pp.85-100

 

-      DUFIEUX Philippe, 2004, Le mythe de la primatie des Gaules: Pierre Bossan (1814-1888) et l’architecture religieuse en lyonnais au XIXè siècle

 

-      CHOMER C., LE MER, 2007, Historiographie lyonnaise, Lyon, Carte archéologique de la Gaule, 69/02, p. 109-123

 

-      PELLETIER… (dir.), 2007, Histoire de Lyon, des origines à nos jours

 

-      BEGHAIN P., BENOIT B., CORNELOUP G., THEVENON B., 2009, Dictionnaire historique de Lyon

 

-      FRASCONE Daniel, 2011, Une nouvelle hypothèse sur le sanctuaire des Trois Gaules à Lyon, Revue archéologique de l'Est, 60

 

-      site patristique.org, 1977, Chronique du colloque sur les Martyrs de Lyon (19-23 septembre 1977)

 

-      Musées gallo-romains, Musée de Fourvière

 

-      Service archéologique de la Ville de Lyon, L’Amphithéâtre des Trois Gaules

 

-      site du patrimoine de Lyon, Le Parc archéologique de Fourvièrehttp://www.patrimoine-lyon.org/index.php?lyon=le-parc-archeologique-de-fourviere

 

-      site de l’Espace du christianisme

 

-      voir les notices sur le cachot de saint Pothin, les reliques des martyrs

 

 

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