cardinal Maurin pour le
Carême
1932
Pour
le Carême de l’année 1932 le cardinal MAURIN publie un document qui comporte :
- ses réflexions sur
les événements survenus depuis l’année 1882, date de son ordination
sacerdotale, (voir ci-dessous)
-
le
mandement du Carême 1932, avec un avis sur les offrandes de Carême à lire en
chaire, (voir document)
- une déclaration sur
le devoir conjugal, à lire en chaire chaque année (voir document).
LETTRE PASTORALE
DE
SON
ÉMINENCE LE CARDINAL MAURIN
Archevêque de Lyon
et de Vienne
au
Clergé et aux Fidèles de son Diocèse
SUR
LES
principaux
événements qui se sont déroulés en France
au
cours des cinquante dernières années
et
quelques-uns de nos devoirs à l'heure présente
Louis-Joseph
MAURIN, Cardinal-Prêtre de la Sainte Eglise Romaine,
du Titre de la
Trinité-des-Monts, par la grâce de Dieu et l'autorité du Saint-Siège
Apostolique,
Archevêque de LYON
et de VIENNE, Primat des Gaules,
Au Clergé et aux fidèles de notre diocèse,
Salut et bénédiction en Notre-Seigneur,
NOS
TRES CHERS FRÈRES,
Au
début de la nouvelle année et à l'approche du Carême, nous nous sentons
naturellement porté à solliciter le secours de vos prières pour nous aider à
remercier Dieu des faveurs insignes qu'il a daigné nous accorder au cours des
cinquante années de notre vie sacerdotale et aussi à implorer sa miséricorde et
son pardon pour toutes nos insuffisances et nos lâchetés. C'est, en effet, le Samedi
Saint, 8 avril 1882, que nous avons reçu l'onction qui fait les prêtres à Rome,
dans l'église-mère de Saint-Jean-de-Latran, Mgr Robert, évêque de Marseille,
nous ayant envoyé achever nos études théologiques au cher séminaire français,
dont le souvenir reconnaissant est resté et restera à jamais gravé dans notre
cœur.
Sans
insister autrement sur ce qui nous est personnel, il nous semble que nous
pouvons trouver matière à d'utiles leçons et, en même temps vous suggérer de sages
résolutions en rappelant brièvement quelques-uns des douloureux événements qui
se sont accomplis en France pendant cette longue période et en jetant un rapide
regard sur la situation présente et les besoins actuels de notre cher pays.
***
Au
lendemain de la malheureuse guerre de 1870 et des tristes journées de la
Commune, la France s'était ressaisie. L'assemblée nationale qui comptait un
grand nombre de fervents catholiques et d'ardents patriotes, avait, dans
l'espace de trois ans, achevé de payer la dure rançon que nous avait imposée
l'Allemagne victorieuse et le sol de la patrie se trouvait, de ce chef, libéré
de la présence de l'armée d'occupation. Et même quelques lois sages et
réparatrices, entre autres, celle qui nous accordait la liberté de l'enseignement
supérieur, avaient été votées. Hélas ! nos représentants n'ayant pas su
suffisamment s'affranchir des dissensions politiques qui divisaient les
esprits, au lieu d'une République vraiment nationale qui aurait pu assurer pour
longtemps à notre pays une ère de paix et de prospérité, nous eûmes une
République maçonnique qui fit la guerre à la religion et nous plongea dans le
trouble et le désarroi.
Saint
Augustin, nos très chers frères, nous montre dans son livre de la Cité de Dieu,
comment le genre humain est divisé en deux camps qui obéissent à des sentiments
diamétralement opposés. « Deux amours, dit-il, ont donné naissance à deux
cités : la cité terrestre procède de l'amour de soi porté jusqu'au mépris de
Dieu ; la cité céleste procède de l'amour de Dieu porté jusqu'au mépris de
soi » (lib. XIV, c.XVII). Le pape Léon XIII, après avoir cité ce texte du
grand docteur, constate qu'au cours des siècles qui nous ont précédés, ces deux
cités n'ont pas cessé de lutter l'une contre l'autre, en employant toutes
sortes de tactiques et les armes les plus diverses, quoique non toujours avec
la même ardeur et la même impétuosité. « A notre époque, ajoute-t-il, les
fauteurs du mal semblent s'être coalisés dans un immense effort, sous
l'impulsion et avec l'aide d'une Société répandue en un grand nombre de lieux
et fortement organisée, la Société des francs-maçons. Ceux-ci, en effet, ne
prennent plus la peine de dissimuler leurs intentions et ils rivalisent
d'audace entre eux contre l'auguste majesté de Dieu ». (Encycl. Humanum genus.) Ils refusent de
reconnaître son autorité souveraine et même, de nos jours, la plupart vont
jusqu'à nier son existence. Leur but fondamental, inavoué d'abord et plus ou
moins mystérieusement caché sous des dehors philanthropiques, est de détruire
la religion du Christ et l'Église qu'il a fondée. Pour arriver plus sûrement à
leur fin, les francs-maçons ont eu recours à des hommes politiques, dont ils se
sont fait les alliés, inconscients parfois, et auxquels ils ont su inspirer la
conviction qu'ils ne parviendraient à asseoir leur domination et à devenir les
maitres incontestés du pouvoir qu'en portant gravement atteinte à l'autorité et
aux droits de l'Église.
C'est
là, nos très chers frères, que se trouve l'explication, comme la raison d'être
de la plupart des lois néfastes qui ont été successivement votées en France
depuis 1880 et qui nous régissent encore. Ces lois avaient été proposées dans
les loges avant d'être portées au Parlement et de passer dans le Code.
Dès
que la présidence du maréchal de Mac-Mahon eut pris fin et qu'une majorité
anticléricale fut arrivée au pouvoir, le premier travail de la secte a été de
soustraire l'instruction de la jeunesse à l'influence de l'Église et de
réaliser le programme adopté au Congrès maçonnique de Naples en 1869.
« L'enseignement doit être gratuit, obligatoire, exclusivement laïque et
matérialiste. »
La
loi du 16 juin 1882 établit la gratuité de l'instruction primaire, celle du 29
mars 1882 l'obligation et la laïcité. Il est vrai que le ministre, au moment de
la discussion de cette dernière loi au Sénat, avait d'abord fait entendre
quelques paroles d'apaisement. « L'enseignement religieux, avait-il dit, sera
donné par le ministre des différents cultes, soit dans les bâtiments consacrés
au culte, soit dans les locaux scolaires. Il pourra être donné par
l'instituteur lui-même en dehors des heures de classe. On sait comment cette
disposition fut ardemment combattue à la Chambre et finalement repoussée et
comment la neutralité scolaire promise alors et si souvent violée depuis,
n'avait été, au dire de quelques-uns des plus ardents défenseurs des lois
scolaires, qu'un mensonge diplomatique. La neutralité scolaire d'ailleurs, même
si elle était possible et si elle était fidèlement observée, ne saurait donner
satisfaction aux familles et à l'Église. A l’Église, il a été dit par son divin
fondateur : « Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre.
Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils
et du Saint-Esprit ; leur enseignant à garder tout ce que je vous ai commandé ;
et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des
siècles ». (Matth., XXVIII, 18-20.) A ce magistère le Christ a conféré
l'infaillibilité, en même temps qu'il donnait à l'Église la mission d'enseigner
sa doctrine. Le second titre en vertu duquel l'Église possède le droit
d'enseigner est la maternité spirituelle dont elle est investie à l'égard de
ceux qui lui appartiennent par le baptême.
Quant
à la famille, on ne saurait oublier que les fils, étant quelque chose du père,
les parents chrétiens ont le droit et le devoir de les faire élever
chrétiennement et, selon l'énergique expression de Léon XIII rappelée par N. S.
Père le Pape Pie XI « de les refuser à ces écoles dans lesquelles, il y a
péril qu'ils ne boivent le funeste poison de l'impiété ». (Encycl. sur l'éducation chrétienne.)
La
loi du 22 mars 1882 avait laïcisé les programmes et proscrit l'enseignement
religieux. Il fallait aussi laïciser le personnel, écarter les frères et les
sœurs qui, au nombre de dix-huit mille environ, enseignaient dans les écoles
communales. C'est ce que fit la loi du 30 octobre 1886 adoptée au Sénat malgré
les énergiques protestations des catholiques et de quelques libéraux sincères.
La Revue des Deux-Mondes pouvait
écrire à ce sujet : « C'est assurément la plus audacieuse mainmise sur la
jeunesse du pays par un enseignement officiel né d'un esprit de parti ou de
secte. Et le vénérable cardinal archevêque de Paris, s'adressant au Président
de la République, élevait cette fière et émouvante protestation.
« Permettez à un vieil évêque, qui a vu dans sa vie changer sept fois le
régime politique de son pays, de vous dire une dernière fois ce que lui suggère
sa vieille expérience. En continuant dans la voie où elle s'est engagée, la
République peut faire beaucoup de mal à la religion ; elle ne parviendra pas à
la tuer. L'Église a connu d'autres périls ; elle a traversé d'autres orages, et
elle vit encore dans le cœur de la France. Elle assistera aux funérailles de
ceux qui se flattent de l'anéantir ».
Rien
n'était capable d'arrêter la haine des sectaires. S'ils n'osaient pas encore
s'en prendre ouvertement au principe même de la liberté d'enseignement, ils
cherchaient par tous les moyens à l'affaiblir et à l'empêcher de vivre. C'est
pourquoi, quelques années plus tard, ils privèrent les religieux même munis de
leurs diplômes et appartenant à des Congrégations autorisées, du droit
d'enseigner, ce qui entraina la fermeture d'un grand nombre de nos écoles
libres. Et aujourd'hui encore, n'est-ce pas la fin de l'enseignement libre que
veulent atteindre la plupart des promoteurs de l'école unique ?
Les
lois scolaires, nos très chers frères, ne violent pas seulement les droits de
l'Église et de la famille ; elles ont encore et elles ne cessent d'avoir pour
la société elle-même les conséquences les plus funestes. C'est bien la
réalisation de la parole du Maitre : « On reconnaît un arbre à ses
fruits ; un mauvais arbre ne peut porter de bons fruits ». Oh qu'ils
sont amers les fruits de l'école sans Dieu ! Depuis qu'on a voilé à la vue des
enfants les étoiles du ciel et qu'on n'a laissé pour éclairer leur route que la
pâle lueur des phares de la science profane et qu'on leur présente des faits
historiques souvent falsifiés, leur niveau moral a rapidement baissé et, même
dans des milieux qui ne sont pas les nôtres, on est justement effrayé en
présence du nombre et de l'énormité des crimes que commettent avec une audace
inouïe de tout petits jeunes gens. Sans doute, on ne peut dire que de si
pernicieux effets ont été directement visés ou même simplement prévus par tous
les partisans de la laïcité et tous les adeptes de la franc-maçonnerie. Il n'en
reste pas moins qu'en supprimant le frein protecteur de la morale chrétienne et
en abandonnant, surtout à un âge si tendre, l'humaine nature à sa faiblesse et
à ses mauvais instincts, ils ont tous plus ou moins assumé une part de
responsabilité. Ce n'est jamais impunément, en effet, que l'on s'engage dans la
voie de l'erreur sur les plus importantes questions ; la simple logique se
charge d'en faire découler les conséquences externes.
Nous
venons, nos très chers frères, d'insister plus particulièrement sur les lois
scolaires ; mais c'est dans tout l'ensemble de notre législation qu'au cours de
notre carrière sacerdotale déjà un peu longue, nous avons vu la
franc-maçonnerie et les groupements qui, à des degrés divers, lui sont affiliés
travailler et réussir à faire prévaloir les faux principes du naturalisme et
même de l'athéisme. On a voulu organiser la société comme si Dieu n'existait
pas ou, tout au moins, comme s'il n'avait rien à voir dans les affaires de ce
monde. On a tour à tour supprimé les prières publiques, fait disparaître le
crucifix de l'Enceinte des tribunaux, voulu épurer la magistrature en lui ôtant
la garantie de l'inamovibilité et en portant ainsi gravement atteinte à son
indépendance ; on a introduit par le divorce le trouble et le désordre au
sein de la famille, imposé le service militaire aux séminaristes et aux
prêtres, dissous et spolié les congrégations non autorisées, alors que toutes
les autres associations, quelques-unes même très dangereuses, pouvaient se
former librement. L'Église a été séparée de l'État ; sa divine
constitution a été méconnue et on l’a épouillée de ses biens.
On
pourrait se demander, nos très chers frères, comment toutes ces lois et tant
d'autres que nous passons sous silence ont pu prendre naissance et s'implanter
dans un pays où les catholiques — du moins ceux qui sont tels par le baptême et
les principaux actes de la vie — composent la très forte majorité de la nation.
Il
faut d'abord reconnaître que la parole de Notre-Seigneur ne cesse d'être vraie
: « les enfants de ce siècle sont dans leur monde, plus habiles que les
enfants de lumière ». (Luc, XVI, 8.) Divisés sur un grand nombre de
points, nos ennemis ont su s'entendre et se grouper autour d'un plan d'attaque
et de destruction de l'Église et en poursuivre l'exécution avec persévérance et
méthode. Ils ont pris le masque de la liberté, donné le change à l'opinion en
ne pas dévoilant du premier coup leur perfide dessein et ils ont su tirer parti
de nos propres divisions et de nos erreurs de tactique. Les catholiques, au
contraire, même des catholiques sincères, n'ont pas su mettre à profit la
merveilleuse organisation de leur Église. Un grand nombre d'entre eux, ou bien
se sont retirés sous leur tente, se sont bornés à gémir et ont laissé la voie
libre aux agissements de la secte et des hommes politiques qui s'associaient à son
œuvre de destruction ; ou bien ils ont combattu en rangs dispersés et, cédant
le pas à des questions d'ordre secondaire et purement spéculatif sur lesquelles
ils pouvaient librement avoir des sentiments opposés, ils ont négligé de s'unir
pour résister plus efficacement aux attaques de l'ennemi et mieux sauvegarder
les graves intérêts de la religion et de la société si fortement menacée.
Aurions-nous été-les témoins attristés de tant de ruines si tous avaient
fidèlement écouté la voix de leurs chefs, les Pontifes Romains et s'étaient
rendus à leurs pressantes exhortations ? « Il y en a, écrivait Léon XIII dans
l'Encyclique Sapientiae christianae
qui ne voudraient pas qu'on s'opposât ouvertement au triomphe de l'injustice
toute-puissante, dans la crainte d'exaspérer la colère des adversaires. Ces
gens-là sont-ils pour l'Église ou contre elle ? On ne saurait le dire. « Rien,
ajoutait-il, n'est plus impropre à faire reculer le mal. Nous avons, en effet,
des ennemis dont le dessein — et ils ne s'en cachent pas, mais s'en vantent
tout haut — est d'anéantir, s'ils le peuvent, la vraie religion, la religion
catholique et, pour y arriver, il n'est rien qu'ils n'osent : ils savent bien,
en effet, qu'en intimidant le courage des bons, ils se facilitent leur besogne.
Aussi est-ce faire leur jeu, bien loin de les arrêter, que de s'engouer de
cette prudence de la chair qui veut ignorer la loi imposée au chrétien d'être
un militant... Honneur donc à ceux qui, provoqués au combat, descendent dans
l'arène, avec la ferme persuasion que la force de l'injustice aura un terme, et
qu'elle sera un jour vaincue par la sainteté du droit et de la religion ! Ils
déploient un courage digne de l'antique vertu. » Léon XIII avait déjà
donné les mêmes enseignements dans l'Encyclique Immortale Dei et on les retrouve dans plusieurs autres de ses
écrits, encycliques ou lettres adressées aux évêques de diverses nations.
Pie
X n'a pas tenu un autre langage et il a fortement recommandé l'union. « Ne
vous y méprenez pas, a-t-il écrit notamment dans l'encyclique Vehementer ; travail et efforts seraient
inutiles si vous tentiez de repousser les assauts qu'on vous livrera sans être
fortement unis. Abdiquez donc tous les germes de désunion, s'il en existait
parmi vous. Et faites le nécessaire pour que, dans la pensée comme dans
l'action, votre union soit aussi ferme qu'elle doit l'être parmi des hommes qui
combattent pour la même cause, surtout quand cette cause est de celles au
triomphe de qui chacun doit volontiers sacrifier quelque chose de ses propres
opinions.
Quant
au pape glorieusement régnant, il n'est assurément personne qui, à l'heure
présente, puisse ignorer avec quelle insistance et quelle vigueur, il ne cesse
dans tous ses écrits et ses discours de recommander l'action catholique et
l'union. Il y tient, c'est lui-même qui l'a dit et répété, comme à la prunelle
de ses yeux.
Au
cours des cinquante années de notre sacerdoce, ce n'est pas seulement la guerre
faite à la religion qui nous a profondément attristé. Nous avons vu se
déchaîner une autre guerre, mondiale, celle-là, la plus barbare et la plus
sanglante des guerres, qui, dans notre seul pays, a fait quinze cent mille
victimes et qui a semé partout la désolation et le deuil. Il n'entre pas dans
notre dessein de faire revivre de si douloureux souvenirs. La France a été
sauvée grâce à la prière, à l'héroïsme de nos morts et à l'union sacrée.
Demandons du fond du cœur à Dieu d'éloigner du monde le terrible fléau de la
guerre et de faire régner au sein de la patrie et au sein des autres nations
l'ordre, la justice et la paix. C'est le vœu ardent de Notre Saint Père le Pape
; c'est notre vœu à tous. Le retour des peuples à Dieu et à l'Église, l'action
et l'union des catholiques peuvent contribuer puissamment à sa réalisation.
L'union,
nos très chers frères, il semble que les catholiques français en ont enfin
compris, dans l'ensemble, les avantages et la nécessité, et que, sous ce
rapport, ils sont mieux disposés qu'autrefois à remplir leur devoir. Puissent-ils
dans l'exercice de leurs droits civiques, ne jamais s'écarter de la règle que
Léon XIII traçait aux catholiques du Brésil : « Que tous les catholiques se
souviennent de ceci : c'est que l'Église est grandement intéressée dans le
choix des législateurs. Aussi, tous doivent-ils faire converger leurs efforts
et faire triompher par les voies légales des hommes en qui s'unissent à l'amour
du bien public un zèle éprouvé pour la religion. » Les électeurs auront
bientôt, en France, à choisir leurs représentants. Nous leur rappelons
instamment qu'il est obligatoire pour eux, dans la mesure où ils le peuvent,
d'envoyer au Parlement des hommes qui non seulement ne porteront aucun
préjudice à la religion, mais qui s'emploieront à reconquérir avec prudence sans
doute, mais aussi avec fermeté les droits et les libertés qu'on nous a
injustement ravis. En vous parlant de la sorte, nous sommes absolument certain
de ne pas nous égarer sur un terrain étranger à notre mission. Nous avons
toujours soigneusement évité et nous éviterons toujours scrupuleusement de
descendre dans l'arène des batailles politiques, sachant bien que notre
caractère et les intérêts de la religion n'auraient rien à y gagner et tout à y
perdre. Mais il ne nous est nullement interdit et c'est même pour nous un
devoir de vous retracer sur ce grave sujet les principales règles de la morale
chrétienne. Comme vous avez pu en juger par les quelques citations qui
précèdent, les papes l'ont fait et ils ont invité les évêques à le faire à leur
tour. Notre éminent prédécesseur, de docte mémoire, a publié un catéchisme
électoral qu'il serait grandement utile aux électeurs catholiques d'avoir sous
les yeux et que nous tenons au moins à résumer brièvement.
Après
avoir établi la distinction entre le bon et la mauvais candidat, à savoir celui
qui remplira l'office de député conformément aux lois de la religion et aux
exigences du bien public, ou celui, au contraire, que l'on sait incapable de
remplir convenablement son mandat et que l'on croit disposé à voter des lois
anti-catholiques ou anti-sociales, le Cardinal Sevin déclare que tout électeur
est tenu de voter et de bien voter, et cela en vertu d'une obligation fondée
sur la justice légale, sur la religion et sur la charité. L'abstention non
justifiée constitue une faute grave quand des intérêts essentiels sont en jeu
pour l'Église ou pour l'État. L'électeur qui vote sciemment et efficacement
pour un mauvais député en vue de lui permettre de réaliser ses théories est
régulièrement tenu de réparer le mal causé par ce dernier. Quand il ne se
présente aucun bon candidat, on pourra, et même on devra parfois voter pour un
candidat moins mauvais afin d'en écarter un pire. Comme l'enseignent les
moralistes, celui-là agit absolument bien qui, avec une intention droite, une
raison suffisante et tout scandale écarté, produit un acte licite de sa nature,
ayant deux effets immédiats, l'un bon qu'il poursuit, l'autre mauvais qu'il
permet seulement et tolère pour éviter le pire. Dans un dernier chapitre sur
l'action catholique, le Cardinal Sevin montre comment les catholiques doivent
s'unir et comment, sans rien renier de leur programme, mais aussi sans émettre
la prétention de le faire adopter d'un seul coup, ils peuvent, sous certaines
conditions, s'allier avec des modérés et des libéraux qui s'engagent à ne pas
aggraver le mal et à le réparer au moins partiellement dans la mesure du
possible.
Les
dirigeants de l'Action catholique sont fermement résolus à ne pas, comme tels,
prendre directement part à la mêlée électorale. Ils s'entendront seulement avec
les divers Comités directeurs des organisations politiques et leur feront
connaître à quelles conditions les candidats qu'ils présentent obtiendront les
voix de leurs adhérents. Nous pouvons et nous devons leur faire confiance.
Il
n'est pas douteux que, depuis la guerre et surtout en ces derniers temps, la
situation s'est de ce point de vue, nettement éclaircie pour nous. Sans doute,
les erreurs du passé n'ont pas été corrigées et peut-être bien que toutes ne
pouvaient l'être. Nous sommes cependant heureux de reconnaitre que les pouvoirs
publics ne nous témoignent plus la même hostilité, la même malveillance. Le
sort de la patrie est en jeu. Les politiques clairvoyants ne peuvent pas ne pas
voir que, sans nous, il leur est impossible de barrer la route aux partis de
désordre. Ils n'ont qu'à ouvrir les yeux et regarder ce qui se passe dans
d'autres nations. Quand on fait la guerre à Dieu, à la religion et à l'Église,
on tombe tôt ou tard dans l'abîme de l'anarchie. Nous voulons autant et, en
vertu même de nos principes et de notre doctrine, plus que n'importe qui
travailler au salut de la société et à la prospérité de notre pays. Nous
saurons ne pas être trop exigeants dans nos légitimes revendications, montrer
de la patience et attendre le temps nécessaire pour qu'il nous soit donné
pleine satisfaction. Au moins faut-il que l'on nous accorde l'essentiel et que
l'on pratique à notre égard les règles de la plus élémentaire justice.
La
situation économique est assez grave partout et bien qu'en France nous ayons
été peut-être moins durement frappés, nous sommes loin, cependant, d'être à
l'abri du mal et celui-ci ne fera qu'empirer de jour en jour si nous ne
veillons, et n'y portons remède. Nous avons entendu l'appel émouvant du Saint-Père
et, sans retard, nous nous sommes efforcés d'y répondre. Par les soins de la
direction des Œuvres et de MM. les Curés, avec le concours de nos deux ligues,
des Conférences de Saint-Vincent-de-Paul et des autres associations de charité
si nombreuses dans le diocèse, des Comités de secours se sont organisés pour
venir en aide aux victimes du chômage. Veut-on savoir avec quelle parfaite
régularité et quelle merveilleuse efficacité fonctionnent les divers centres de
distribution des soupes populaires ? que l'on se donne la peine d'aller à la
porte de quelques-unes de nos Communautés religieuses. Comme il est éloquent le
démenti infligé par elles aux calomniateurs ! Ce n'est pas le prétendu
milliard des Congrégations qui est venu remplir la caisse des retraites
ouvrières. La spoliation a bien pu réduire un certain nombre de religieux à la
mendicité et enrichir quelques liquidateurs, politiciens ou spéculateurs
malhonnêtes ; mais ce sont les pauvres qui ont le plus souffert. On ne peut pas
ne pas s'en rendre compte en constatant l'usage que nos Communautés savent
faire du peu de biens qu'on leur a laissés.
Il
nous est agréable, nos très chers frères, .de pouvoir vous redire ce que saint
Paul écrivait autrefois aux fidèles de Thessalonique. « Pour ce qui est de
la charité et du soulagement fraternel, il n'est pas nécessaire que je vous en
écrive, car vous-mêmes avez appris de Dieu cette vertu, et vraiment, vous
l'exercez à l'égard de tous vos frères placés dans le besoin. » (Thess.,
IV, 9.) L'apôtre ajoutait : « Tout ce que j’ai donc à faire, c'est de vous
exhorter à avancer de plus en plus dans cette voie. » (Ibid., 10.) Cette parole, nous la
répétons après lui. Oui, vous avancerez dans cette voie à mesure que le mal
grandit et que les nécessités de la vie deviennent plus pressantes. Pour
exciter votre ardeur, vous vous rappellerez l'exemple du divin Maitre et ses
enseignements. Jésus a passé sur cette terre en faisant le bien. Né dans une
pauvre étable et n'ayant rien à lui, pas même une pierre pour y reposer sa
tête, il n'en a pas moins voulu soulager toutes les infirmités et secourir
toutes les misères. Il n'a cessé de prêcher aux hommes en actes et en paroles
la grande loi de la charité. Il faut aimer Dieu par-dessus tout et le prochain
comme soi-même ; le second commandement est semblable au premier. Avec quelle
vigueur il a condamné le mauvais riche et de quelle indulgence, au contraire,
il a usé envers ceux qui sont compatissants ! Qui ne connaît l'étonnante parole
de Notre-Seigneur Jésus-Christ aux pécheurs de son temps : « Donnez
l'aumône en proportion de ce que vous possédez et voici que toutes choses vous
sont pures. » (Luc, XI, 41.) Sans doute, le divin Sauveur n'a pas voulu
dire par là que l'aumône confère la justification même à celui qui s'obstine
dans le péché ; mais il a voulu faire entendre qu'inspirée par un mouvement
pieux, elle attire une abondance de bénédictions qui préparent et opèrent la
conversion. N'est-ce point d'ailleurs ce qui s'est vérifié pour Zachée ? La foi
et la charité ne sont-elles pas entrées dans son cœur en même temps qu'il a dit
: « Voici que je donne aux pauvres la moitié de mes biens, et si j'ai
fait tort à quelqu'un, je lui rends le quadruple. » (Luc, XIX8.) Ces
paroles du publicain expliquent fort bien la consolante et solennelle
déclaration du Sauveur : « Aujourd'hui, le salut a été fait dans
cette maison et cet homme est devenu, lui aussi, un fils d'Abraham. »
L'apôtre saint Jacques nous enseigne que notre foi est morte si elle n'est vivifiée
par les œuvres de miséricorde surtout. « Mes frères, que sert-il à
quelqu'un de dire qu'il a la foi, s'il n'a pas les œuvres ? Est-ce que la foi
peut le sauver ? Si un frère ou une sœur sont dans la nudité, et qu'ils
manquent de la nourriture de chaque jour et que l'un de vous leur dise : Allez
en paix, chauffez-vous et rassasiez-vous, et que vous ne leur donniez pas ce
qui est nécessaire au corps, à quoi cela servira-t-il ? » (Jac. II,
14-17.)
***
Nous
pourrions, nos très chers frères, multiplier les textes et les exemples de la
sainte Écriture. Mais il faut savoir nous borner et entrer plutôt, en terminant
cette lettre, dans quelques considérations d'ordre pratique. Il est vrai que
les pouvoirs publics se sont émus de la situation, ont soumis aux Chambres et
fait adopter par elles un projet d'outillage, d'équipement national. Nous avons
applaudi à cette sage mesure, bien que, sous l'un ou l'autre rapport, il pût y
avoir des réserves à faire. Mais si, comme le remarque justement Bossuet, l'une
des fins de tous les gouvernements de la terre est de rendre la vie commode et
les peuples heureux, il ne faut cependant pas reconnaître à l'État le droit
absolu de substituer l'aumône publique à l'aumône privée et de faire perdre à
l'aumône son véritable caractère en la transformant en impôt forcé. Vouloir sur
ce point dépasser le mesure, ce serait tomber dans l'erreur socialiste et
provoquer l'appauvrissement général de la nation. La distinction fondamentale
entre la charité et la justice, c'est que la dette de justice peut être exigée
ou par le recours aux lois, ou par le recours à la force, selon les
circonstances, tandis que celle de la charité ne peut être commandée par aucun
tribunal que par celui de Dieu et de la conscience. La pratique de l'aumône garde
ainsi pour nous chrétiens sa force obligatoire et en même temps, son mérite et
toute sa valeur.
Mais
ne l'oublions pas, nos très chers frères, la charité ne donnera des résultats
satisfaisants et ne sera vraiment efficace que si elle est parfaitement organisée.
C'est ce que nous avons essayé de faire dès le début de la crise et ce à quoi
nous appliquons toujours mieux nos efforts. A Lyon et à Saint-Étienne,
l'organisme central a été placé à la maison de la direction des Œuvres.
Messieurs les Curés, merveilleusement secondés par les Communautés religieuses
et les membres des associations de charité, recherchent les familles plus
durement atteintes, leur remettent des cartes portant un signe distinctif pour
chaque centre de distribution et arrivent ainsi à les faire secourir à bon
escient. Les étrangers, certes, ne sont pas exclus — ils sont, eux aussi, nos
frères dans le Christ — et on les voit accourir nombreux là où l'on sert des
soupes populaires. Ils ne sauraient cependant trouver mauvais que l'on suive un
ordre dans l'exercice de la charité et qu'une certaine préférence soit donnée à
ceux qui nous touchent de plus près. Nous savons aussi, — et loin de les en
blâmer, nous leur en exprimons notre vive reconnaissance — que nos prêtres, nos
hommes et nos femmes d’œuvres cherchent à découvrir ceux qui, jouissant
jusqu'ici d'une certaine aisance, n'osent par amour-propre, timidité ou
discrétion se présenter eux-mêmes et qui sont de tous les malheureux, les plus
à plaindre. Oh ! que dans ce cas surtout, on agisse de telle sorte que la
main gauche ignore ce qui vient de la main droite. Ce que l'on donne sera
souvent moins apprécié que la délicatesse avec laquelle on le donne.
Il
faut, nos très chers frères, éviter, le plus possible, de dissocier la famille
et distribuer, dans toute la mesure où on le peut, des secours à domicile sous
forme de bons de pain, viande, légumes, charbon et denrées de toutes sortes.
Mais, parmi les modes d'assistance, celui qui l'emporte sans contredit sur tous
les autres parce qu'il est plus moralisateur et qu'il répond mieux à la dignité
et aux vrais intérêts de l'ouvrier, c'est l'assistance par le travail. En temps
de crise, on est naturellement porté à voir l'avenir sous des couleurs très
sombres et très facilement on peut se laisser aller au découragement et à
l'apathie. La vertu de prudence conseille sans doute de ne pas s'exposer à
courir des risques qui pourraient être funestes ; mais l'on doit aussi éviter
avec le plus grand soin de tomber dans le défaut contraire et bien se garder,
sous prétexte d'attendre des jours meilleurs, d'interrompre des travaux déjà
commencés ou d'en différer d'autres qu'il serait plus utile que jamais
aujourd'hui d'entreprendre et de mener à bonne fin. Aussi, nous permettons-nous
de recommander très instamment à la générosité de nos diocésains l'église du
Sacré-Cœur et toutes celles qui ne sont pas achevées. Il existe à Lyon une
association qui nous est particulièrement chère : « Le Christ dans la banlieue ». Peut-on concevoir rien de plus noble
et de plus franchement chrétien que de chercher à établir dans les faubourgs de
nos grandes villes des cités paroissiales et à donner ainsi, en même temps, à
nos ouvriers des lieux de prières et du travail ?
Il
est un rêve que nous avons formé dans notre cœur et que nous caressons depuis
plusieurs années déjà. Nous craignons bien hélas ! de ne pas le voir se
réaliser dans toute son ampleur. Comme nous serions heureux, cependant si nous
pouvions assister à un commencement d'exécution en gardant l'espérance que le projet
s'achèverait un jour. Depuis que la Divine Providence, sans aucun mérite de
notre part, nous a fait le très grand honneur de nous appeler à l'épiscopat,
nous nous sommes particulièrement intéressé au sort des travailleurs et nous
n'avons pu nous empêcher de gémir en constatant qu'un si grand nombre d'entre
eux, naturellement bons, s'écartent du droit chemin et se laissent facilement
égarer par les hommes dangereux et pervers qui sèment l'ivraie et répandent les
fausses doctrines au milieu d'eux. Ceux-là seuls résistent habituellement qui
ont reçu une solide formation religieuse et morale en même temps que
professionnelle dans nos écoles d'apprentissage, et c'est pourquoi, ces écoles
nous ne cessons de les recommander. Il en est une que nous avons fondée à Lyon
et qui nous tient particulièrement au cœur. Nous en avons confié la direction à
l'un de nos prêtres qui s'est consacré à cette œuvre importante avec une
compétence et un dévouement justement appréciés. Oh ! puisse-t-il donner à son
école le développement qui conviendrait et qu'il désire et pour cela trouver
dans le monde de l'industrie et du commerce les concours nécessaires ! Il
importe, au plus haut chef, dans le double intérêt de la religion et de la
société, de former des ouvriers sages et habiles, mais aussi de futurs
contremaîtres et ingénieurs chrétiens.
Il
nous arrive quelquefois — et nous le faisons plus particulièrement en ces
heures de crise — de nous reporter par la pensée quelques années en arrière alors
que, pendant les tristes jours de la guerre, en collaboration avec quelques
âmes d'élite, nous pouvions procurer du travail à des milliers d'ouvrières qui
avaient vu avec angoisse se fermer leurs usines et qui étaient heureuses
d'assurer leur existence en confectionnant du linge et des vêtements chauds
pour nos héroïques soldats qui combattaient au front ou ceux qui, ayant reçu
des blessures ou contracté des maladies, étaient soignés dans les hôpitaux. Ne
faut-il pas, de temps à autre, dans les familles, faire ou renouveler des
trousseaux et ne prenait-on, au moyen d'une entente, trouver là l'occasion de
permettre à quelques ouvrières sans travail de gagner leur vie ? Nous confions
à nos chères ligueuses et à nos associations de charité cette pensée, assuré
d'avance qu'elle recevra, clans toute la mesure du possible, un accueil
favorable.
On
dira peut-être que les réflexions qui précèdent visent uniquement ceux de nos
diocésains qui habitent les villes et que les gens de la campagne ne sauraient
y trouver aucun intérêt ni aucune leçon. C'est, il est vrai, dans les grands
centres que la crise économique se fait plus cruellement sentir ; mais nos
campagnes elles-mêmes ne sont pas tout à fait indemnes. Le travail y est dur et
les agriculteurs ont quelque peine à pouvoir écouler leurs produits à un prix
suffisamment rémunérateur. Par suite, il peut y avoir aussi chez eux de la gêne
et de la souffrance. Que nos chers ruraux se soutiennent entre eux, c'est leur
premier devoir : mais, d'autre part, comme ils sont moins aux prises avec la
faim, nous leur demandons instamment de venir, principalement par des dons en
nature, au secours de nos malheureux chômeurs des grands centres industriels.
En ce qui concerne la ville de Lyon, des équipes d'hommes et de jeunes filles
dévoués visitent chaque jour nos marchés et reçoivent avec reconnaissance les
fruits et les légumes qu'on veut bien leur donner. Ces produits sont
centralisés dans les entrepôts de la Coopérative Rhône et Loire, rue Saint-Georges, 120, en même temps que ceux qui,
grâce à la merveilleuse organisation et au dévouement des Femmes françaises
nous viennent directement de la banlieue lyonnaise. Messieurs les Curés des
paroisses rurales de notre diocèse voudront bien s'entendre à ce sujet avec les
directeurs des Œuvres, 5, rue Mulet, à Lyon et 4, rue Mi-Carême, à
Saint-Étienne. On pourra ainsi obtenir encore un meilleur rendement.
Nous
nous sentons, nos très chers frères, impuissant à exprimer comme il
conviendrait notre profonde gratitude à tous ceux qui, répondant à l'appel du
Saint-Père, prêtent avec tant d'ardeur et d'efficacité leur concours à la
croisade de charité. Qu'ils le sachent bien c'est Notre-Seigneur lui-même qui
les remercie et se charge de les récompenser. Ne lisons-nous pas dans le saint
Evangile qu'il regarde comme fait à lui-même ce qui est fait au moindre des
siens et qu'un verre d'eau donné en son nom ne restera pas sans récompense ?
Les yeux fixés sur tous ceux qui souffrent et, ouvrant largement vos bourses et
vos cœurs, vous continuerez à donner et à vous donner vous-mêmes sans rien
retrancher cependant aux œuvres que vous avez soutenues jusqu'ici, fallût-il
pour cela vous imposer de nouveaux sacrifices et même des privations. Donnez
donc le pain matériel aux enfants qui le réclament ; mais qu'ils ne soient pas
pour cela privés du pain de l'intelligence, du pain de la vérité. Oh ! puissent
nos chères écoles ne pas avoir à souffrir du fait de la crise ! Vous connaissez
leur absolue nécessité, vous connaissez aussi leurs besoins. Messieurs les
Curés ont, à cette heure, à leur sujet, de justes et graves préoccupations.
Venez-leur en aide et déchargez-les du poids qui les opprime. Il ne faut pas
non plus que la moindre atteinte soit portée à l'Œuvre du denier du Clergé. La
vie de nos prêtres est toute faite d'abnégation et de sacrifices ; il y aurait
péril et mauvaise grâce à diminuer, si peu que ce soit, leurs maigres
ressources. Quant à nos séminaires, ils sont, depuis plusieurs années déjà, en
déficit du fait du coût de la vie et ce n'est pas sans crainte que, de ce côté,
nous regardons l'avenir. Oh ! de grâce, que les familles de nos séminaristes
sachent faire un nouvel effort et que nos chers diocésains viennent en aide aux
familles. L'œuvre des vocations, si fortement organisée et si bien dirigée,
nous aide puissamment ; mais elle ne peut tout faire. La pratique de la
pénitence chrétienne est toujours obligatoire pour tous, riches et pauvres,
mais plus encore pendant le saint temps de Carême et aux heures de crise. Ne
serait-ce pas causer un vrai scandale que de faire étalage de ses richesses et
de se laisser aller au luxe et aux plaisirs alors que tant de malheureux sont
dans la misère ? D'autre part, ne serait-on pas tenté d'étouffer dans son cœur
le sentiment de la compassion si l'on voyait accourir aux spectacles, aux fêtes
mondaines et aux salles de cinéma des familles ouvrières condamnées à un
chômage même seulement partiel et obligées de lutter contre la faim et le froid
? Si l'esprit chrétien revenait sur la terre, on ne verrait sans doute pas
nécessairement renaître aussitôt l'abondance, mais les déshérités de la vie se
soumettraient avec plus de résignation à leur sort et les favorisés de la
fortune, au lieu de tout garder pour eux et d'amasser richesses sur richesses,
n'hésiteraient pas à faire bénéficier d'une partie de leurs biens ceux de leurs
frères qui souffrent.
Nous
avons confiance, nos très chers frères. N'ignorant pas toutefois que cette
croisade de charité serait inefficace si nous n'y joignions la prière, nous
nous unirons tous au Pontife suprême, le Père de nos âmes qui, dans un état de
choses si grave et en apparence désespéré, a levé les yeux vers la montagne
sainte d'où il attend le secours. Fidèles à son invitation, nous ne cesserons,
surtout pendant ce saint temps de Carême, de conjurer avec lui le Dieu riche en
miséricorde afin qu'il extermine les guerres jusqu'aux extrémités de la terre,
qu'il éloigne tout sujet de dissension entre les peuples, qu'il fasse régner en
leur sein la justice, la concorde et la paix, qu'il mette un terme aux
calamités dont, à cette heure, nous sommes tous plus ou moins affligés et que
toutes les nations viennent ou reviennent, si elles s'en sont malheureusement
écartées, à la connaissance de la vérité dont le Christ a confié le dépôt de son
Eglise.
SOURCE : Semaine religieuse du diocèse de Lyon, lettre pastorale et
mandement de Carême, 15 et 22 janvier 1932