musée du diocèse de lyon

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cardinal Maurin pour le Carême

1932

 

 

 

 

 

Pour le Carême de l’année 1932 le cardinal MAURIN publie un document qui comporte :

 

-      ses réflexions sur les événements survenus depuis l’année 1882, date de son ordination sacerdotale, (voir ci-dessous)

-      le mandement du Carême 1932, avec un avis sur les offrandes de Carême à lire en chaire, (voir document)

-      une déclaration sur le devoir conjugal, à lire en chaire chaque année (voir document).

 

 

 

 

 

 

 

 

LETTRE PASTORALE

DE

SON ÉMINENCE LE CARDINAL MAURIN

Archevêque de Lyon et de Vienne

au Clergé et aux Fidèles de son Diocèse

SUR LES

principaux événements qui se sont déroulés en France

au cours des cinquante dernières années

et quelques-uns de nos devoirs à l'heure présente

 

 

 

Louis-Joseph MAURIN, Cardinal-Prêtre de la Sainte Eglise Romaine,

du Titre de la Trinité-des-Monts, par la grâce de Dieu et l'autorité du Saint-Siège Apostolique,

Archevêque de LYON et de VIENNE, Primat des Gaules,

 

 

 

Au Clergé et aux fidèles de notre diocèse,

Salut et bénédiction en Notre-Seigneur,

 

 

 

NOS TRES CHERS FRÈRES,

 

 

Au début de la nouvelle année et à l'approche du Carême, nous nous sentons naturellement porté à solliciter le secours de vos prières pour nous aider à remercier Dieu des faveurs insignes qu'il a daigné nous accorder au cours des cinquante années de notre vie sacerdotale et aussi à implorer sa miséricorde et son pardon pour toutes nos insuffisances et nos lâchetés. C'est, en effet, le Samedi Saint, 8 avril 1882, que nous avons reçu l'onction qui fait les prêtres à Rome, dans l'église-mère de Saint-Jean-de-Latran, Mgr Robert, évêque de Marseille, nous ayant envoyé achever nos études théologiques au cher séminaire français, dont le souvenir reconnaissant est resté et restera à jamais gravé dans notre cœur.

 

Sans insister autrement sur ce qui nous est personnel, il nous semble que nous pouvons trouver matière à d'utiles leçons et, en même temps vous suggérer de sages résolutions en rappelant brièvement quelques-uns des douloureux événements qui se sont accomplis en France pendant cette longue période et en jetant un rapide regard sur la situation présente et les besoins actuels de notre cher pays.

 

***

 

Au lendemain de la malheureuse guerre de 1870 et des tristes journées de la Commune, la France s'était ressaisie. L'assemblée nationale qui comptait un grand nombre de fervents catholiques et d'ardents patriotes, avait, dans l'espace de trois ans, achevé de payer la dure rançon que nous avait imposée l'Allemagne victorieuse et le sol de la patrie se trouvait, de ce chef, libéré de la présence de l'armée d'occupation. Et même quelques lois sages et réparatrices, entre autres, celle qui nous accordait la liberté de l'enseignement supérieur, avaient été votées. Hélas ! nos représentants n'ayant pas su suffisamment s'affranchir des dissensions politiques qui divisaient les esprits, au lieu d'une République vraiment nationale qui aurait pu assurer pour longtemps à notre pays une ère de paix et de prospérité, nous eûmes une République maçonnique qui fit la guerre à la religion et nous plongea dans le trouble et le désarroi.

 

Saint Augustin, nos très chers frères, nous montre dans son livre de la Cité de Dieu, comment le genre humain est divisé en deux camps qui obéissent à des sentiments diamétralement opposés. « Deux amours, dit-il, ont donné naissance à deux cités : la cité terrestre procède de l'amour de soi porté jusqu'au mépris de Dieu ; la cité céleste procède de l'amour de Dieu porté jusqu'au mépris de soi » (lib. XIV, c.XVII). Le pape Léon XIII, après avoir cité ce texte du grand docteur, constate qu'au cours des siècles qui nous ont précédés, ces deux cités n'ont pas cessé de lutter l'une contre l'autre, en employant toutes sortes de tactiques et les armes les plus diverses, quoique non toujours avec la même ardeur et la même impétuosité. « A notre époque, ajoute-t-il, les fauteurs du mal semblent s'être coalisés dans un immense effort, sous l'impulsion et avec l'aide d'une Société répandue en un grand nombre de lieux et fortement organisée, la Société des francs-maçons. Ceux-ci, en effet, ne prennent plus la peine de dissimuler leurs intentions et ils rivalisent d'audace entre eux contre l'auguste majesté de Dieu ». (Encycl. Humanum genus.) Ils refusent de reconnaître son autorité souveraine et même, de nos jours, la plupart vont jusqu'à nier son existence. Leur but fondamental, inavoué d'abord et plus ou moins mystérieusement caché sous des dehors philanthropiques, est de détruire la religion du Christ et l'Église qu'il a fondée. Pour arriver plus sûrement à leur fin, les francs-maçons ont eu recours à des hommes politiques, dont ils se sont fait les alliés, inconscients parfois, et auxquels ils ont su inspirer la conviction qu'ils ne parviendraient à asseoir leur domination et à devenir les maitres incontestés du pouvoir qu'en portant gravement atteinte à l'autorité et aux droits de l'Église.

 

C'est là, nos très chers frères, que se trouve l'explication, comme la raison d'être de la plupart des lois néfastes qui ont été successivement votées en France depuis 1880 et qui nous régissent encore. Ces lois avaient été proposées dans les loges avant d'être portées au Parlement et de passer dans le Code.

 

Dès que la présidence du maréchal de Mac-Mahon eut pris fin et qu'une majorité anticléricale fut arrivée au pouvoir, le premier travail de la secte a été de soustraire l'instruction de la jeunesse à l'influence de l'Église et de réaliser le programme adopté au Congrès maçonnique de Naples en 1869. « L'enseignement doit être gratuit, obligatoire, exclusivement laïque et matérialiste. »

 

La loi du 16 juin 1882 établit la gratuité de l'instruction primaire, celle du 29 mars 1882 l'obligation et la laïcité. Il est vrai que le ministre, au moment de la discussion de cette dernière loi au Sénat, avait d'abord fait entendre quelques paroles d'apaisement. « L'enseignement religieux, avait-il dit, sera donné par le ministre des différents cultes, soit dans les bâtiments consacrés au culte, soit dans les locaux scolaires. Il pourra être donné par l'instituteur lui-même en dehors des heures de classe. On sait comment cette disposition fut ardemment combattue à la Chambre et finalement repoussée et comment la neutralité scolaire promise alors et si souvent violée depuis, n'avait été, au dire de quelques-uns des plus ardents défenseurs des lois scolaires, qu'un mensonge diplomatique. La neutralité scolaire d'ailleurs, même si elle était possible et si elle était fidèlement observée, ne saurait donner satisfaction aux familles et à l'Église. A l’Église, il a été dit par son divin fondateur : « Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; leur enseignant à garder tout ce que je vous ai commandé ; et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles ». (Matth., XXVIII, 18-20.) A ce magistère le Christ a conféré l'infaillibilité, en même temps qu'il donnait à l'Église la mission d'enseigner sa doctrine. Le second titre en vertu duquel l'Église possède le droit d'enseigner est la maternité spirituelle dont elle est investie à l'égard de ceux qui lui appartiennent par le baptême.

 

Quant à la famille, on ne saurait oublier que les fils, étant quelque chose du père, les parents chrétiens ont le droit et le devoir de les faire élever chrétiennement et, selon l'énergique expression de Léon XIII rappelée par N. S. Père le Pape Pie XI «  de les refuser à ces écoles dans lesquelles, il y a péril qu'ils ne boivent le funeste poison de l'impiété ». (Encycl. sur l'éducation chrétienne.)

 

La loi du 22 mars 1882 avait laïcisé les programmes et proscrit l'enseignement religieux. Il fallait aussi laïciser le personnel, écarter les frères et les sœurs qui, au nombre de dix-huit mille environ, enseignaient dans les écoles communales. C'est ce que fit la loi du 30 octobre 1886 adoptée au Sénat malgré les énergiques protestations des catholiques et de quelques libéraux sincères. La Revue des Deux-Mondes pouvait écrire à ce sujet : « C'est assurément la plus audacieuse mainmise sur la jeunesse du pays par un enseignement officiel né d'un esprit de parti ou de secte. Et le vénérable cardinal archevêque de Paris, s'adressant au Président de la République, élevait cette fière et émouvante protestation. « Permettez à un vieil évêque, qui a vu dans sa vie changer sept fois le régime politique de son pays, de vous dire une dernière fois ce que lui suggère sa vieille expérience. En continuant dans la voie où elle s'est engagée, la République peut faire beaucoup de mal à la religion ; elle ne parviendra pas à la tuer. L'Église a connu d'autres périls ; elle a traversé d'autres orages, et elle vit encore dans le cœur de la France. Elle assistera aux funérailles de ceux qui se flattent de l'anéantir ».

 

Rien n'était capable d'arrêter la haine des sectaires. S'ils n'osaient pas encore s'en prendre ouvertement au principe même de la liberté d'enseignement, ils cherchaient par tous les moyens à l'affaiblir et à l'empêcher de vivre. C'est pourquoi, quelques années plus tard, ils privèrent les religieux même munis de leurs diplômes et appartenant à des Congrégations autorisées, du droit d'enseigner, ce qui entraina la fermeture d'un grand nombre de nos écoles libres. Et aujourd'hui encore, n'est-ce pas la fin de l'enseignement libre que veulent atteindre la plupart des promoteurs de l'école unique ?

 

Les lois scolaires, nos très chers frères, ne violent pas seulement les droits de l'Église et de la famille ; elles ont encore et elles ne cessent d'avoir pour la société elle-même les conséquences les plus funestes. C'est bien la réalisation de la parole du Maitre : « On reconnaît un arbre à ses fruits ; un mauvais arbre ne peut porter de bons fruits ». Oh qu'ils sont amers les fruits de l'école sans Dieu ! Depuis qu'on a voilé à la vue des enfants les étoiles du ciel et qu'on n'a laissé pour éclairer leur route que la pâle lueur des phares de la science profane et qu'on leur présente des faits historiques souvent falsifiés, leur niveau moral a rapidement baissé et, même dans des milieux qui ne sont pas les nôtres, on est justement effrayé en présence du nombre et de l'énormité des crimes que commettent avec une audace inouïe de tout petits jeunes gens. Sans doute, on ne peut dire que de si pernicieux effets ont été directement visés ou même simplement prévus par tous les partisans de la laïcité et tous les adeptes de la franc-maçonnerie. Il n'en reste pas moins qu'en supprimant le frein protecteur de la morale chrétienne et en abandonnant, surtout à un âge si tendre, l'humaine nature à sa faiblesse et à ses mauvais instincts, ils ont tous plus ou moins assumé une part de responsabilité. Ce n'est jamais impunément, en effet, que l'on s'engage dans la voie de l'erreur sur les plus importantes questions ; la simple logique se charge d'en faire découler les conséquences externes.

 

Nous venons, nos très chers frères, d'insister plus particulièrement sur les lois scolaires ; mais c'est dans tout l'ensemble de notre législation qu'au cours de notre carrière sacerdotale déjà un peu longue, nous avons vu la franc-maçonnerie et les groupements qui, à des degrés divers, lui sont affiliés travailler et réussir à faire prévaloir les faux principes du naturalisme et même de l'athéisme. On a voulu organiser la société comme si Dieu n'existait pas ou, tout au moins, comme s'il n'avait rien à voir dans les affaires de ce monde. On a tour à tour supprimé les prières publiques, fait disparaître le crucifix de l'Enceinte des tribunaux, voulu épurer la magistrature en lui ôtant la garantie de l'inamovibilité et en portant ainsi gravement atteinte à son indépendance ; on a introduit par le divorce le trouble et le désordre au sein de la famille, imposé le service militaire aux séminaristes et aux prêtres, dissous et spolié les congrégations non autorisées, alors que toutes les autres associations, quelques-unes même très dangereuses, pouvaient se former librement. L'Église a été séparée de l'État ; sa divine constitution a été méconnue et on l’a épouillée de ses biens.

 

On pourrait se demander, nos très chers frères, comment toutes ces lois et tant d'autres que nous passons sous silence ont pu prendre naissance et s'implanter dans un pays où les catholiques — du moins ceux qui sont tels par le baptême et les principaux actes de la vie — composent la très forte majorité de la nation.

 

Il faut d'abord reconnaître que la parole de Notre-Seigneur ne cesse d'être vraie : « les enfants de ce siècle sont dans leur monde, plus habiles que les enfants de lumière ». (Luc, XVI, 8.) Divisés sur un grand nombre de points, nos ennemis ont su s'entendre et se grouper autour d'un plan d'attaque et de destruction de l'Église et en poursuivre l'exécution avec persévérance et méthode. Ils ont pris le masque de la liberté, donné le change à l'opinion en ne pas dévoilant du premier coup leur perfide dessein et ils ont su tirer parti de nos propres divisions et de nos erreurs de tactique. Les catholiques, au contraire, même des catholiques sincères, n'ont pas su mettre à profit la merveilleuse organisation de leur Église. Un grand nombre d'entre eux, ou bien se sont retirés sous leur tente, se sont bornés à gémir et ont laissé la voie libre aux agissements de la secte et des hommes politiques qui s'associaient à son œuvre de destruction ; ou bien ils ont combattu en rangs dispersés et, cédant le pas à des questions d'ordre secondaire et purement spéculatif sur lesquelles ils pouvaient librement avoir des sentiments opposés, ils ont négligé de s'unir pour résister plus efficacement aux attaques de l'ennemi et mieux sauvegarder les graves intérêts de la religion et de la société si fortement menacée. Aurions-nous été-les témoins attristés de tant de ruines si tous avaient fidèlement écouté la voix de leurs chefs, les Pontifes Romains et s'étaient rendus à leurs pressantes exhortations ? « Il y en a, écrivait Léon XIII dans l'Encyclique Sapientiae christianae qui ne voudraient pas qu'on s'opposât ouvertement au triomphe de l'injustice toute-puissante, dans la crainte d'exaspérer la colère des adversaires. Ces gens-là sont-ils pour l'Église ou contre elle ? On ne saurait le dire. « Rien, ajoutait-il, n'est plus impropre à faire reculer le mal. Nous avons, en effet, des ennemis dont le dessein — et ils ne s'en cachent pas, mais s'en vantent tout haut — est d'anéantir, s'ils le peuvent, la vraie religion, la religion catholique et, pour y arriver, il n'est rien qu'ils n'osent : ils savent bien, en effet, qu'en intimidant le courage des bons, ils se facilitent leur besogne. Aussi est-ce faire leur jeu, bien loin de les arrêter, que de s'engouer de cette prudence de la chair qui veut ignorer la loi imposée au chrétien d'être un militant... Honneur donc à ceux qui, provoqués au combat, descendent dans l'arène, avec la ferme persuasion que la force de l'injustice aura un terme, et qu'elle sera un jour vaincue par la sainteté du droit et de la religion ! Ils déploient un courage digne de l'antique vertu. » Léon XIII avait déjà donné les mêmes enseignements dans l'Encyclique Immortale Dei et on les retrouve dans plusieurs autres de ses écrits, encycliques ou lettres adressées aux évêques de diverses nations.

 

Pie X n'a pas tenu un autre langage et il a fortement recommandé l'union. « Ne vous y méprenez pas, a-t-il écrit notamment dans l'encyclique Vehementer ; travail et efforts seraient inutiles si vous tentiez de repousser les assauts qu'on vous livrera sans être fortement unis. Abdiquez donc tous les germes de désunion, s'il en existait parmi vous. Et faites le nécessaire pour que, dans la pensée comme dans l'action, votre union soit aussi ferme qu'elle doit l'être parmi des hommes qui combattent pour la même cause, surtout quand cette cause est de celles au triomphe de qui chacun doit volontiers sacrifier quelque chose de ses propres opinions.

 

Quant au pape glorieusement régnant, il n'est assurément personne qui, à l'heure présente, puisse ignorer avec quelle insistance et quelle vigueur, il ne cesse dans tous ses écrits et ses discours de recommander l'action catholique et l'union. Il y tient, c'est lui-même qui l'a dit et répété, comme à la prunelle de ses yeux.

 

Au cours des cinquante années de notre sacerdoce, ce n'est pas seulement la guerre faite à la religion qui nous a profondément attristé. Nous avons vu se déchaîner une autre guerre, mondiale, celle-là, la plus barbare et la plus sanglante des guerres, qui, dans notre seul pays, a fait quinze cent mille victimes et qui a semé partout la désolation et le deuil. Il n'entre pas dans notre dessein de faire revivre de si douloureux souvenirs. La France a été sauvée grâce à la prière, à l'héroïsme de nos morts et à l'union sacrée. Demandons du fond du cœur à Dieu d'éloigner du monde le terrible fléau de la guerre et de faire régner au sein de la patrie et au sein des autres nations l'ordre, la justice et la paix. C'est le vœu ardent de Notre Saint Père le Pape ; c'est notre vœu à tous. Le retour des peuples à Dieu et à l'Église, l'action et l'union des catholiques peuvent contribuer puissamment à sa réalisation.

 

L'union, nos très chers frères, il semble que les catholiques français en ont enfin compris, dans l'ensemble, les avantages et la nécessité, et que, sous ce rapport, ils sont mieux disposés qu'autrefois à remplir leur devoir. Puissent-ils dans l'exercice de leurs droits civiques, ne jamais s'écarter de la règle que Léon XIII traçait aux catholiques du Brésil : « Que tous les catholiques se souviennent de ceci : c'est que l'Église est grandement intéressée dans le choix des législateurs. Aussi, tous doivent-ils faire converger leurs efforts et faire triompher par les voies légales des hommes en qui s'unissent à l'amour du bien public un zèle éprouvé pour la religion. » Les électeurs auront bientôt, en France, à choisir leurs représentants. Nous leur rappelons instamment qu'il est obligatoire pour eux, dans la mesure où ils le peuvent, d'envoyer au Parlement des hommes qui non seulement ne porteront aucun préjudice à la religion, mais qui s'emploieront à reconquérir avec prudence sans doute, mais aussi avec fermeté les droits et les libertés qu'on nous a injustement ravis. En vous parlant de la sorte, nous sommes absolument certain de ne pas nous égarer sur un terrain étranger à notre mission. Nous avons toujours soigneusement évité et nous éviterons toujours scrupuleusement de descendre dans l'arène des batailles politiques, sachant bien que notre caractère et les intérêts de la religion n'auraient rien à y gagner et tout à y perdre. Mais il ne nous est nullement interdit et c'est même pour nous un devoir de vous retracer sur ce grave sujet les principales règles de la morale chrétienne. Comme vous avez pu en juger par les quelques citations qui précèdent, les papes l'ont fait et ils ont invité les évêques à le faire à leur tour. Notre éminent prédécesseur, de docte mémoire, a publié un catéchisme électoral qu'il serait grandement utile aux électeurs catholiques d'avoir sous les yeux et que nous tenons au moins à résumer brièvement.

 

Après avoir établi la distinction entre le bon et la mauvais candidat, à savoir celui qui remplira l'office de député conformément aux lois de la religion et aux exigences du bien public, ou celui, au contraire, que l'on sait incapable de remplir convenablement son mandat et que l'on croit disposé à voter des lois anti-catholiques ou anti-sociales, le Cardinal Sevin déclare que tout électeur est tenu de voter et de bien voter, et cela en vertu d'une obligation fondée sur la justice légale, sur la religion et sur la charité. L'abstention non justifiée constitue une faute grave quand des intérêts essentiels sont en jeu pour l'Église ou pour l'État. L'électeur qui vote sciemment et efficacement pour un mauvais député en vue de lui permettre de réaliser ses théories est régulièrement tenu de réparer le mal causé par ce dernier. Quand il ne se présente aucun bon candidat, on pourra, et même on devra parfois voter pour un candidat moins mauvais afin d'en écarter un pire. Comme l'enseignent les moralistes, celui-là agit absolument bien qui, avec une intention droite, une raison suffisante et tout scandale écarté, produit un acte licite de sa nature, ayant deux effets immédiats, l'un bon qu'il poursuit, l'autre mauvais qu'il permet seulement et tolère pour éviter le pire. Dans un dernier chapitre sur l'action catholique, le Cardinal Sevin montre comment les catholiques doivent s'unir et comment, sans rien renier de leur programme, mais aussi sans émettre la prétention de le faire adopter d'un seul coup, ils peuvent, sous certaines conditions, s'allier avec des modérés et des libéraux qui s'engagent à ne pas aggraver le mal et à le réparer au moins partiellement dans la mesure du possible.

 

Les dirigeants de l'Action catholique sont fermement résolus à ne pas, comme tels, prendre directement part à la mêlée électorale. Ils s'entendront seulement avec les divers Comités directeurs des organisations politiques et leur feront connaître à quelles conditions les candidats qu'ils présentent obtiendront les voix de leurs adhérents. Nous pouvons et nous devons leur faire confiance.

 

Il n'est pas douteux que, depuis la guerre et surtout en ces derniers temps, la situation s'est de ce point de vue, nettement éclaircie pour nous. Sans doute, les erreurs du passé n'ont pas été corrigées et peut-être bien que toutes ne pouvaient l'être. Nous sommes cependant heureux de reconnaitre que les pouvoirs publics ne nous témoignent plus la même hostilité, la même malveillance. Le sort de la patrie est en jeu. Les politiques clairvoyants ne peuvent pas ne pas voir que, sans nous, il leur est impossible de barrer la route aux partis de désordre. Ils n'ont qu'à ouvrir les yeux et regarder ce qui se passe dans d'autres nations. Quand on fait la guerre à Dieu, à la religion et à l'Église, on tombe tôt ou tard dans l'abîme de l'anarchie. Nous voulons autant et, en vertu même de nos principes et de notre doctrine, plus que n'importe qui travailler au salut de la société et à la prospérité de notre pays. Nous saurons ne pas être trop exigeants dans nos légitimes revendications, montrer de la patience et attendre le temps nécessaire pour qu'il nous soit donné pleine satisfaction. Au moins faut-il que l'on nous accorde l'essentiel et que l'on pratique à notre égard les règles de la plus élémentaire justice.

 

La situation économique est assez grave partout et bien qu'en France nous ayons été peut-être moins durement frappés, nous sommes loin, cependant, d'être à l'abri du mal et celui-ci ne fera qu'empirer de jour en jour si nous ne veillons, et n'y portons remède. Nous avons entendu l'appel émouvant du Saint-Père et, sans retard, nous nous sommes efforcés d'y répondre. Par les soins de la direction des Œuvres et de MM. les Curés, avec le concours de nos deux ligues, des Conférences de Saint-Vincent-de-Paul et des autres associations de charité si nombreuses dans le diocèse, des Comités de secours se sont organisés pour venir en aide aux victimes du chômage. Veut-on savoir avec quelle parfaite régularité et quelle merveilleuse efficacité fonctionnent les divers centres de distribution des soupes populaires ? que l'on se donne la peine d'aller à la porte de quelques-unes de nos Communautés religieuses. Comme il est éloquent le démenti infligé par elles aux calomniateurs ! Ce n'est pas le prétendu milliard des Congrégations qui est venu remplir la caisse des retraites ouvrières. La spoliation a bien pu réduire un certain nombre de religieux à la mendicité et enrichir quelques liquidateurs, politiciens ou spéculateurs malhonnêtes ; mais ce sont les pauvres qui ont le plus souffert. On ne peut pas ne pas s'en rendre compte en constatant l'usage que nos Communautés savent faire du peu de biens qu'on leur a laissés.

 

Il nous est agréable, nos très chers frères, .de pouvoir vous redire ce que saint Paul écrivait autrefois aux fidèles de Thessalonique. « Pour ce qui est de la charité et du soulagement fraternel, il n'est pas nécessaire que je vous en écrive, car vous-mêmes avez appris de Dieu cette vertu, et vraiment, vous l'exercez à l'égard de tous vos frères placés dans le besoin. » (Thess., IV, 9.) L'apôtre ajoutait : « Tout ce que j’ai donc à faire, c'est de vous exhorter à avancer de plus en plus dans cette voie. » (Ibid., 10.) Cette parole, nous la répétons après lui. Oui, vous avancerez dans cette voie à mesure que le mal grandit et que les nécessités de la vie deviennent plus pressantes. Pour exciter votre ardeur, vous vous rappellerez l'exemple du divin Maitre et ses enseignements. Jésus a passé sur cette terre en faisant le bien. Né dans une pauvre étable et n'ayant rien à lui, pas même une pierre pour y reposer sa tête, il n'en a pas moins voulu soulager toutes les infirmités et secourir toutes les misères. Il n'a cessé de prêcher aux hommes en actes et en paroles la grande loi de la charité. Il faut aimer Dieu par-dessus tout et le prochain comme soi-même ; le second commandement est semblable au premier. Avec quelle vigueur il a condamné le mauvais riche et de quelle indulgence, au contraire, il a usé envers ceux qui sont compatissants ! Qui ne connaît l'étonnante parole de Notre-Seigneur Jésus-Christ aux pécheurs de son temps : « Donnez l'aumône en proportion de ce que vous possédez et voici que toutes choses vous sont pures. » (Luc, XI, 41.) Sans doute, le divin Sauveur n'a pas voulu dire par là que l'aumône confère la justification même à celui qui s'obstine dans le péché ; mais il a voulu faire entendre qu'inspirée par un mouvement pieux, elle attire une abondance de bénédictions qui préparent et opèrent la conversion. N'est-ce point d'ailleurs ce qui s'est vérifié pour Zachée ? La foi et la charité ne sont-elles pas entrées dans son cœur en même temps qu'il a dit : « Voici que je donne aux pauvres la moitié de mes biens, et si j'ai fait tort à quelqu'un, je lui rends le quadruple. » (Luc, XIX8.) Ces paroles du publicain expliquent fort bien la consolante et solennelle déclaration du Sauveur : « Aujourd'hui, le salut a été fait dans cette maison et cet homme est devenu, lui aussi, un fils d'Abraham. » L'apôtre saint Jacques nous enseigne que notre foi est morte si elle n'est vivifiée par les œuvres de miséricorde surtout. « Mes frères, que sert-il à quelqu'un de dire qu'il a la foi, s'il n'a pas les œuvres ? Est-ce que la foi peut le sauver ? Si un frère ou une sœur sont dans la nudité, et qu'ils manquent de la nourriture de chaque jour et que l'un de vous leur dise : Allez en paix, chauffez-vous et rassasiez-vous, et que vous ne leur donniez pas ce qui est nécessaire au corps, à quoi cela servira-t-il ? » (Jac. II, 14-17.)

 

***

 

Nous pourrions, nos très chers frères, multiplier les textes et les exemples de la sainte Écriture. Mais il faut savoir nous borner et entrer plutôt, en terminant cette lettre, dans quelques considérations d'ordre pratique. Il est vrai que les pouvoirs publics se sont émus de la situation, ont soumis aux Chambres et fait adopter par elles un projet d'outillage, d'équipement national. Nous avons applaudi à cette sage mesure, bien que, sous l'un ou l'autre rapport, il pût y avoir des réserves à faire. Mais si, comme le remarque justement Bossuet, l'une des fins de tous les gouvernements de la terre est de rendre la vie commode et les peuples heureux, il ne faut cependant pas reconnaître à l'État le droit absolu de substituer l'aumône publique à l'aumône privée et de faire perdre à l'aumône son véritable caractère en la transformant en impôt forcé. Vouloir sur ce point dépasser le mesure, ce serait tomber dans l'erreur socialiste et provoquer l'appauvrissement général de la nation. La distinction fondamentale entre la charité et la justice, c'est que la dette de justice peut être exigée ou par le recours aux lois, ou par le recours à la force, selon les circonstances, tandis que celle de la charité ne peut être commandée par aucun tribunal que par celui de Dieu et de la conscience. La pratique de l'aumône garde ainsi pour nous chrétiens sa force obligatoire et en même temps, son mérite et toute sa valeur.

 

Mais ne l'oublions pas, nos très chers frères, la charité ne donnera des résultats satisfaisants et ne sera vraiment efficace que si elle est parfaitement organisée. C'est ce que nous avons essayé de faire dès le début de la crise et ce à quoi nous appliquons toujours mieux nos efforts. A Lyon et à Saint-Étienne, l'organisme central a été placé à la maison de la direction des Œuvres. Messieurs les Curés, merveilleusement secondés par les Communautés religieuses et les membres des associations de charité, recherchent les familles plus durement atteintes, leur remettent des cartes portant un signe distinctif pour chaque centre de distribution et arrivent ainsi à les faire secourir à bon escient. Les étrangers, certes, ne sont pas exclus — ils sont, eux aussi, nos frères dans le Christ — et on les voit accourir nombreux là où l'on sert des soupes populaires. Ils ne sauraient cependant trouver mauvais que l'on suive un ordre dans l'exercice de la charité et qu'une certaine préférence soit donnée à ceux qui nous touchent de plus près. Nous savons aussi, — et loin de les en blâmer, nous leur en exprimons notre vive reconnaissance — que nos prêtres, nos hommes et nos femmes d’œuvres cherchent à découvrir ceux qui, jouissant jusqu'ici d'une certaine aisance, n'osent par amour-propre, timidité ou discrétion se présenter eux-mêmes et qui sont de tous les malheureux, les plus à plaindre. Oh ! que dans ce cas surtout, on agisse de telle sorte que la main gauche ignore ce qui vient de la main droite. Ce que l'on donne sera souvent moins apprécié que la délicatesse avec laquelle on le donne.

 

Il faut, nos très chers frères, éviter, le plus possible, de dissocier la famille et distribuer, dans toute la mesure où on le peut, des secours à domicile sous forme de bons de pain, viande, légumes, charbon et denrées de toutes sortes. Mais, parmi les modes d'assistance, celui qui l'emporte sans contredit sur tous les autres parce qu'il est plus moralisateur et qu'il répond mieux à la dignité et aux vrais intérêts de l'ouvrier, c'est l'assistance par le travail. En temps de crise, on est naturellement porté à voir l'avenir sous des couleurs très sombres et très facilement on peut se laisser aller au découragement et à l'apathie. La vertu de prudence conseille sans doute de ne pas s'exposer à courir des risques qui pourraient être funestes ; mais l'on doit aussi éviter avec le plus grand soin de tomber dans le défaut contraire et bien se garder, sous prétexte d'attendre des jours meilleurs, d'interrompre des travaux déjà commencés ou d'en différer d'autres qu'il serait plus utile que jamais aujourd'hui d'entreprendre et de mener à bonne fin. Aussi, nous permettons-nous de recommander très instamment à la générosité de nos diocésains l'église du Sacré-Cœur et toutes celles qui ne sont pas achevées. Il existe à Lyon une association qui nous est particulièrement chère : « Le Christ dans la banlieue ». Peut-on concevoir rien de plus noble et de plus franchement chrétien que de chercher à établir dans les faubourgs de nos grandes villes des cités paroissiales et à donner ainsi, en même temps, à nos ouvriers des lieux de prières et du travail ?

 

Il est un rêve que nous avons formé dans notre cœur et que nous caressons depuis plusieurs années déjà. Nous craignons bien hélas ! de ne pas le voir se réaliser dans toute son ampleur. Comme nous serions heureux, cependant si nous pouvions assister à un commencement d'exécution en gardant l'espérance que le projet s'achèverait un jour. Depuis que la Divine Providence, sans aucun mérite de notre part, nous a fait le très grand honneur de nous appeler à l'épiscopat, nous nous sommes particulièrement intéressé au sort des travailleurs et nous n'avons pu nous empêcher de gémir en constatant qu'un si grand nombre d'entre eux, naturellement bons, s'écartent du droit chemin et se laissent facilement égarer par les hommes dangereux et pervers qui sèment l'ivraie et répandent les fausses doctrines au milieu d'eux. Ceux-là seuls résistent habituellement qui ont reçu une solide formation religieuse et morale en même temps que professionnelle dans nos écoles d'apprentissage, et c'est pourquoi, ces écoles nous ne cessons de les recommander. Il en est une que nous avons fondée à Lyon et qui nous tient particulièrement au cœur. Nous en avons confié la direction à l'un de nos prêtres qui s'est consacré à cette œuvre importante avec une compétence et un dévouement justement appréciés. Oh ! puisse-t-il donner à son école le développement qui conviendrait et qu'il désire et pour cela trouver dans le monde de l'industrie et du commerce les concours nécessaires ! Il importe, au plus haut chef, dans le double intérêt de la religion et de la société, de former des ouvriers sages et habiles, mais aussi de futurs contremaîtres et ingénieurs chrétiens.

 

Il nous arrive quelquefois — et nous le faisons plus particulièrement en ces heures de crise — de nous reporter par la pensée quelques années en arrière alors que, pendant les tristes jours de la guerre, en collaboration avec quelques âmes d'élite, nous pouvions procurer du travail à des milliers d'ouvrières qui avaient vu avec angoisse se fermer leurs usines et qui étaient heureuses d'assurer leur existence en confectionnant du linge et des vêtements chauds pour nos héroïques soldats qui combattaient au front ou ceux qui, ayant reçu des blessures ou contracté des maladies, étaient soignés dans les hôpitaux. Ne faut-il pas, de temps à autre, dans les familles, faire ou renouveler des trousseaux et ne prenait-on, au moyen d'une entente, trouver là l'occasion de permettre à quelques ouvrières sans travail de gagner leur vie ? Nous confions à nos chères ligueuses et à nos associations de charité cette pensée, assuré d'avance qu'elle recevra, clans toute la mesure du possible, un accueil favorable.

 

On dira peut-être que les réflexions qui précèdent visent uniquement ceux de nos diocésains qui habitent les villes et que les gens de la campagne ne sauraient y trouver aucun intérêt ni aucune leçon. C'est, il est vrai, dans les grands centres que la crise économique se fait plus cruellement sentir ; mais nos campagnes elles-mêmes ne sont pas tout à fait indemnes. Le travail y est dur et les agriculteurs ont quelque peine à pouvoir écouler leurs produits à un prix suffisamment rémunérateur. Par suite, il peut y avoir aussi chez eux de la gêne et de la souffrance. Que nos chers ruraux se soutiennent entre eux, c'est leur premier devoir : mais, d'autre part, comme ils sont moins aux prises avec la faim, nous leur demandons instamment de venir, principalement par des dons en nature, au secours de nos malheureux chômeurs des grands centres industriels. En ce qui concerne la ville de Lyon, des équipes d'hommes et de jeunes filles dévoués visitent chaque jour nos marchés et reçoivent avec reconnaissance les fruits et les légumes qu'on veut bien leur donner. Ces produits sont centralisés dans les entrepôts de la Coopérative Rhône et Loire, rue Saint-Georges, 120, en même temps que ceux qui, grâce à la merveilleuse organisation et au dévouement des Femmes françaises nous viennent directement de la banlieue lyonnaise. Messieurs les Curés des paroisses rurales de notre diocèse voudront bien s'entendre à ce sujet avec les directeurs des Œuvres, 5, rue Mulet, à Lyon et 4, rue Mi-Carême, à Saint-Étienne. On pourra ainsi obtenir encore un meilleur rendement.

 

Nous nous sentons, nos très chers frères, impuissant à exprimer comme il conviendrait notre profonde gratitude à tous ceux qui, répondant à l'appel du Saint-Père, prêtent avec tant d'ardeur et d'efficacité leur concours à la croisade de charité. Qu'ils le sachent bien c'est Notre-Seigneur lui-même qui les remercie et se charge de les récompenser. Ne lisons-nous pas dans le saint Evangile qu'il regarde comme fait à lui-même ce qui est fait au moindre des siens et qu'un verre d'eau donné en son nom ne restera pas sans récompense ? Les yeux fixés sur tous ceux qui souffrent et, ouvrant largement vos bourses et vos cœurs, vous continuerez à donner et à vous donner vous-mêmes sans rien retrancher cependant aux œuvres que vous avez soutenues jusqu'ici, fallût-il pour cela vous imposer de nouveaux sacrifices et même des privations. Donnez donc le pain matériel aux enfants qui le réclament ; mais qu'ils ne soient pas pour cela privés du pain de l'intelligence, du pain de la vérité. Oh ! puissent nos chères écoles ne pas avoir à souffrir du fait de la crise ! Vous connaissez leur absolue nécessité, vous connaissez aussi leurs besoins. Messieurs les Curés ont, à cette heure, à leur sujet, de justes et graves préoccupations. Venez-leur en aide et déchargez-les du poids qui les opprime. Il ne faut pas non plus que la moindre atteinte soit portée à l'Œuvre du denier du Clergé. La vie de nos prêtres est toute faite d'abnégation et de sacrifices ; il y aurait péril et mauvaise grâce à diminuer, si peu que ce soit, leurs maigres ressources. Quant à nos séminaires, ils sont, depuis plusieurs années déjà, en déficit du fait du coût de la vie et ce n'est pas sans crainte que, de ce côté, nous regardons l'avenir. Oh ! de grâce, que les familles de nos séminaristes sachent faire un nouvel effort et que nos chers diocésains viennent en aide aux familles. L'œuvre des vocations, si fortement organisée et si bien dirigée, nous aide puissamment ; mais elle ne peut tout faire. La pratique de la pénitence chrétienne est toujours obligatoire pour tous, riches et pauvres, mais plus encore pendant le saint temps de Carême et aux heures de crise. Ne serait-ce pas causer un vrai scandale que de faire étalage de ses richesses et de se laisser aller au luxe et aux plaisirs alors que tant de malheureux sont dans la misère ? D'autre part, ne serait-on pas tenté d'étouffer dans son cœur le sentiment de la compassion si l'on voyait accourir aux spectacles, aux fêtes mondaines et aux salles de cinéma des familles ouvrières condamnées à un chômage même seulement partiel et obligées de lutter contre la faim et le froid ? Si l'esprit chrétien revenait sur la terre, on ne verrait sans doute pas nécessairement renaître aussitôt l'abondance, mais les déshérités de la vie se soumettraient avec plus de résignation à leur sort et les favorisés de la fortune, au lieu de tout garder pour eux et d'amasser richesses sur richesses, n'hésiteraient pas à faire bénéficier d'une partie de leurs biens ceux de leurs frères qui souffrent.

 

Nous avons confiance, nos très chers frères. N'ignorant pas toutefois que cette croisade de charité serait inefficace si nous n'y joignions la prière, nous nous unirons tous au Pontife suprême, le Père de nos âmes qui, dans un état de choses si grave et en apparence désespéré, a levé les yeux vers la montagne sainte d'où il attend le secours. Fidèles à son invitation, nous ne cesserons, surtout pendant ce saint temps de Carême, de conjurer avec lui le Dieu riche en miséricorde afin qu'il extermine les guerres jusqu'aux extrémités de la terre, qu'il éloigne tout sujet de dissension entre les peuples, qu'il fasse régner en leur sein la justice, la concorde et la paix, qu'il mette un terme aux calamités dont, à cette heure, nous sommes tous plus ou moins affligés et que toutes les nations viennent ou reviennent, si elles s'en sont malheureusement écartées, à la connaissance de la vérité dont le Christ a confié le dépôt de son Eglise.

 

 

 

 

 

SOURCE : Semaine religieuse du diocèse de Lyon, lettre pastorale et mandement de Carême, 15 et 22 janvier 1932