l’affaire du Prado
1958
Depuis
quatre ans, la violence des uns et des autres en Algérie (bombardements,
exécutions, tortures…) amène chacun à se forger une opinion sur les
« événements ». Militaires et politiques ne sont pas toujours en
accord sur la marche à suivre. Le 13 mai 1958 des civils et des militaires
prennent le pouvoir à Alger. Il est fait appel alors au général De GAULLE
auquel l’Assemblée Nationale vote les pleins pouvoirs. Une nouvelle
constitution est approuvée par référendum en septembre.
Cette
même année un groupe d’Algériens cherche à mieux organiser l’aide aux détenus
algériens (environ 900 à la prison Saint-Paul de Lyon) et à leurs familles.
Pour trouver un local il s’adresse à Albert CARTERON, prêtre diocésain, nommé
par le cardinal GERLIER auprès des travailleurs nord-africains. Celui-ci se
tourne vers le Noviciat du Prado à
Saint-Fons, les Père CHAIZE et MAGNIN. Il est décidé de mettre à disposition de
ce service social la chambre 22, où sont stockés papiers, mandats et argent.
A
l’approche d’une visite officielle du général De GAULLE à Lyon, la Préfecture
cherche à prévenir d’éventuels attentats. La police lyonnaise procède à des
arrestations, dont celles des responsables du service social logé au Noviciat
du Prado.
A.CARTERON
choisit de quitter Lyon pour ne pas être lui aussi arrêté et
« questionné » jusqu’à livrer des noms. Ses amis algériens le surnomment El-bi’r, c’est à dire "le
puits", qui garde enfouis les secrets.
En
fin d’après-midi de ce 16 octobre, le Cardinal GERLIER prend le train de nuit
pour Rome en vue du Conclave qui élira le pape Jean XXIII.
Au
même moment, les policiers de la Police Judiciaire de Lyon investissent le
Noviciat de Saint Fons, accompagnés de l’un des responsables du service social,
menotté, qui les conduit directement à la chambre 22. Les dossiers ont
disparus. Les policiers convoquent pour le lendemain dix heures au siège de la
P.J., rue Vauban, les deux prêtres responsables du noviciat, « avec les documents ». Ceux-ci
détruisent les dossiers qu’ils avaient cachés et se présentent, en soutane à
l’époque, à la convocation, et subissent un interrogatoire de cinq heures
séparément.
Mgr
ANCEL, supérieur général du Prado et administrateur provisoire du diocèse
depuis le départ la veille du cardinal GERLIER pour le conclave, inquiet de
l’absence de ses deux prêtres, se rend chez le Procureur et le Préfet pour leur
expliquer le ministère de ces prêtres.
Pendant
la confrontation générale entre les douze algériens et les deux prêtres, le
Chef de la Sûreté reçoit un appel téléphonique du Préfet lui donnant l’ordre de
libérer les deux prêtres.
Mgr
ANCEL explique à la presse venue l’interroger que les documents ont été
détruits dans un « geste
d’affolement » et que l’argent du service social sera remis aux
autorités judiciaires.
Toutefois
le Commissaire cherche à en savoir davantage sur ces documents. Il retrouve
l’un des prêtres relâché, Louis MAGNIN, et l’emmène pour l’interroger. Mgr
ANCEL, revêtu de sa soutane violette, se présente alors dans la nuit à la
Police Judiciaire pour être entendu en tant que supérieur du religieux et
administrateur provisoire du diocèse :
Ce que ces prêtres ont fait n’a rien à voir avec une
action terroriste. C’est une action charitable qui ne déborde pas la mission
que je leur ai donnée. Je couvre tout ce qu’ils ont fait. Si vous devez
poursuivre quelqu’un, c’est moi que vous devez poursuivre.
Il
signe sa déposition et est invité à quitter les lieux, tandis que le prêtre est
maintenu en garde vue.
Le
lendemain matin, le prêtre est emmené, en soutane, menotté, au Palais de
Justice, où il rejoint les douze algériens pour être présenté au Juge
d’instruction. A l’audience, il est assisté de deux avocats qui se sont
spontanément présentés pour assurer sa défense. Le Juge l’inculpe
d’ « atteinte à l’intégrité du
territoire national » et le met en liberté provisoire. On le fait
sortir par une porte dérobée pour éviter la presse qui parle de « l’affaire du Prado ».
Le
Parquet fait appel de la décision du juge puis renonce à son appel.
Le
lendemain de cette arrestation est un dimanche. Des groupes des « Combattants de l’Union française »
dénoncent dans des tracts distribués aux sorties des messes « la mobilisation de la charité au service de
l’assassinat ».
Mgr
ANCEL envoie alors à Rome le Supérieur du Grand Séminaire, le secrétaire du
Cardinal GERLIER et les deux avocats des prêtres, pour informer le Cardinal
GERLIER avant son entrée en conclave, où il sera alors privé de toute
communication avec l’extérieur. En même temps ils doivent joindre le cardinal LIENART,
prélat de la Mission de France dont l’un des prêtres a lui aussi été inculpé.
Beaucoup
d’officiels craignent que le cardinal GERLIER ne remette à la Commission de Sauvegarde un dossier,
constitué par A.CARTERON, sur les tortures pratiquées aux chambres 305 et 308
de la Police judiciaire, rue Vauban, et que des magistrats, des policiers et
des voisins de la PJ ne viennent témoigner devant cette commission et rendent
ainsi publics certains faits. Cette commission indépendante de la Justice et de
l’Armée a été récemment instituée pour faire la lumière sur les pratiques des
forces de l’ordre, civiles ou militaires.
De
Rome les deux cardinaux font une déclaration couvrant les activités de leurs
prêtres et dénonçant les sévices infligés à des détenus algériens. A.CARTERON
écrit au cardinal GERLIER qui publie sa lettre. Le cardinal GERLIER rédige un
second communiqué de Rome. Il fait savoir qu’il reprendrait sa robe d’avocat
pour défendre ses prêtres si besoin était ; il fut membre du Barreau de
Paris et président de l’Action Catholique de la Jeunesse Française.
(voir
les textes de ces
communiqués et de la lettre de A.CARTERON)
L’instruction
de cette affaire se poursuit, A.CARTERON se présente au juge d’instruction à la
fin de l’enquête policière ; il est défendu par Me Claude BERNARDIN, mais
le procès n’aura jamais lieu.
En
parallèle, suite à une « plainte contre X », se déroule une autre
instruction qui concerne des policiers dénoncés pour coups et sévices, mais le
procès n’aura jamais lieu.
Le
28 novembre de cette année 1958, Albert CARTERON écrit une lettre aux prêtres
du diocèse qu’il porte au cardinal GERLIER où il explique son rôle de prêtre
auprès des immigrés nord-africains.
(voir
texte de cette lettre)
DOCUMENTS
- FAIVRE Maurice,
2004, Conflits
d’autorités durant la guerre d’Algérie. Nouveaux inédits
- El
bi'r, le puits, documentaire de Béatrice Dubell, Grand Ensemble
- Entretien de Louis
MAGNIN sur Radio Canut
g.decourt