Congrès de la
Démocratie chrétienne à Lyon
1896-1897-1898
A la
fin du XIXème siècle il y eut plusieurs types de rassemblements catholiques en
France : depuis 1870 des Comités
catholiques, de 1893 à 1896 des Congrès
nationaux des ouvriers chrétiens, du 23 au 25 mai 1896 le premier Congrès Démocratique Chrétien à Reims à
l’occasion du quatorzième centenaire du baptême de Clovis... Trois congrès se
tiennent à Lyon entre 1896 et 1898 de la Démocratie
chrétienne.
Le
Congrès de 1896
Le Congrès de 1896 est organisé par trois organes :
-
La
Chronique du Sud-Est
Un
groupe de lyonnais (Victor BERNE, Marius GONIN, Jean TERREL, Augustin CRETINON,
etc., avec l’abbé Elie BLANC professeur de philosophie aux Facultés catholiques
de Lyon) fonde en 1891 La Croix du Rhône,
avant de s’en séparer en 1895, tout en continuant d’animer la feuille adressée
depuis 1892 aux comités de diffusion de La
Croix, intitulée La Chronique des
Comités du Sud-Est, ancêtre de La
Chronique sociale.
-
L’Union nationale
L’Union nationale est fondée par l’abbé
Théodore GARNIER lors de son passage à Lyon les 15 et 16 mars 1893 :
« l’Union nationale a été fondée
contre la franc-maçonnerie, les libres-penseurs, les socialistes, radicaux et
anticléricaux de toutes espèces » (GARNIER cité par PONSON,
p.63) ; elle lutte, entre autres, pour les écoles libres et contre la loi
de 1895 de taxation (« abonnement »)
des congrégations. Le groupe de l’Union
nationale de Lyon est animé par Jean TERREL, Victor BERNE en fut l’un des
dirigeants de 1893 à 1899.
-
La
France libre, journal
populaire, républicain et catholique
François
Ignace MOUTHON, ancien étudiant en droit des Facultés catholiques de Lyon,
fonde ce journal dans une ligne antisémite, avec pour slogan « La France aux Français », et
démocrate chrétienne, avec pour autre slogan « Christ et Liberté » ; il s’oppose à un autre journal
lyonnais de la Droite catholique, Le
Nouvelliste de Lyon, fondé en 1879 par Joseph RAMBAUD, professeur de droit
aux mêmes Facultés catholiques ; il arrête la parution de son journal en
1899, après des mises en garde du cardinal COULLIE.
Ce congrès
rassemble des catholiques ralliés à la République, dans la ligne définie par le
Pape Léon XIII.
Ce congrès ne
reçoit pas l’approbation du secrétariat du Conseil national de la Démocratie
Chrétienne institué en mai 1896 à Reims.
Il y a en fait
quatre congrès consécutifs :
-
les 22 et 23 novembre un congrès de
l’Union Nationale (ou les 29 et 30
selon les sources),
-
le 25 un congrès antimaçonnique,
-
le 26 un congrès antisémite,
-
les 27 et 28 un congrès social.
L’archevêque de
Lyon, Mgr COULLIE, déclare son hostilité au congrès antisémite et met en garde
son clergé contre ces rassemblements jugés trop politiques pour les prêtres.
Le Pape envoie sa
bénédiction aux congressistes, sans nommer le congrès antisémite dans sa
lettre.
LAURENT de La Croix du Forez et de l’Union nationale de Saint-Etienne
participe au congrès antisémite de 1896.
Chez
les démocrates chrétiens l’antisémitisme « est social plus que religieux » (MAYEUR p.204), les juifs
étant assimilés aux capitalistes.
Pour
Le Nouvelliste, qui écrit :
« l’antisémitisme ne doit pas
devenir l’allié des convoitises socialistes » (26 novembre 1896),
« l’antisémitisme est un
antisémitisme de défense religieuse (juifs et francs-maçons sont responsables
des « lois sectaires ») non une protestation sociale qui menacerait
la propriété privée » (MAYEUR p.204).
« L’antisémitisme est la clef de voûte de
toute une construction idéologique, puisqu’il justifie l’anticapitalisme et
l’antisocialisme, les deux constantes de la Démocratie chrétienne » (MAYEUR,
p.205).
Des
catholiques lyonnais s’opposent à cet amalgame, comme E.AYNARD, dans L’Express de Lyon ; celui-ci sera membre fondateur du
Comité Catholique pour la Défense du
Droit en faveur de Dreyfus et un soutien de la
première heure de la revue Demain.
Il y a de vifs
débats et accrochages entre participants sur les rapports entre catholicisme et
politique (à propos du Concordat, du rôle des laïcs et de l’épiscopat, etc.),
mais plus d’unanimisme sur les questions économiques.
Parmi les
interventions, on note :
-
l’abbé BLANC, professeur de
philosophie aux Facultés Catholiques de Lyon, envoie un rapport sur le
thème : « La notion
chrétienne de la Société et sa restauration pratique dans la famille, le
travail, la propriété et la loi », où il écrit qu’il faut :
tendre à substituer graduellement le
régime d’association et de coopération (régime éminemment juste, fraternel et
chrétien) au régime du
salariat (juste, lui aussi, et souvent indispensable, mais imparfait).
(cité
par MONTUCLARD, p.71)
-
l’abbé
TARTELIN lit la contribution d’une théologien anonyme (le franciscain
FERDINAND), qui condamne les deux hérésies du moment, le socialisme et le
capitalisme, et précise :
Nous appelons
capitalisme le régime économique fondé sur la productivité de l’argent, en tant
qu’argent… Ce régime est condamné par la tradition catholique résumée dans ce
vieil adage : Pecunia pecuniam parere non potest.
(cité
par MONTUCLARD, p.69)
-
l’abbé PASTORET, La Croix du Var, déclare :
L’abus du capital, c’est-à-dire, le
capitalisme, est condamnable, car le capital doit être au service du travail et
non le travail au service du capital.
(cité
par MONTUCLARD, 70)
A Louis DURAND,
promoteur des Caisses Rurales, qui
avance que « c’est au nom de la
charité que nous allons au peuple »,
Léon HARMEL, industriel du Nord et membre du Tiers-Ordre franciscain,
réplique qu’« il faut que ce soit au
nom de la justice » (cités par MONTUCLARD, p.79).
Après débats, est
adopté en finale un vœu condamnant le capitalisme comme « forme moderne de l’usura vorax »,
s’en référant par cette citation latine à Rerum
Novarum de Léon XIII.
Les meetings
publics rassemblent entre 2 000 et
3 000 personnes.
Le
Congrès de 1897
Les
organisateurs, et notamment F.I.MOUTHON (La
France Libre), cherchent « à
éviter toutes les questions et à éloigner toutes les personnalités qui avaient
pu éveiller les inquiétudes » de Mgr COULLIE. Plusieurs des évêques
ralliés à la République envoient alors leurs représentants. C’est Victor BERNE
qui assure le secrétariat de ce congrès.
Se tenant
quelques jours après le Congrès national catholique de Paris (30 novembre-5
décembre), ce congrès apparaît comme plus républicain.
Le congrès se
tient du 8 au 12 décembre avec :
-
une journée agricole,
-
une journée ouvrière,
-
une journée politique,
-
une journée consacrée à
l’organisation des actions futures.
Il est décidé de
mettre sur pied un Grand Conseil national de la Démocratie chrétienne avec la
présence d’« abbés démocrates », de représentants ouvriers et
d’intellectuels.
Parmi les
interventions on note :
-
CHABRY, économiste à La Croix, qui déclare :
L’Eglise gardera toujours au nom de
la justice ses condamnations contre l’usure, dès que le prêt devient un moyen
en pratique non pas de rendre service à l’emprunteur mais de l’exploiter.
(cité
par MONTUCLARD, p.70)
-
l’abbé NAUDET, La Justice sociale, qui déclare :
Tous les hommes doivent travailler
ou avoir travaillé ; tous doivent pouvoir vivre librement de leur
travail ; tous doivent améliorer leur sort par le travail !
L’esclavage, le servage et le
salariat opprimé par la loi de l’offre et de la demande sont
condamnables !
(cité
par MONTUCLARD, p.82)
PRENAT, de Saint-Etienne, qui sera proche
de la revue Demain, participe au
congrès de 1897.
La séance de clôture
rassemble 3 000 personnes.
S’opposent alors
ceux qui pensent que les catholiques sont libres de leur organisation politique
sans en référer à l’épiscopat (La France
libre par ex.) et ceux qui pensent que face à ce « laïcisme » ils doivent s’organiser
sous l’autorité de l’épiscopat (Le Nouvelliste par ex.) ; le cardinal
COULLIE précise au fondateur du Nouvelliste :
En dehors des circonstances où
l’obéissance s’impose, je laisse et laisserai à chaque journal son indépendance
au sujet des questions si délicates et si difficiles qui agitent les esprits.
Evêque et ministre de la Paix, avec le Souverain Pontife, je prie pour l’union
des âmes dans la charité et dans la liberté.
(cité
par MAYEUR, pp.190-191)
Le
Congrès de 1898
Les préparations
de ce troisième congrès sont tumultueuses. Le cardinal COULLIE publie dans La Semaine religieuse du diocèse de Lyon
la lettre qu’il adresse au directeur de La
France Libre : « Vous vous
disiez catholique, je pensais que vous entendriez la parole de votre évêque, vous
n’en avez rien fait » (citée par MAYEUR, pp.192-193).
Ce sont deux
congrès qui se tiennent en octobre :
-
un congrès social les 19 et 20
octobre, en demi-teinte,
-
un congrès
« nationaliste » les 21, 22 et 23, qui constitue un échec (MAYEUR,
p.196)
Il semble que les
meetings rassemblent moins de personnes que les années précédentes.
Le jeune clergé
lyonnais assiste, semble-t-il, aux rassemblements publics, désireux de « sortir de la sacristie » pour avoir
une place dans l’évolution de la société, ce que leur interdit alors le
Concordat.
DOCUMENTS
-
Léon XIII, 1891, Rerum
novarum
-
MONTUCLARD Maurice, 1958, Aux
origines de la démocratie chrétienne, Archives
de Sciences Sociales des Religions, vol.6, pp.47-90
-
MAYEUR
Jean Marie, 1962, Les
Congrès nationaux de la "Démocratie chrétienne" à Lyon
(1896-1897-1898) , Revue d’histoire moderne et contemporaine,
pp.171-206
-
PONSON
Christian, 1979, Les Catholiques lyonnais
et la Chronique Sociale (1892-1914)
-
MAYEUR
Jean Marie, 1984, Tiers-ordre
franciscain et catholicisme social en France à la fin du XIXème siècle, in
VAUCHEZ André (dir.), 1984, Mouvements
franciscains et société française (XIIè-XXè siècles), pp.181-194.
-
MOULINET
Daniel, 2008, Laïcat catholique et
société française. Les Comités catholiques (1870-1905). Recension par BRODIEZ Axelle, Chrétiens et sociétés,
vol.15
-
voir notices sur la revue Demain (1905-1907) : présentation, documents, sommaires, textes
-
voir les notices sur les acteurs de
la revue Demain: RIFAUX M. , JAY P. , SERRE J., CHOLAT A., CHAINE L., BRUGERETTE J.
-
voir
la notice sur l’ouvrage Ce qu’on a fait de l’Eglise
(1912)
g.decourt