La Jeune République
1929
LETTRE
de
SON EMINENCE LE CARDINAL ARCHEVEOUE DE
LYON
au sujet du journal La Jeune République et du groupement
qui s'y rattache.
Lyon, le 8 février 1929.
CHER MONSIEUR LE CURE,
Vous m’avez fait demander si ma
dernière Lettre pastorale où j’ai signalé une erreur théologique de la Jeune République entraîne la
condamnation de cet organe et du groupement qui s'y rattache. Je n'hésite pas à
vous répondre : Non, mais seulement une mise en garde contre une doctrine
condamnée par l’Eglise et qui, me semble-t-il, tend à se généraliser dans
certains milieux catholiques.
On essaye de se justifier au moyen de
la distinction entre la thèse et l'hypothèse ; mais on en fait une fausse
application, ou plutôt l'hypothèse devient la thèse manifestement erronée et
déjà bien des fois condamnée que voici : « L'Etat ne doit pratiquer et
favoriser la vraie religion que lorsque l'ensemble du pays est d’accord sur ce
point ». La distinction, il y a lieu de la faire et précisément Léon XIII
l'a faite dans le passage même de l'Encyclique Immortale Dei que j’ai cité.
On peut également se reporter à
l'Encyclique Libertas, où le même
pape a commencé par établir la thèse en ces termes : « Il est
nécessaire que la société civile, comme société civile, reconnaisse Dieu pour
son origine et sa fin, qu'elle respecte, qu'elle honore sa puissance et sa
souveraineté. La justice défend, la raison défend que l’Etat professe
l’athéisme, ou ce qui reviendrait à l’athéisme, qu’il marque les mêmes
dispositions envers chacune des diverses religions — telle est la formule reçue
— et qu’il leur accorde indistinctement les mêmes droits. La profession
publique d'une seule religion étant le devoir de l'Etat, il faut que l'Etat
professe celle-là qui est l'unique véritable, et qu’il n’est pas malaisé de
reconnaître, surtout dans les pays catholiques, puisque les marques de vérité
brillent en elle par des signes qui la distinguent entre toutes. Cette
religion, que les gouvernants de l'Etat la conservent, la protègent s'ils
veulent pourvoir prudemment et utilement, comme ils y sont tenus, au bien de la
collectivité des citoyens.
Léon XIII en vient plus loin à
l'hypothèse. Après avoir constaté que le trouble des esprits, la profonde
division des croyances peuvent exiger des tempéraments dans l'application de la
doctrine, il formule la conduite tenir à ce sujet. « Dans son appréciation
maternelle, l'Église tient compte du poids accablant de l'infirmité humaine, et
elle n'ignore pas le mouvement qui, à notre époque, entraine les esprits et les
choses. Par ces motifs, tout en n'accordant des droits qu'à ce qui est vrai et
honnête, elle ne s'oppose pas cependant, à la tolérance dont la puissance
publique croit pouvoir user à l'égard de certaines choses contraires à la
vérité et à la justice, en vue d'un mal plus-grand à éviter ou d'un bien plus
grand à obtenir ou à conserver. »
Donc, quand les esprits sont divisés,
l'Église, admet la tolérance. Mais jamais, elle ne pourra accepter comme
orthodoxes des propositions telles que celles-ci. « L'État ne pourrait
avoir une opinion religieuse que si... l'ensemble des citoyens considérait
comme quelque chose d'acquis qu'il y a un Dieu... » ou encore : « Les
Français sont divisés, religieusement et philosophiquement. Donc, l'État, pour
rester au service de tous, ne doit pas prendre parti pour l'une des doctrines
en présence — ce qui ne signifie nullement d'ailleurs qu'il doive prendre parti
contre elles. » La laïcité, même ainsi entendue, est formellement
condamnée par l'Église. « Ce que Pie X a condamné, Nous le condamnons de
même, et toutes les fois que par « laïcité » on entend un sentiment
ou une intention contraires ou étrangers Dieu et à la religion. Nous réprouvons
entièrement cette « laïcité » et Nous déclarons ouvertement qu'elle doit
être réprouvée. » (Pie XI, lettre sur les Associations diocésaines. Revue cath. t. II, p.266) Donc, non
seulement, l'État ne peut pas prendre parti contre la religion, mais même
quelle que soit la division des esprits, il ne peut pas, il ne doit pas être
areligieux.
S'ensuit-il que nous voulions imposer à
des citoyens d'un pays comme le nôtre, par la force, par la violence physique
ou morale, des convictions qui ne seraient pas les leurs ? Nullement, bien
qu'on doive reconnaître à l'Église le droit, indépendant de toute société
humaine, de porter contre ses sujets des peines spirituelles et temporelles.
(Can. 2214.)
Je vous invite, cher Monsieur le Curé,
à vous reporter à ce que j'écrivais dans ma Lettre pastorale de carême 1918. «
Nous n'avons pas à le dissimuler, le véritable idéal serait le retour complet
de notre cher pays de France à l'unité de la foi. Nous nous appliquerons de
toutes les forces de notre âme à la réalisation de ce bel idéal. Mais loin de
nous toute pensée de recours à la contrainte pour en assurer le triomphe. Nous
avons trop souffert des entraves apportées à nos libertés les plus chères, des
persécutions dirigées contre les catholiques pour que nous puissions jamais
demander qu'on use des mêmes procédés à l'égard de ceux qui ne partagent pas
nos croyances. Sans doute, nous le savons, parmi toutes les religions qui se
rencontrent dans le monde, une seule est vraie, seule elle a des droits, aucun
droit ne pouvant exister ni pour l'erreur, ni pour le mal. Nous le savons, Dieu veut que tous les hommes soient sauvés
et arrivent à la connaissance de la vérité. (I, Timoth., II, 4.) Mais nous
savons aussi que, tout en leur faisant une obligation de croire, il a voulu, en
même temps, leur laisser le mérite de la liberté, nous savons qu'il est dans
les traditions de l'Église de veiller avec le plus grand soin à ce que personne
ne soit contraint d'embrasser la foi malgré lui, conformément à ce sage
avertissement donné par saint Augustin : L'homme
ne croit qu’autant qu'il veut croire.
Puis, j'annonçais la fondation de la
Ligue des droits des catholiques et, après avoir fait appel à tous ceux qui, en
dehors de tout esprit de parti, se plaçant exclusivement sur le terrain
religieux ou politico-religieux, voudraient s'uni pour la défense des droits de
Dieu et de la conscience, j'ajoutais : « Nous avons confiance, parce que
nous connaissons votre docilité et aussi parce que nous savons que vous n'êtes
pas de ces catholiques trop nombreux, hélas ! qui réservent la profession
du christianisme à l’homme privé et en affranchissant l'homme public.
« Cela n'est pas permis, dit Léon XIII, c'est un devoir pour les
catholiques d'être et de vouloir paraître fils très aimants de l'Église ; de
répudier sans faiblesse tout ce qui serait incompatible avec cette profession ;
de se servir des institutions publiques, autant que la conscience le permet, au
profit de la vérité et de la justice ; de travailler à ce que la liberté
ne dépasse pas les limites posées par la loi naturelle et par la loi
divine ; de s'appliquer enfin à ramener tout l’organisme politique au type
de l'idéal chrétien. » (Immortale
Dei.) Sans doute, dit ailleurs le même Pontife, il faut de la prudence,
mais non cette prudence que saint Paul appelle prudence de la chair et mort de l'âme. (Rom., VIII, 6.) Céder ou se
taire, quand s'élève de toute part une telle clameur contre la vérité, c'est ou
bien lâcheté ou bien hésitation dans la foi ; c'est dans les deux cas se
déshonorer et faire injure à Dieu ; c'est compromettre son salut et celui des
autres. ; c'est travailler pour les seuls ennemis de la foi : car, rien
n'encourage l'audace des mauvais comme la faiblesse des bons. Au surplus, les
chrétiens sont nés pour la lutte, dont l'issue est d'autant moins douteuse que
le combat est plus acharné. « Ayez
confiance, a dit Notre Seigneur, j'ai vaincu le monde. » (Joan., XVI,
23.)
Donc, de la prudence, oui, mais pas
d'effacement, pas de compromissions Nous tiendrons haut et ferme le drapeau des
revendications catholiques, nous nous efforcerons de faire abroger les lois
antichrétiennes qui blessent les consciences et qui ne peuvent être regardées
comme des lois intangibles, nous nous efforcerons de faire rendre à Dieu sa
place dans la société française et au christianisme son influence et son action
dans la vie nationale. » (Semaine
religieuse, 1928, t. I, p. 150 et suivantes.)
Tel est, vous le savez, le programme
que, dès 1918, j'ai donné aux catholiques de mon diocèse. C'est le programme
intégral. Je reconnais que, pour les revendications immédiates, le programme
peut et doit être plus ou moins complet suivant les temps et les régions. Mais
ne cessons de garder intact notre corps de doctrine.
Quant à la démocratie chrétienne, tout
le monde sait ici combien les œuvres sociales me tiennent à cœur. J'aurai
prochainement, si Dieu veut bien le permettre, la très grande joie d'inaugurer
la maison de retraite des Travailleuses que j'ai fondée à Oullins avec le
concours de personnes très dévouées. Mais on ne doit pas confondre la
démocratie chrétienne avec la démocratie politique au sujet de laquelle
l'Église laisse une sage liberté ni surtout avec la démocratie sociale qui,
elle, a été formellement condamnée.
Je vous recommande, pour ne pas vous
égarer sur ce point, la lecture attentive de l'Encyclique Graves de communi de Léon XIII et la lettre de Pie X sur le Sillon.
Ayez sans cesse ces documents sous les yeux.
Veuillez agréer, cher Monsieur le Curé,
l'assurance de mes sentiments affectueux et dévoués en Notre-Seigneur.
† L.-J. Card. MAURIN,
Arch. de Lyon.
DOCUMENTS
- Semaine
religieuse du diocèse de Lyon, février 1929
- voir aussi notices sur le Sillon
dans le diocèse de 1905 à 1910, JOC-JOCF,
CLAUDIUS-PETIT,
Francisque GAY,
Eugène
PONS, Joseph
FOLLIET