Maurice Combe
1914-2008
Maurice COMBE naît en 1914 à Saint-Etienne.
Il
fait ses études au Collège
Saint-Thomas d’Aquin à Oullins. Il y rencontre Maurice MONTUCLARD, alors
aumônier scout.
En
1931 il entre au Grand Séminaire diocésain de Francheville.
En
1935 il est incorporé à Saint-Etienne, mais déclaré tuberculeux, il est envoyé
au sanatorium militaire de Vannes. Il doit ensuite se soigner jusqu’en 1940 et pendant quatre
ans il passe du temps à lire Mounier, Bernanos…, les revues Esprit, Sept puis Temps
présent.
Il fréquente le « communauté de
la rue Pizet » fondée par M.MONTUCLARD.
Sa
formation théologique et exégétique est marquée par l’enseignement d’Alfred
GELIN sur les « pauvres de Yawhé ».
Il
est ordonné prêtre en 1941 pour le diocèse de Lyon.
Il obtient une licence de lettres
préparée aux Facultés Catholiques de Lyon. En 1943, il est nommé professeur au
Collège des Minimes à Lyon et aumônier du Lycée de jeunes filles Saint-Just de
Lyon et d’une équipe de la Jeunesse Indépendante Chrétienne Féminine (JICF).
A
nouveau malade, il doit interrompre l’enseignement de 1946 à 1949. Il part se
reposer au sein de l’équipe de Jeunesse
d’Eglise de M.MONTUCLARD installée au Petit-Clamart près de Paris. Puis il
finit sa convalescence à La Flatière (Les Houches) et rencontre plusieurs
membres de la Mission de France.
Il
décide à ce moment-là de « partir au
travail ». En février 1949 il obtient l’autorisation du cardinal
GERLIER de suivre une formation accélérée pour devenir ajusteur. En août 1949
il entre comme ajusteur dans une usine du groupe Schneider (SFAC). Il se syndique
à la CGT en décembre 1949. Il est élu au Comité d’entreprise en 1951 comme
suppléant et bientôt titulaire. Il devient secrétaire général du Comité central
d’entreprise du groupe.
Il
s’occupe de l’action culturelle à l’Union Fédérale CGT et devient l’ami de Jean
Dasté, fondateur de la Comédie de Saint-Etienne.
En
1954 après la « condamnation des
prêtres-ouvriers » par le Vatican, il reste au travail et fait bientôt
partie du groupe des « insoumis »
autour de Bernard Chauveau. Il adhère au Mouvement
de la paix.
En
1964 il fait partie des licenciés de la SFAC.
Il
commence alors une thèse à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes sous la conduite
de Paul-Henri
Chombard de Lauwe. En 1968 il soutient sa
thèse sur les comités d’entreprise, publiée en 1969 sous le titre L’Alibi. Vingt ans d’un Comité central
d’entreprise.
Il
revient à Saint-Etienne pour travailler comme maçon, puis à Roanne dans la
métallurgie, jusqu’en 1974.
Pendant ces années
il participe à un groupe de sociologie conduit par Chombart de Lauwe qui publie
en 1976 Nous, travailleurs
licenciés : les effets
traumatisants d'un licenciement collectif, et en 1978 Le Mur du mépris : le mépris vécu par les
ouvriers à l'usine.
En
retraite sur Saint-Etienne, il a plusieurs activités sociales (soutien scolaire,
aide aux jeunes mères…).
En
1984 il écrit un texte intitulé « Ramenés
à l’Evangile » à l’occasion du trentième anniversaire de la
condamnation de 1954 :
Il en est de nos vies
comme de ces troncs d’arbre qui ont séjourné longtemps dans l’eau. Lorsque le
courant les rejette sur le rivage, ils apparaissent dépouillés de leur écorce
et des parties tendres du bois. Il ne reste d’eux alors qu’une souche nue, un
noyau fait de fibres dures et d’un bois noueux. C’est ce long travail de la vie
sur nous que nous voudrions dire. Au long des jours, au contact des hommes,
nous nous sommes lentement dénudés. Cela s’est fait par une série de lentes et
presque insensibles ruptures.
Rupture, pas cassure
Remontant dans nos
souvenirs, il faut bien admettre que ce mot de rupture était inscrit dans nos
choix à l’origine, et que notre vie n’a été que le déroulement logique et
irréversible de ce point de départ. Le 1er mars 54 n’a été que le moment,
l’occasion où nous avons manifesté et affirmé ce que nous étions devenus.
Rompre, c’était aller de l’avant et rester fidèle aux exigences entrevues. Nous
disons bien rupture et non cassure. Une cassure est un arrêt brusque, un
retournement soudain et total. Un refus, un détournement radical, comme si d’un
coup plus rien n’existait, où l’on voudrait nier en bloc tout ce qu’on a été.
Ce qui d’ailleurs ne trompe personne, même si celui qui casse veut le faire
croire. Nous n’avons pas cassé, nous nous sommes seulement dégagés de ce que
notre formation nous avait donné de plus superficiel. Des certitudes du
catéchisme, des arguments de théologie, des principes de morale étaient
silencieusement remis en cause par la vie de ceux qui nous entouraient. Ceux
dont l’existence était prise entre les détresses profondes, des exigences inassouvies
au sein de dures réalités dont ils ne voulaient et ne pouvaient décoller.
Ceux-là nous ont appris ce qu’était l’homme quand il est réduit à sa plus
simple expression. Ces vies humiliées, enfermées dans un quotidien écrasant,
nous les recevions comme un cri, un appel à plus d’humanité vraie.
Ramenés à l’Évangile
Les luttes ouvrières,
auxquelles nous participions avec des militants qui souvent ont été nos
maîtres, nous disaient l’exigence de justice, de solidarité, de dignité qui était
celle de tout un peuple. Cette faim et cette soif étaient-elles la condition
tragique d’une découverte essentielle que ne feraient jamais ceux qui avaient
pouvoir, argent, culture, et trouvaient dans ces fausses valeurs une
"consolation" qui n’est peut-être qu’une irrémédiable
"occultation", pour tout dire un mensonge ? C’est ainsi que, malgré
nous, comme par la force des choses, nous étions ramenés à l’Évangile. Par-delà
les siècles et l’Histoire, deux mains se tendaient et se rejoignaient dans la
même étreinte. Pour nous, témoins silencieux, ce que nous savions de l’un nous
apprenait à mieux comprendre l’autre. La vie de tout un peuple justifiait les
paradoxes évangéliques et les condamnations intraitables lancées par Jésus. Et
sa vie à lui, ses paroles prolongeaient dans l’espérance l’élan et les désirs
de ce même peuple.
Découverte de l’essentiel
Nous nous trouvions
ainsi semblables à cet homme qui, découvrant une perle précieuse, vend tout ce
qu’il a et l’achète. Une perle ça tient dans le creux de la main, mais cela a
une très grande valeur. Notre rupture a été moins l’abandon de ce que nous
étions et l’affranchissement que la découverte et l’affirmation du seul
essentiel. Faut-il dire que la foi qui est nôtre maintenant s’est maintenue et
même renforcée sans avoir connu bien des risques ? Certainement non. Il n’est
point si facile de garder l’Espérance dans un monde où tout invite à
désespérer, ou au contraire à tout attendre de la seule autonomie de l’homme.
L’athéisme, comme le rejet de toute transcendance, a sa logique. C’est un fait
que nous n’avons pas suivi cette logique-là. Nous ne nions pas que ce soit une
rude épreuve et que la foi soit chose difficile. S’il faut bien admettre que la
foi se ramène à presque rien, c’est un rien peut-être fragile mais étrangement
fort…
En
1993 il est interviewé par Robert Dumont, prêtre de l'Oratoire, et François
Leprieur, auteur de Quand Rome condamne
(1989), en compagnie de Jean-Marie Huet, auteur en
1993 de Prêtre-ouvrier insoumis. Nathalie
Viet-Depaule, chercheur au CNRS et membre du Centre d'études des mouvements
sociaux, et Charles Suaud, professeur de sociologie à l'université de Nantes et
membre du Centre de sociologie européenne, retravaillent ces entretiens édités en 1999 sous le titre Fidèle Insoumission. En 1954 des prêtres ouvriers refusent de se
soumettre.
En
2004 il signe la déclaration des prêtres ouvriers restés au travail après
1954 :
A ces hommes prêtres soucieux d’être
attentifs à l’Evangile plutôt que d’exercer une fonction traditionnelle
sacralisée, il apparut que la vie ouvrière était traversée par les valeurs
évangéliques révélatrices de valeurs humaines. Ce message que les prêtres
ouvriers pensaient apporter, il leur était ainsi retourné, vivant, et d’une vie
humaine, mais non sclérosé dans une doctrine dogmatique et une morale. Nous
avons vécu cet aller et retour de la pensée à la vie et de la vie à la pensée
comme une unité retrouvée, une unité brisée par tous ceux à qui elle faisait
peur.
C’est à la lumière de cet évangile
vécu que nous avons relu le texte écrit de cet évangile ; il nous est alors
apparu éclatant, dans une vérité aussi forte que simple et régénérée.
…
En guise de conclusion, à la lumière
de notre vécu situé dans l’histoire du 20ème siècle héritier du 19ème, une constatation
s’impose à nous : l’incapacité pour l’Eglise institutionnelle d’accepter les
autres cultures et la volonté de l’homme de s'inscrire libre et responsable,
dans la construction du monde. Après avoir éliminé tout ressentiment, nous
pouvons dire que ces années nous ont apporté la paix.
En
2005 avec deux autres « insoumis »
il signe un Testament : contribution à un texte commun
qui serait comme le testament des trois derniers survivants.
Il n’existe pour
nous aujourd’hui en aucune façon quelque lien ou quelque relation avec l’Église
catholique. Nous n’avons pas le moindre regret de lui avoir désobéi. Nous avons
eu la chance de trouver mieux vécu que dans l’Église, ce qui nous semblait
l’originalité de l’évangile, par exemple entre autres : « Bienheureux ceux
qui ont faim et soif de justice ».
Il
termine sa vie auprès d’une communauté de religieuses proches du monde ouvrier.
Il
décède en 2008. Au cours de ses funérailles civiles à la Bourse du Travail de
Saint-Etienne sont entendus des passages du Magnificat
et du chant de l’Internationale.
Peu
de temps avant sa mort il avait ainsi résumé son existence :
C’est au moment où la solitude paraît la plus silencieuse à
l’intérieur de soi qu’il semble possible de poser un acte de communion avec
tout ce monde qu’on porte en soi. Ce n’est pas simplement une sublimation. Je
crois que c’est un acte de relation avec tous les gens avec lesquels on vit,
dans l’émerveillement ou la tristesse suivant les événements, les rencontres,
les moments et les lieux. Cela m’apaise de me trouver de temps à autre dans un
grand lieu, dans un espace de silence et de beauté pour vivre cet acte de
conscience qui me relie à la grande histoire de l’humanité inscrite dans celle
de l’univers, cherchant le sens avec elle dans le grand silence d’un
questionnement d’espérance. En intériorisant ce grand mystère du monde qui nous
dépasse, il me semble que je pose un acte important pour moi et pour le monde.
Est-ce cela la prière ?
…
Cette notion d’émerveillement ! La contemplation, c’est
un émerveillement. Or cet émerveillement nous le prolongeons. Je n’ai pas de
mal à le faire à partir de ce que je vois. Mais je sens qu’il y a des choses
dont je sais qu’elles existent même si je ne les vois pas. Alors Dieu
là-dedans ? Oui, pourquoi pas ? Enfin, un émerveillement qui n’a pas
de limite. Parce qu’une contemplation, c’est en soi illimité ! Un
émerveillement, si c’en est réellement un, ne peut pas avoir de limite.
Pourquoi lui donner des barrières, l’arrêter à Dieu ? Pourquoi fermer, passer
toujours son temps à mettre des interdits, des oppositions, des dogmes, des
barrières ? Alors que nous sommes propulsés, que nous sommes invités à un
émerveillement délirant.
(DUMONT, 2006, p.100)
DOCUMENTS
-
Archives Nationales, dossier
M.COMBE 2005/035, répertoire
numérique
- COMBE Maurice, 1969, L'Alibi. Vingt ans d'un Comité Central
d'Entreprise, recension
M.Montuclard, Revue
Française de Sociologie 11/4 , pp.580-582
- COMBE Maurice,
1984, Ramenés
à l’Evangile
- COMBE M., HURET
JM., 1999, Fidèle insoumission. En 1954, des prêtres-ouvriers refusent de se
soumettre
- Déclaration
des PO à l’occasion du cinquantième anniversaire de la condamnation des prêtres
ouvriers,
2004
- Article
de presse sur ses funérailles, 2008, Forez-Info
- Notice COMBE
Maurice du Maîtron
- site Fidèle insoumission
- site Prêtres Ouvriers
- voir les notices
sur Albert
GELIN, Maurice
MONTUCLARD
- voir les notices
sur les Prêtres Ouvriers
g.decourt